Cornel West, l’Africain-Américain qui veut concurrencer Joe Biden

Aux États-Unis, l’universitaire californien a annoncé sa participation à l’élection présidentielle, en tant que membre du People’s Party. Une candidature qui pourrait faire de l’ombre à Joe Biden, en lice pour un deuxième mandat.

Montage JA © Cornel West via REUTERS

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Publié le 8 juin 2023 Lecture : 6 minutes.

Après trente secondes de vidéo, le nom du nouveau candidat de la gauche américaine apparaît en lettres orange, sur fond noir : « D. Cornel West ». Profondeur de champ réduite pour mieux le mettre en valeur, l’intéressé annonce, vêtu de son habituel costume trois pièces, son intention de participer au scrutin présidentiel, qui se déroulera en novembre 2024 et qui verra Joe Biden briguer un second mandat. Son objectif : « donner du pouvoir à ceux qui ont été marginalisés », explique-t-il sur fond musical.

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Pour réaliser ce clip promotionnel, qui a tout d’une bande annonce de long-métrage, l’intellectuel et activiste californien a fait appel à trois réalisateurs professionnels. En connaissance de cause : enseignant, philosophe, écrivain, musicien mais aussi acteur et réalisateur, Cornel West a touché à tout au cours de sa carrière. Et ajoute désormais une corde à son arc en se lançant en politique, lui qui a passé tant d’années dans la rue à manifester pour les droits civiques, les droits des femmes, la démocratie…

Très populaire quoiqu’au cœur de plusieurs controverses aux États-Unis, le docteur en philosophie, qui a fêté en juin ses 70 ans, est aussi un excellent orateur. « L’un des intellectuels publics les plus provocateurs d’Amérique » et « un champion pour la justice raciale », se décrit-il lui-même sur son compte Twitter.

1. Militantisme

Son complet noir, Cornel West ne le quitte pas, même pour aller manifester. Il est arrêté en octobre 2014 à Saint-Louis, dans le Missouri, alors qu’il proteste contre la mort d’un adolescent noir, tué par la police. Puis à nouveau quelques mois plus tard, avec d’autres militants africains-américains, lors d’un blocus organisé à l’occasion de l’anniversaire de la mort du jeune homme, Michael Brown.

Très critique vis-à-vis de la militarisation de la police, l’intellectuel est également impliqué dans d’autres causes progressistes : antiraciste, antifasciste, Cornel West milite aussi pour les droits de la femme, et a pris position mi-2022 sur la question de l’accès à l’avortement, dont il a dénoncé les restrictions.

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2. Famille engagée

Cet activisme ne vient pas de nulle part : le candidat a grandi dans un quartier ouvrier de Sacramento, près de San Francisco, en Californie, dans une famille baptiste très engagée dans le combat pour les droits civiques. Son père est administrateur civil dans l’armée de l’air et sa mère est professeur des écoles. Cornel West explique dans l’introduction de l’un de ses ouvrages avoir été fortement influencé par les valeurs familiales et par celles des communautés ecclésiastiques qu’il a côtoyées à Sacramento.

À cet héritage militant s’ajoute l’admiration que Cornel West voue à des figures majeures de l’activisme africain-américain : ses icônes sont le prédicateur nationaliste et panafricaniste Malcolm X, mais aussi le pasteur Martin Luther King. Sans oublier le mouvement révolutionnaire du Black Panther Party – dont le siège local se trouvait à proximité de son église.

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3. Ivy League

Envoyé à 8 ans dans une école pour surdoués après avoir frappé une enseignante enceinte – celle-ci voulait le forcer à saluer le drapeau américain –, Cornel West fait ensuite des études brillantes. Il est diplômé cum laude du Bachelor de langues et littératures du Moyen-Orient de Harvard, et étudie par la suite la philosophie à l’université de Princeton. Il y obtient son doctorat en 1980.

4. Professeur de philosophie

Fervent amateur de Socrate, mais aussi de Karl Marx, West oriente ses analyses philosophiques sur les questions raciales et ses combats militants. Il a d’ailleurs écrit un essai sous forme de dialogue avec l’intellectuelle américaine Bell Hooks, pionnière de l’afroféminisme décédée en décembre 2021 : Breaking Bread, insurgent black intellectual life, en 1991.

Il enseigne au cours de sa carrière la philosophie, mais aussi la religion et les études africaines-américaines dans de prestigieuses universités du pays : à Harvard, Princeton, ainsi qu’à Yale. « Frère West » donne actuellement des cours de philosophie de la religion – entre autres – à l’Union Theological Seminary, un séminaire protestant new-yorkais.

