La militarisation du pouvoir : une solution pour le Sahel ?
Du Mali au Soudan en passant par le Burkina Faso ou la Guinée, le retour des militaires au pouvoir semble désormais acquis au Sahel. Pas sûr que cette tendance soit à saluer…
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Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), spécialiste des conflits armés en Afrique
Publié le 17 juin 2023 Lecture : 4 minutes.
Depuis la période des indépendances, l’histoire de la région du Sahel est émaillée d’une longue série de coups d’État. Au Tchad, par exemple, s’est perpétué un pouvoir de nature guerrière sans discontinuer depuis 1975. La République du Niger, elle, fut un des derniers pays sahéliens à basculer dans une dictature militaire en 1974. Aujourd’hui, son président élu fait presque figure d’anomalie dans le paysage politique de la région.
Modèle du genre
De fait, la militarisation du Sahel semble devoir se poursuivre de façon inexorable. Au Mali, devenu un modèle du genre, la junte d’Assimi Goïta a ainsi entrepris de retarder le retour au pouvoir des civils tout en nommant ses hommes à la tête des préfectures et en plaçant la police sous le contrôle direct de l’armée, comme au Soudan depuis 2019. Même le Niger n’échappe pas à la tendance et prévoit d’augmenter les effectifs de ses troupes jusqu’à 50 000 soldats. Au risque de multiplier les tentatives de coup d’État : au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta n’avait-il pas pris soin d’augmenter le budget de la défense et de choyer l’armée avant d’être renversé par celle-ci ?
En dépit des admonestations des puissances occidentales (ou peut-être à cause d’elles !), la population, elle, ne voit pas forcément d’un mauvais œil l’irruption des militaires dans le champ politique. Depuis le coup d’État de 2021, par exemple, les habitants du centre du Mali ont davantage confiance dans le gouvernement et les autorités préfectorales. Dans le même ordre d’idées, la majorité d’entre eux estiment que la situation sécuritaire se serait améliorée au niveau local, tout au moins si l’on en croit de récents sondages.
Au nom d’Allah
Succès de la propagande militaire ou effet d’un nationalisme mal placé depuis le départ de l’armée française ? Quelles qu’en soient les raisons, de tels ressentis ne manquent pas d’étonner quand on observe l’évolution des insurrections jihadistes. En effet, l’armée malienne n’a pas amélioré ses performances. Tout comme les rebelles, elle continue de tuer des civils et de mettre en place des blocus qui affament la population. Sur le terrain, elle a simplement bénéficié en 2022 d’une trêve grâce aux combats fratricides qui, en opposant Al-Qaïda et l’État islamique autour de Gao et Ménaka, ont aussi allégé la pression exercée sur les soldats nigériens dans le Liptako-Gourma.
D’une manière générale, il n’y a pas lieu de supposer que des régimes militaires seraient intrinsèquement mieux placés pour résister aux assauts des jihadistes ou aux pressions des islamistes. Incarnation par excellence d’un pouvoir guerrier, le Tchad le montre à sa manière. Il n’a pas réussi à venir à bout de Boko Haram et a dû faire des concessions aux religieux en contrevenant à sa constitution laïque. À partir de 2018, il a ainsi obligé les plus hauts cadres de la fonction publique à prêter serment à l’État au nom d’Allah, quoi qu’il en soit de leur affiliation confessionnelle. Quant au Mali, d’aucuns craignent d’y voir un jour apparaître un régime militaro-islamiste à la soudanaise, voire à l’afghane.
A priori, un tel scénario a peu de chances de se réaliser. En effet, les mouvements salafistes y sont moins structurés. Au Soudan, le fameux Hassan el-Turabi avait une réelle expérience du pouvoir et son parti avait participé à des gouvernements de coalition dans le cadre de régimes parlementaires avant le coup d’État du général Omar el-Bechir en 1989. Ce n’est absolument pas le cas de l’imam Mahmoud Dicko à Bamako. En dépit de sa capacité de mobilisation, celui-ci n’a jamais franchi le pas pour se présenter à des élections et prendre le risque de compromettre son autorité morale en exerçant lui-même le pouvoir. Il n’a d’ailleurs pas intérêt à suivre la trajectoire de Hassan el-Turabi, qui a fini par être emprisonné par Omar el-Bechir.
Mimétisme
De même, la comparaison avec l’Afghanistan vaut surtout pour la répétition et le mimétisme des préconisations des experts internationaux qui ont dû quitter Kaboul avec l’armée américaine et qui cherchent à présent à se recycler au Sahel en dépit de l’échec de leurs recettes. En réalité, les djihadistes du Mali n’ont ni l’expérience du pouvoir ni la légitimité acquises par les talibans après plusieurs décennies de lutte contre des occupants soviétique puis américain. Au contraire, le départ de l’armée française les a privés d’un argument majeur pour essayer d’élargir leur base sociale en se présentant comme une force de résistance nationale face à un envahisseur étranger.
Autrement plus inquiétantes à cet égard sont les luttes factionnelles qui, à l’intérieur des appareils militaires, fragilisent encore davantage les États sahéliens au profit des forces jihadistes et islamistes. En 2012 à Bamako, déjà, les affrontements entre bérets rouges et bérets verts avaient facilité l’avancée d’Al-Qaïda et de ses succédanés dans le nord du Mali. À présent, Khartoum est à son tour ravagée par les combats entre les soldats du général Abdel Fattah Al-Bourhane et les Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Dogolo, dit « Hemetti ». Certains craignent qu’à cette occasion, les islamistes profitent du chaos ambiant pour revenir au pouvoir. Dans tous les cas, le militaire n’est sûrement pas une option viable.
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