En Afrique du Sud, la politique au temps du choléra
Cyril Ramaphosa et l’opposition se rejettent la responsabilité d’une épidémie de choléra qui a déjà fait 32 morts. Une mauvaise gestion des infrastructures est évoquée.
Les délestages d’électricité, les coupures d’eau, et maintenant le choléra. L’Afrique du Sud fait-elle un grand bond en arrière ? La dernière épidémie remonte à 2008 – elle s’était à l’époque déclarée au Zimbabwe voisin avant de faire 65 morts en Afrique du Sud. L’origine de cette nouvelle épidémie identifiée en février n’est pas connue, mais les habitants du township de Hammanskraal, au nord de Pretoria, épicentre de l’épidémie, se plaignent de la mauvaise qualité de l’eau depuis plusieurs années.
Un grand bond en arrière ?
« Il est fort probable que l’épidémie de choléra soit le résultat de la dispersion d’eaux usées non traitées, observe Carin Bosman, consultante sur les questions de gestion de l’eau. On voit régulièrement apparaître une épidémie de choléra quand il y a une faille dans les systèmes de gestion de l’eau. » Le manque de maintenance et d’investissement dans de nouvelles infrastructures peut entraîner le rejet d’eaux usées dans les rivières et les réservoirs qui alimentent la ville. Les populations les plus pauvres, qui puisent dans la rivière, sont davantage exposées.
Carin Bosman pointe également un manque de vigilance des autorités. En 2014, le gouvernement a interrompu la publication du rapport d’enquête annuel Blue Drop/Green Drop qui analyse la qualité de l’eau et sa gestion par les communes dont c’est la responsabilité. Cet abandon « a conduit à un déclin significatif des performances des municipalités sur leur gestion des eaux usées et du niveau de maintenance », relève-t-elle. Le rapport a été réintroduit en 2022 et sa dernière enquête, sortie début juin, note « un déclin de la qualité de l’eau potable ». De nombreuses infrastructures ne sont plus aux normes. Sur 150 stations d’eau potable analysées, 15 % sont en mauvais état. Les stations d’épuration sont aussi en souffrance.
Nous vous avons laissé tomber », a reconnu le président Ramaphosa
« Nous vous avons laissé tomber », a reconnu le président Cyril Ramaphosa en visite dans le township de Hammanskraal, le 8 juin. Le chef de l’État a rapidement accolé ce « nous » à la municipalité de Pretoria dirigée par l’Alliance démocratique (DA), le premier parti d’opposition. « Il y a de nombreux problèmes liés à l’eau ici à Tshwane [municipalité de Pretoria], a-t-il pointé du doigt. La municipalité reçoit de l’argent tous les mois pour fournir l’eau, mais vous n’en voyez pas les résultats même si vous payez pour ce service. »
La DA montrée du doigt
Le maire de Tshwane, Cilliers Brink, élu il y a seulement deux mois, était assis à quelques mètres du président. Son parti, la DA, dirige Tshwane depuis 2016 et tire son pouvoir de la gestion des grandes municipalités comme Pretoria et Johannesburg. Il fait de la bonne gouvernance de ses villes, comme le Cap, un argument de campagne. Mais la crise du choléra risque de brouiller le message.
« C’est très mauvais pour eux car ils ne cessent de répéter que là où ils sont au pouvoir, les villes sont bien gérées. Mais dans ce cas-là, on ne voit pas de bonne gouvernance. Ils vont devoir travailler dur pour restaurer leur image et s’assurer d’avoir une belle histoire à raconter pour les élections qui approchent [en 2024] », note le politologue Levy Ndou.
En politique comme en football, la meilleure défense c’est l’attaque, et la DA en a fait la démonstration dans un récent communiqué. « Il est tout à fait clair que le gouvernement ANC [Congrès national africain] est incapable de fournir les services de base auxquels les Sud-Africains ont droit », a-t-il contre-attaqué. Pourtant, la crise du choléra offre une occasion à l’ANC d’inverser l’accusation. Elle permet aussi d’appuyer l’image d’un parti de blancs qui ne s’intéresse pas au sort des populations noires marginalisées. « On sait pour qui ils travaillent », a insinué Fikile Mbalula, le secrétaire général de l’ANC, devant les habitants de Hammanskraal.
Ni eau ni électricité
Se souviennent-ils que c’est l’ANC qui était à la tête de la municipalité jusqu’en 2016 ? D’ailleurs, « la consommation d’eau polluée remonte au moins à 2008 », selon la Commission sud-africaine des droits de l’homme dans un rapport publié en 2021. « La raison principale de ces niveaux inacceptables de pollution, c’est l’incapacité à gérer et maintenir les stations d’épuration de Tshwane depuis plusieurs années », pointe le rapport.
« Nous sommes désolés, nous n’avons pas été capables de vous fournir de l’eau propre », a admis Cyril Ramaphosa devant les habitants d’Hammanskral après avoir constaté les tuyaux percés de la station de Rooiwal. Le chef de l’État a dévoilé des solutions d’urgence avant la remise aux normes de la station qui pourrait prendre trois ans. En attendant, il a proposé aux habitants de faire bouillir l’eau pour tuer les bactéries. Mais ceux-ci lui ont répondu qu’ils n’avaient pas non plus d’électricité.
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