En concert, le pianiste Kimball Gallagher croise les influences

Ce 12 juin, sur la scène de la salle Gaveau (Paris), le musicien américain propose quelques rencontres inattendues entre compositeurs européens et africains.

Ulrich H. Brunnhuber, Kimball Gallagher, Nejia Abidi et Souhayl Guesmi (de g. à dr.) à Tunis, le 4 mars. 2023. © Abdel Belhadi

Publié le 12 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

Lundi 12 juin, le pianiste Kimball Gallagher pose son clavier sur la scène de la salle Gaveau pour un concert où Afrique et Europe se rencontrent, s’interpellent, se répondent et échangent. Des œuvres de Chopin et Mozart précéderont des compositions personnelles de l’artiste, mais aussi des morceaux de musique de chambre sénégalaise et tunisienne. Une rencontre aussi inattendue qu’atypique, à la fois classique et contemporaine, qui porte la marque de Gallagher dans ce spectacle intitulé à juste titre Nouvelles perceptions, nouveaux mondes.

Les chants wolofs du maître de la Kora, Magou Samb, répondront à ceux de la tunisienne Nejia Abidi sur des compositions de Kimball Gallagher et de Souhayl Guesmi, accompagnés d’Ulrich H. Brunnhuber au saxophone et d’Ahmed Litaiem à la ney, flûte traditionnelle tunisienne. Chaque morceau est une étape où la musique ouvre la porte d’un nouvel univers, une invitation à s’entendre et s’écouter. Un thème que Kimball Gallagher valorise notamment à travers l’ONG 88 International qu’il a fondée et qui dispense, en Tunisie, au Sénégal et à Saint-Martin, des programmes éducatifs pour l’épanouissement des adolescents à travers la musique.

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Jeune Afrique : Le concert à la salle Gaveau, le 12 juin, est inscrit dans la tournée 88, qu’est ce que cela signifie ?

Le concert est sous le label de 88 International, ONG que j’ai fondée après une tournée mondiale à travers 30 pays et sept continents. En disant tournée, j’entends aussi bien concerts que rencontres pédagogiques avec des élèves, à l’occasion de leçons privées ou de performances éducatives. L’aspect éducatif a marqué ces voyages qui se sont déroulés de 2008 à 2015. Cette exploration du monde a inclus, par exemple, beaucoup de visites en Tunisie, en Égypte, en Afghanistan, au Pakistan, dans des pays qui ne sont pas habituellement dans le programme d’un pianiste américain.

À partir de 2015, il me semblait évident qu’il fallait faire plus, et je me posais la question de comment toucher un public jeune. L’idée de construire de vrais programmes pédagogiques avec des partenaires institutionnels, parallèlement aux tournées et aux rencontres, a germé et aboutit à la création de 88 International. C’est-à-dire un cadre à partir duquel on crée, développe et installe des programmes éducatifs, musicaux qui trouvent un écho dans la société.

Pourquoi ce déploiement en Tunisie, notamment ?

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88 International a débuté à Taiwan, mais c’est à Tunis, avec l’association ADS de Radhi Meddeb et le ministère de l’Éducation qui a réactivé les clubs scolaires, que le projet a pris toute son envergure grâce à l’appui de la Banque européenne d’investissement (BEI) et la complicité du saxophoniste, Ulrich H. Brunnhuber. En Tunisie, les opportunités étaient là, avec beaucoup de bonne volonté et d’appuis divers. J’ai donné des concerts privés qui ont permis de soutenir le programme et de démarrer le projet qui évolue depuis 2015.

Ce type de mécénat, très anglo-saxon, est assez inhabituel dans un pays maghrébin, surtout s’agissant de sensibilisation d’adolescents à la musique.

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Il y a du mécénat, mais ce programme est principalement soutenu par des partenariats publics-privés et des fonds culturels et de développement au service de l’éducation. Notre tournée des lycées tunisiens n’était pas uniquement une initiation à la musique classique mais surtout une incitation à découvrir et encourager des talents, et que ces jeunes – qui sont des créateurs et des artistes spontanés – jouent leur propre musique, dans le genre de leur choix.

