En Tunisie, première approche réussie pour Giorgia Meloni

Soucieuse de se positionner comme l’interlocuteur naturel de la Tunisie en Europe, promettant son aide face au FMI en échange d’un contrôle des flux migratoires, la présidente du Conseil italien a su trouver les mots pour séduire Kaïs Saïed.

La Première ministre tunisienne Najla Bouden (à dr.) recevant la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, à Tunis, le 6 juin 2023. © AFP PHOTO / HO / TUNISIAN GOVERNMENT PRESS SERVICE

Publié le 7 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

Debout derrière un pupitre, Giorgia Meloni déroule les conclusions de sa visite éclair à Tunis ce 6 juin. L’image est trompeuse, elle semble extraite d’une conférence de presse alors qu’aucun journaliste n’est présent.

Habituée à être mitraillée de flashs et de questions, Meloni, elle-même ancienne journaliste, ne relève pas cette anomalie, ou du moins elle évite de le faire pour ne pas avoir à évoquer la liberté de la presse et plus généralement le chapitre des libertés en Tunisie. Un sujet qui ne l’intéresse pas vraiment car il relève des affaires intérieures du pays ou du moins n’ajoute rien d’utile à ses objectifs.

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Avec cette manière d’éviter les questions qui fâchent et de n’aborder que les sujets d’intérêt commun, Giorgia Meloni a fait dans le pragmatisme, réussissant à séduire le président tunisien Kaïs Saïed. Lequel n’est jamais apparu aussi détendu et souriant avec un hôte étranger, sans compter qu’il ne tarit pas d’éloges sur la présidente du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia.

Des familles de migrants réunies sur le parvis du Théâtre municipal, au centre de Tunis, sont d’un avis contraire et protestent contre la présence de Meloni en Tunisie. Elles réclament depuis de nombreuses années des informations sur des disparus et dénoncent le traitement indigne infligé aux migrants en détention en Italie, avec le soutien du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).

Romdhane Ben Amor, le porte-parole de cette ONG, souligne que « la visite de la Première ministre italienne en Tunisie s’inscrit dans la même logique que les politiques de pression et de chantage exercées par l’Union européenne à l’encontre de Tunis ». Il n’a pas tort : Meloni tend à s’imposer comme un intermédiaire entre la Tunisie et les instances internationales, et a assuré le président Saïed de « sa disponibilité à revenir bientôt ici en  Tunisie avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ».

Mission de bons offices auprès du FMI

Mais c’est avec une autre femme et une autre institution internationale que la tâche d’intermédiation que s’est assignée Méloni est plus délicate. Depuis plusieurs semaines, la présidente du Conseil italien tente en effet d’être entendue par la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, pour que l’institution de Bretton Woods réduise son niveau d’exigence et facilite les démarches pour que la Tunisie accède à un prêt de 1,9 milliard de dollars, qui avait obtenu un accord de principe en octobre 2022.

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Une mission difficile d’autant que Kaïs Saïed campe sur son refus « des diktats venus de l’étranger » et exige « le respect de la volonté du peuple ». Giorgia Meloni n’a pas obtenu gain de cause après ses quelques heures de visite à Tunis mais elle ne désespère pas. Elle sait qu’elle a séduit son interlocuteur et marqué des points puisque Kaïs Saïed estime qu’« elle dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ». Un compliment qui n’en est peut-être pas un, mais il est certain que la rencontre a marqué un temps fort des relations entre Tunis et Rome.

Un changement de cap notable, « à 180 degrés », pour reprendre l’un des tics de langage de Meloni. « Au détriment de la France », glisse un ancien diplomate tunisien. « Un axe Alger, Rome, Tunis se dessine », selon le géopoliticien Rafaa Tabib, tandis que le sociologue Mouldi Gassoumi note que « l’approche régionale de Meloni se fait selon une certaine taylorisation, où chaque pays est traité seul ».

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Une stratégie pour le moment gagnante puisqu’en quelques mois, l’Italie est en première ligne dans une large portion du Maghreb. Meloni a au moins le mérite d’être la seule dirigeante occidentale à avoir interagi avec le pouvoir tunisien sans donner de leçons en matière de démocratie et sans commenter les affaires internes du pays. Une attitude qui dénote un respect conforme à ce qu’attend Kaïs Saïed des pays partenaires.

Mais c’est encore avec une autre femme que Meloni devra concrétiser ce nouveau tropisme. Elle n’aura pas beaucoup d’efforts à fournir pour que le courant passe avec la cheffe du gouvernement tunisien, Najla Bouden. Venue sans délégation économique mais forte de la position de l’Italie comme premier partenaire commercial de la Tunisie, Meloni a sorti de sa hotte 700 millions d’euros qui seront investis dans les secteurs de la santé et des services. Comment ? Pourquoi ? On l’ignore.

Coopération énergétique

Mais l’essentiel pour l’Italie est la coopération énergétique et les 307 millions d’euros accordés par l’Union européenne pour le projet d’interconnexion électrique marine Elmed « permettant à Rome et à Tunis de devenir des centres d’approvisionnement énergétiques pour l’Europe et les pays africains ».

Une stratégie que l’Italie développe dans le cadre du plan Mattei – un programme plus vaste à destination de l’Afrique –, annonçant « une coopération qui ne soit pas paternaliste, mais basée sur l’égalité et qui permette à chacun de défendre son intérêt national en continuant une coopération qui offre des opportunités à tous ». Des arguments qui font mouche dans une Tunisie très soucieuse de souveraineté et de non ingérence.

À charge pour la Tunisie de faire sa part du deal : contrôler la migration irrégulière. Une lutte à laquelle Meloni, qui a décrété en avril l’état d’urgence migratoire en Italie, compte contribuer à hauteur de 6,5 millions d’euros. Il serait même question de la mise en place de patrouilles conjointes en mer pour faire de la Méditerranée un espace infranchissable et du développement du renseignement pour démanteler les réseaux de passeurs.

Le président Saïed souligne que « toutes les routes ne mènent plus seulement à Rome, mais aussi à Tunis, ce qui est une situation anormale, tant pour la Tunisie que pour les pays vers lesquels ces migrants affluent », et estime que la solution relève de décisions collectives des pays concernés.

Il envisage de tenir un sommet sur la question migratoire avec les pays de destination et de départ, mais Rome se positionne aux commandes et Meloni, l’air de rien, fait sienne cette idée et propose de tenir à Rome une conférence sur le thème « Migration et développement ».

Une appropriation qui pourrait déplaire à Carthage, que la société civile tunisienne tente d’alerter sur les intentions de l’Italie. « Le président Kaïs Saïed doit comprendre que Rome ne défend que ses propres intérêts. Il ne faut pas croire aux promesses de l’Italie comme quoi “nous allons soutenir la Tunisie, nous allons aider la Tunisie, nous sommes des partenaires” », assène Imed Soltani, président de l’association Terre pour tous, tandis que des économistes s’étonnent de la soudaine prodigalité de la péninsule dont l’économie n’est pas non plus au beau fixe.

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