5. Encarté au People’s Party

Soutien du sénateur Bernie Sanders en 2016, puis en 2020, Cornel West se présente pour la présidentielle de 2024 sous l’étiquette du People’s Party, « pour la paix, la liberté et la prospérité ». Lors de sa création, en 2017, l’objectif de la formation était d’ailleurs d’investir Sanders, candidat malheureux de la dernière primaire des Démocrates. Cornel West est la première personne à se présenter à une élection sous la bannière du People’s Party.

Sur le site internet du parti, on trouve les six points clés du programme proposé par le candidat : « créer une véritable démocratie » en mettant fin à la « corruption au sein du gouvernement » ; « revitaliser l’économie » en garantissant à tous une éducation de qualité ainsi que l’accès au logement et à une pension de retraite ; créer une « assurance-maladie universelle » ; « mettre fin aux guerres » américaines ; « élargir les libertés publiques » ; et « protéger l’environnement ».

6. Critique de Barack Obama

Si les deux derniers présidents américains n’ont pas trouvé grâce aux yeux de Cornel West – dans sa vidéo d’annonce, il qualifie Donald Trump de « néofasciste » et Joe Biden de « néolibéral à la noix » –, Barack Obama non plus. Il en avait pourtant été un fervent soutien lors de la campagne du candidat en 2007.

L’intellectuel expliquait en effet dès 2011 avoir été profondément déçu par le premier président noir des États-Unis. Dans une interview accordée au site d’information Truthdig, Cornel West accusait Obama d’être « la mascotte noire des oligarques de Wall Street » et une « marionnette noire des ploutocrates de l’entreprise ».

7. Actif sur les réseaux sociaux

L’activiste maîtrise tous les codes des réseaux sociaux. C’est d’ailleurs sur la plateforme de vidéos Rumble qu’il a annoncé sa candidature, après avoir fait l’annonce d’une diffusion « live » le jour d’avant. Déjà habitué des plateaux télévisés et des médias, Cornel West compte plus de 270 000 abonnés sur Instagram, 1 million sur Twitter, et a également fait part de sa candidature sur YouTube.

8. « Race matters »

Cornel West compte plus d’une vingtaine d’essais publiés à son actif, dont le plus célèbre reste sans doute Race Matters, un ouvrage sociologique paru en 1993 chez Beacon Press. Cette compilation de huit essais écrits par l’activiste théorise le « nihilisme » américain autour de l’existence de la notion de race : pour lui, au contraire, la race « compte » et la population doit cesser de faire comme si elle était aveugle aux différences entre les couleurs de peaux.

West y évoque également la « crise du leadership noir », qui « contribue au cynisme politique des Noirs ». Et d’ajouter­: « Elle encourage l’idée que nous ne pouvons pas vraiment faire la différence pour changer notre société. »

9. Featuring avec Prince

« Cornel West n’est pas un rappeur comme les autres, comme le sait bien le public qui s’est réuni à l’Université de Harvard pour écouter ses récents débuts dans le hip-hop », peut-on lire dans les archives du Washington Post, dans un article publié en 2001. Car, énième corde à son arc, Cornel West est également musicien : son premier album, Sketches of My Culture, revient sur les expériences des Africains-Américains aux États-Unis. En 2005, il en sort un deuxième, Street Knowledge.

Trois ans plus tard, c’est sous le nom de Cornel West & BMWMB (acronyme pour « Black Men Who Mean Business ») que paraît son troisième album, seize titres de rap et de hip-hop, un ensemble de collaborations avec des artistes noirs. « Never Forget : a Journey of Revelations » contient une collaboration avec Prince, « Dear Mr. Man » est la reprise d’une chanson parue dans un précédent album de l’artiste décédé en 2016.

10. Matrix

Producteur de podcasts et de courts-métrages, Cornel West intervient aussi au cinéma dans plusieurs documentaires. Mais il doit surtout son statut d’acteur à ses performances dans deux des films de la trilogie Matrix, des sœurs Wachowski : Matrix Reloaded et Matrix Revolutions.

Il y incarne en 2003 le conseiller West, un membre du conseil de Zion, ville cachée abritant la population rebelle ayant réussi à échapper à l’emprise des machines et où finissent par se réfugier trois des héros, Neo, Morpheus et Trinity.

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