Ils sont à la convergence de différentes influences, d’où l’idée de responsabilisation et d’autonomisation de la jeunesse. Cette approche se construit à travers les clubs, un espace préservé dédié à la création, où les jeunes font leurs propres événements, leurs propres chansons. C’est ainsi que l’on valorise des compétences, le vivre ensemble, la responsabilisation, voire même la citoyenneté puisqu’il s’agit d’avoir un influence positive sur la communauté. Le réseau 88 fonctionne ; on vient de lancer Senegal88 dont les clubs sont jumelés avec dix clubs de Tunisia88.

Souhayl Guesmi, qui sera sur la scène Gaveau, à Paris, est issu de cette initiative 88 International ?

Oui, j’ai découvert ce natif de Beni Mtir (nord-ouest de la Tunisie) en 2012 ; il a composé ce morceau qui s’appelle Appel de l’Inconnu, une rencontre instrumentale et vocale qui illustre bien le fait que, tout au long de l’histoire de la musique, il y a eu des croisements de civilisation et des croisements d’influences. Souhayl Guesmi est dans cette continuité, dans le contexte d’une Tunisie moderne.

Finalement, que signifie être un compositeur tunisien dans le monde d’aujourd’hui, avec toutes les complications politiques et quantités d’influences globales ? Rendre cohérentes ces influences pour aboutir à une légitimité musicale, sans verser toutefois dans l’imitation ou le folklore, est la tâche complexe de l’artiste. Souhayl en offre une admirable démonstration avec ce cycle de chansons qui est au diapason du concert Nouvelles Perceptions, nouveaux mondes, une autre façon de regarder l’autre.

Le concert est dédié à l’Afrique, avec une recherche d’altérité et d’inspiration nouvelle…

C’est exactement à cette aune que s’inscrit le concert. J’ai programmé une pièce de Mozart, c’est une simple sonate de piano, mais son troisième mouvement est la fameuse Marche turque qui porte une influence ottomane. Un exemple de croisement de civilisations mais perçu, même à l’époque de sa création, comme art. Mozart a su interpréter les influences. Les deux mouvements qui précèdent La Marche turque sont plus typiques de Mozart, mais on peut entendre des influences ottomanes arriver par petites touches, comme suggérées, dans ces mouvements pour que la musique turque soit dominante dans le troisième mouvement. En débutant le concert par ce morceau, j’ai souhaité l’ancrer comme référence sur un parcours entre langage musical et influences.

Inversement, l’influence occidentale est également présente dans les autres musiques.

J’en fais l’expérience dans mes propres compositions ; les préludes que je présente à Gaveau sont des morceaux courts, dédiés chacun à quelqu’un qui a compté tout au long de la grande tournée de 88 concerts et on perçoit, pour chaque morceau, les influences des autres cultures. Le morceau dédié à l’Institut national afghan de musique, qui existait encore en 2010, a un rythme caractéristique que j’ai pu approcher à travers le minimalisme américain. La répétition, sur le mode du minimalisme américain, dans la composition sur ce rythme afghan de 7/8 donne la sensation d’une immersion. Une façon d’intégrer, en tant que compositeur et musicien, cette influence afghane.

Pourquoi choisir Chopin pour clore le concert ?

La musique accompagne ; elle peut être aussi une aide. Je m’attache à montrer qu’elle n’est pas anodine et fait sens. Ce morceau de Chopin est typique de la musique classique mais il révèle aussi les courants d’influences qui ont inspirés le compositeur, comme l’influence irlandaise dans Les Nocturnes, le style du bel canto ou encore la tarentelle qui était, à l’époque, une danse pour chasser les insectes dangereux. Chaque morceau de Chopin recèle des histoires cachées et mérite d’être décrypté. Mais ce final est une ample respiration.

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