Au Maroc, décès de Mohamed Moâtassim, juriste de Mohammed VI

D’un quartier populaire de la province de Casablanca aux arcanes du cabinet royal, Mohamed Moâtassim, lancé par Driss Basri, a connu une ascension fulgurante. Il est décédé ce lundi à l’âge de 67 ans.

Mohamed Moâtassim, à Marrakech, le 31 octobre 2009, lors de la Conférence sur la politique mondiale. © ABDELHAK SENNA/AFP

Publié le 5 juin 2023 Lecture : 4 minutes.

Au Maroc, Mohamed Moâtassim laissera un souvenir indélébile : celui de l’homme qui a lu à la télévision publique, pendant plus d’une heure et demie, les 180 articles de la nouvelle Constitution de 2011, à la veille de l’adoption du texte par référendum.

Considéré comme l’un des principaux architectes de cette constitution – la sixième depuis l’indépendance du royaume –, il fut à l’époque érigé par certains médias en « nouvel homme fort du régime et du cabinet royal ». Une étiquette très exagérée et « un éloge dont on se passerait bien lorsqu’on officie dans les arcanes du Makhzen », commente un fin connaisseur de la politique marocaine.

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Décédé dans la matinée de ce 5 juin à l’hôpital militaire Mohammed-V de Rabat des suites d’une maladie à l’âge de 67 ans, ce conseiller royal extrêmement discret, juriste en chef du cabinet royal, a toutefois connu un destin d’exception.

Né l’année de l’indépendance, en 1956, dans la région de Settat, à une soixantaine de kilomètres de Casablanca, Mohammed Moâtassim est issu d’une famille modeste et d’une fratrie de cinq enfants. Son père, d’abord artisan puis auxiliaire de l’administration territoriale (moqaddem), quitte le milieu rural pour installer sa famille dans le quartier populaire de Nzalet Cheikh, à Settat. Studieux, bon élève, Mohamed Moâtassim décroche son baccalauréat en 1970, puis intègre la faculté de droit de Rabat.

Au Maroc, les « seventies » sont marquées par le militantisme de gauche et les discours révolutionnaires, dont l’université de la capitale administrative est l’un des bastions. Le jeune Moâtassim s’y intéresse sans y prendre part. Proche de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), il a des convictions ancrées à gauche mais n’est pas encarté.

Après une licence obtenue en 1977, il passe un DES de droit à l’Université Hassan-II de Casablanca, puis devient professeur universitaire tout en préparant sa thèse, soutenue en 1988 et consacrée à « l’évolution traditionaliste du droit constitutionnel marocain ». Sa théorie ? La monarchie, au-dessus des autres acteurs du champ politique, se doit de régner et gouverner. Et le roi, en tant que commandeur des croyants, est au-dessus de la Constitution. Une thèse jugée un peu légère et très (trop) « makhzénienne » par certains universitaires, mais qui lui a en tout cas permis d’être remarqué en haut lieu.

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Repéré par Driss Basri

À la fin des années 1980, alors que le royaume est en plein marasme économique, Hassan II lance une réforme de la Constitution. Fraîchement devenu docteur en droit constitutionnel, Mohamed Moâtassim s’intéresse de près au débat et publie quelques articles critiques sur les propositions émanant des partis de l’opposition.

C’est ainsi qu’il est repéré par l’homme fort de l’Intérieur, Driss Basri, lui-même originaire de Settat, qui a toujours gardé un œil sur les jeunes prometteurs de sa région. Et ce d’autant plus qu’à cette époque, le ministre de l’Intérieur – au faîte de sa puissance – s’entoure principalement de juristes (surtout des publicistes), dont beaucoup deviendront gouverneurs (walis) ou cadres.

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En 1993, à la faveur des élections législatives, un nouveau gouvernement est formé. Dans la nouvelle équipe ministérielle, il n’y a pratiquement que des technocrates de haut vol (Driss Jettou, Abdeslam Ahizoune, Taïeb Fassi-Fihri, Omar Azziman, Abdelaziz Meziane Belfkih) et un petit nouveau inconnu au bataillon : Mohamed Moâtassim.

Nommé ministre chargé des Relations avec le Parlement, humble, rigoureux, érudit, sympathique et abordable, le jeune homme passe bien auprès de la classe politique. Parallèlement, ce père de deux enfants demeure professeur de droit à Casablanca. C’est l’un des meilleurs du pays, toujours habillé en jean, proche de ses élèves et excellent pédagogue.

Moâtassim conserve son portefeuille jusqu’en 1995 avant d’intégrer le cabinet royal en tant que chargé de mission et d’être fait chevalier de l’Ordre du Trône. Une consécration. Dans la foulée, sous l’aile protectrice de Driss Basri, qui nourrit de l’estime à son égard, il prend part à la rédaction d’une nouvelle Constitution, adoptée en décembre 1996 à la quasi-unanimité. Le 23 juillet 1999, Hassan II meurt, et son fils, Mohammed VI, monte sur le trône.

Le nouveau monarque, qui souhaite rompre avec plusieurs décennies de répression, évince l’omnipotent Driss Basri dès le mois de novembre 1999. Et fait appel à ses camarades du collège royal (Fouad Ali El Himma, Mounir Majidi, …), qui deviennent alors ses plus proches conseillers. Mohamed Moâtassim rentre dans l’ombre.

Moudawana, IER, nouvelle Constitution…

Seulement voilà, ces nouveaux conseillers comprennent vite que ce dernier leur serait très utile : en plus d’être un excellent technicien du droit, c’est aussi l’un des rares bons arabophones du cabinet royal. Remis en selle, Moâtassim est alors de tous les voyages du roi dans le monde arabe, avant de prendre part dans l’ombre à la révision de la Moudawana (code de la famille), considéré comme l’une des plus grandes réalisations du règne de Mohammed VI. La même année, en 2004, il participe à la création de l’Instance Équité et Réconciliation (IER), censée apurer l’ère Hassan II, mais dont le bilan demeure mitigé.

Lorsque l’onde de choc des Printemps arabes de 2011 atteint le Maroc, Mohammed VI annonce une réforme de la Constitution. Le monarque met alors en place deux commissions : l’une rassemblant des experts (juristes, constitutionnalistes, publicistes…) et l’autre composée de membres de partis politiques et de syndicats, dirigée par Mohamed Moâtassim.

C’est à ce dernier, habile négociateur, que revient la lourde tâche d’arriver à un consensus constitutionnel entre toutes les forces vives du royaume, dans les limites du cadre imposé par la monarchie. Pendant des semaines, il reçoit tous les responsables politiques et les syndicalistes qui comptent, note toutes leurs remarques, calme les colères, ménage les susceptibilités. Progressiste sur les libertés, mais conservateur sur le plan institutionnel, Mohamed Moâtassim se garde bien de donner son avis : c’est un technicien.

C’est lui – sous la houlette royale – qui procèdera à l’introduction des tous derniers amendements et à la mise en forme définitive du texte. Cette nouvelle Constitution sera adoptée à 98,5 % le 1er juillet 2011. Le conseiller a mené à bien la plus grande mission de sa vie. Et se fera dès lors de plus en plus discret.

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