André Onana et le Cameroun : comment les Lions se privent d’un potentiel champion d’Europe

Il paraît que le courrier adressé par la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) au ministère des Sports le 25 mai dernier a beaucoup fait rire du côté de l’Italie et du club de l’Inter Milan. Dans cette missive, qui a inévitablement fuité sur les réseaux sociaux, l’organisation dirigée par Samuel Eto’o – lui-même ancien joueur du club lombard – demandait à son ministère de tutelle d’intervenir auprès de celui des Relations extérieures afin que ce dernier facilite l’obtention d’un visa pour plusieurs joueurs internationaux camerounais.

Ceux-ci ont en effet besoin du précieux sésame américain en vue du match amical que les Lions indomptables doivent jouer le 10 juin à San Diego, aux États-Unis, face au Mexique. Jusqu’ici, rien d’étonnant. Excepté une chose : parmi les joueurs concernés figurait un certain André Onana, le gardien de but de l’Inter Milan. Et, ce même jour, Onana doit disputer à Istanbul, en Turquie, une rencontre à l’intérêt beaucoup moins anecdotique avec son club : la finale de la Ligue des champions européenne.

L’espoir d’un retour

Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Car la relation entre Onana et l’équipe de son pays est loin d’être apaisée. Depuis la dernière Coupe du monde, en novembre 2022 au Qatar, il a en effet claqué la porte de la sélection camerounaise de façon retentissante, sur fond de désaccord avec l’entraîneur Rigobert Song. « Il avait eu un premier geste d’humeur après une consigne d’ordre tactique de Rigobert. Celui-ci lui a demandé de le respecter, et Onana a eu un autre geste du bras, voulant dire “je m’en fous”. Le soir même, il a été décidé qu’il n’était plus possible de continuer avec lui, même si le Cameroun se privait de l’un de ses meilleurs éléments », confie un témoin de la scène.

« Onana a quitté le Qatar en prétextant une blessure, ajoute cette source. Mais quelques jours plus tard, on a vu sur les réseaux sociaux une photo de lui en train de disputer un match de quartier à Yaoundé. » Et, depuis, les choses ne se sont pas arrangées. Ayant annoncé sa retraite internationale, André Onana n’a pas été revu avec le maillot des Lions indomptables. Cependant, les supporters, prompts à pardonner aux meilleurs, n’ont pas fait le deuil du joueur de l’Inter Milan, d’autant que celui-ci s’est imposé comme l’un des gardiens les plus performants d’Europe.

Le courrier de la fédération – déchiffré comme une pré-convocation en équipe nationale – a aussitôt été perçu par une partie de la presse, surtout camerounaise, comme le signe évident du retour du gardien star chez les Lions. Onana avait en outre passé trois jours à Yaoundé après le 29 mai dernier. Un séjour que les fans n’avaient pas manqué d’interpréter, là encore, comme un indice d’un probable retour de leur champion dans les buts de la sélection nationale camerounaise. Mais l’affaire s’avère en réalité plus compliquée…

Avec Song, un dialogue de sourds ?

En effet, Onana avait fait le voyage dans la capitale camerounaise pour une action de bienfaisance organisée par sa fondation, et non pour discuter de son retour chez les Lions avec Rigobert Song, le sélectionneur national, qu’il n’a d’ailleurs pas rencontré à cette occasion. « Il était évident qu’Onana ne serait pas dans la liste des joueurs pour affronter le Mexique puisqu’il a une finale de Ligue des champions à jouer. Je ne comprends même pas pourquoi la Fecafoot a envoyé cette lettre au ministère des Sports », s’étonne un proche des Lions, contacté par Jeune Afrique.

Il y a d’abord un problème à régler entre André Onana et son coach

« Et quand bien même le retour d’Onana aurait été acté en amont, il n’aurait jamais joué un match amical plutôt qu’une finale de Ligue des champions ! À un moment, il faut être sérieux… « , renchérit Joseph-Antoine Bell, l’ancien gardien des Lions indomptables, avant d’ajouter : « Il y a d’abord un problème à régler entre le joueur et son coach. » Alors que Song assurait ces derniers jours s’entretenir régulièrement avec le gardien, celui-ci, sur les réseaux sociaux, a soutenu le contraire, dans un message subliminal.

« Dans un monde où le mensonge est la chose la plus courante, dire la vérité fait de vous un révolutionnaire. Mais le temps finit par remettre tout à sa place », a ainsi écrit le joueur. Un échange qui ne présage rien de bon ? La question du retour du gardien dans les rangs des Lions se posera sans doute dans les prochaines semaines voire dans les prochains mois, le Cameroun recevant le Burundi en septembre prochain, à l’occasion d’un match qui pourrait être décisif pour la qualification pour la Coupe d’Afrique des nations en Côte d’Ivoire (13 janvier-11 février 2024). Cette fois, aucune finale de Ligue des champions ne figurera dans le calendrier d’Onana.

Onana « n’a pas que des amis »

Au sein de la Tanière – le staff des Lions indomptables –, Onana est considéré comme l’un des meilleurs gardiens du monde, mais aussi comme un joueur à l’égo surdimensionné, dans un vestiaire qui, certes, n’en manque pas. Sa proximité avec Samuel Eto’o est connue – il a débuté sa préformation à Fundesport, l’académie de l’ancien capitaine des Lions. Mais elle ne lui a pas évité d’être écarté de l’équipe, le président de la Fecafoot n’ayant pas souhaité, après avoir tenté de calmer la situation, saper l’autorité de Rigobert Song.

« Onana aurait dû passer devant le Conseil de discipline, avec une éventuelle sanction à la clé. Qui plus est, il n’a pas que des amis, non seulement dans le staff, mais aussi parmi les joueurs », intervient le journaliste Jean-Bruno Tagne. Pourtant, le retour du joueur est un souhait partagé par certains joueurs, comme Vincent Aboubakar ou André Frank Zambo Anguissa (qui ne sont pas tous ses meilleurs amis), mais également par le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi. Ce dernier avait adressé une lettre à l’Inter Milan pour demander au club transalpin de mettre Onana à la disposition de la sélection, alors que le club transalpin est totalement étranger au dossier.

« Tous ces courriers, c’est un peu maladroit, mais ça se veut diplomatique. Il y a une majorité de gens qui estiment que le Cameroun ne peut pas se passer d’un gardien de ce niveau », reprend Joseph-Antoine Bell. « Onana est clivant au Cameroun. Certains estiment qu’on ne peut pas faire sans lui, d’autres que ce n’est pas parce qu’on a du talent qu’on peut manquer de respect à son coach. Le ministre des Sports avait pris les devants avec cette lettre adressée à l’Inter. Aujourd’hui, la Fecafoot et Song sont au pied du mur. Avec cette demande d’obtention d’un visa pour les États-Unis, ils montrent qu’ils veulent que le joueur revienne », poursuit Jean-Bruno Tagne.

Ce 10 juin à Istanbul, André Onana sera l’un des atouts majeurs de l’Inter Milan face à l’armada de son adversaire du soir, en finale de la Ligue des champions, Manchester City. Le gardien aura notamment fort à faire face au « cyborg » norvégien Erling Haaland, déjà auteur de 53 buts cette saison en 54 matchs. Si le Camerounais devait réussir à garder sa cage inviolée et permettre à son équipe de remporter le titre, nul doute que le débat sur sa présence chez les Lions indomptables en serait encore renforcée.