Mahamoud Ali Youssouf : « Au Soudan, l’urgence absolue est de protéger les civils »

Le ministre djiboutien des Affaires étrangères insiste sur le rôle que peut et doit jouer l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) dans la résolution de la crise qui déchire le Soudan depuis le 15 avril.

Mahamoud Ali Youssouf, ministre djiboutien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, porte-parole du gouvernement. À Djibouti, le 21 octobre 2020. © Vincent Fournier pour JA

Soufiane Khabbachi. © Vincent Fournier pour JA

Publié le 15 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

L’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) peut-elle réussir là où déjà tant d’autres ont échoué ? Le 12 juin à Djibouti, lors de son 14e sommet ordinaire, ses dirigeants ont choisi de restructurer la médiation chargée de trouver une issue à la guerre qui déchire le Soudan. Les pays décisionnaires, jusqu’ici au nombre de trois (Djibouti, Kenya, Soudan du Sud), compte désormais un nouveau membre : l’Éthiopie. C’est ce quartet qui va devoir proposer des pistes pour mettre un terme à un conflit qui, depuis le 15 avril, a déjà fait près de 1 800 morts et 2 millions de déplacés.

En début de semaine, l’Igad a adopté une feuille de route ambitieuse qui prévoit notamment l’ouverture d’un canal de discussion direct entre les généraux Burhane et Hemetti – qui n’ont, depuis le début des violences, jamais échangé directement. Est-ce réaliste ? Quel rôle l’Igad peut-elle jouer ? Explications avec le ministre djiboutien des Affaires étrangères, Mahamoud Ali Youssouf.

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Jeune Afrique : La feuille de route adoptée ce 12 juin n’est-elle pas trop optimiste ?

Mahamoud Ali Youssouf : Les chefs d’État de l’Igad ont conscience de la complexité de la situation au Soudan, et de la difficulté que posent les combats continus à Khartoum et dans d’autres régions. Il ne faut pas se dire que nous allons tout faire en même temps, il faut exécuter le plan qui a été établi de manière progressive. Pour ce faire, il faut d’abord impérativement arriver à un cessez-le-feu. Et pour y parvenir, nous devons faire en sorte que les deux chefs militaires concernés puissent se rencontrer.

C’est tout le sens du quartet mis en place, qui désignera d’ailleurs un envoyé spécial et dont les actions seront coordonnées par Djibouti – qui vient de prendre la présidence tournante de l’Igad. L’objectif est d’arriver dans un délai de deux semaines à organiser cette entrevue entre les deux chefs militaires. Si on y arrive, nous pourrons ensuite parler de respect du cessez-le-feu. Leurs représentants ont déjà eu des rencontre à Djeddah, en Arabie saoudite. Des trêves ont été décidées mais elles n’ont pas été respectées.

Mais comment faire dialoguer deux généraux qui ne veulent pas se parler ?

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Il y aura bien entendu une phase préparatoire à cette rencontre, qui n’aura pas forcément lieu au Soudan, et les représentants des généraux Burhane et Hemetti pourront, en amont, rencontrer ceux du quartet. J’insiste parce que le Soudan a besoin d’une trêve qui ne dure pas seulement vingt-quatre ou quarante-huit heures, et qui permette d’aller vers les autres points du plan préparé par l’Igad.

L’urgence absolue est de protéger et de sauver les populations civiles. Le plan dont je vous parle prévoit notamment la création d’un périmètre de 50 kilomètres loin des zones urbaines pour que les militaires soient positionnés le plus loin possible des zones habitées.

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Le volet politique est aussi très important. On ne peut pas parler de cessez-le-feu et de négociations s’il n’y a pas de remise sur les rails du processus politique. Des structures censées favoriser la transition du pouvoir vers les civils avaient été mises en place, nous devons les remettre en marche.

Si le conflit venait à s’enliser, l’Igad pourrait-elle envisager d’adopter des sanctions contre les belligérants, comme l’ont récemment fait les Américains ?

Pour l’instant, nous voulons donner une chance à la médiation de l’Igad et au plan de désescalade adopté par l’Union africaine [UA]. Le président de la Commission africaine, Moussa Faki Mahamat, était d’ailleurs présent au sommet de l’Igad. Il faut combiner le plan de l’UA avec le nôtre pour aller rapidement vers les objectifs que nous nous sommes fixés.

Jusqu’ici, les principales tentatives de médiation sont néanmoins venues d’Arabie Saoudite et des États-Unis. Comment accueillez-vous ces initiatives ?

Qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Arabie saoudite ou de l’UA, qui est quand même la principale concernée, l’Igad a accueilli toutes ces médiations favorablement et en a reconnu l’importance dans son communiqué final. Le plus important est de créer une forme de cohérence au sein de ces actions éparses menées en faveur du peuple soudanais.

Il faut une seule courroie de transmission, et nous pensons que c’est à l’Igad d’être à la manœuvre pour que se concrétisent sur le terrain les objectifs arrêtés, qui sont d’ailleurs les mêmes que ceux des autres médiations : arriver à un cessez-le-feu, ouvrir des couloirs humanitaires, remettre le processus politique sur les rails.

Le sommet du 12 juin a également été marqué par le retour de l’Érythrée au sein de l’organisation, après 16 ans d’absence. Qu’est-ce qui a débloqué la situation ?

Lorsque l’Érythrée a suspendu son adhésion, elle l’a fait de manière souveraine. Cette décision lui appartenait. Elle a fait part à l’Igad, par un courrier officiel envoyé à son secrétaire général, de sa volonté de réintégrer l’organisation. Sa requête a été accueillie favorablement, et cela est normal : une plateforme multilatérale est faite pour que tous les problèmes qui concernent la région puissent y être débattus et discutés.

L’Igad est le principal moteur de ce que nous souhaitons collectivement pour la région : la paix, une meilleure intégration économique et sociale entre les États membres, et l’ambition pour notre région de constituer une pierre angulaire de l’édifice africain.

En mars dernier, le président Ismaïl Omar Guelleh déclarait dans nos colonnes qu’aucune amélioration n’avait eu lieu entre lui et son homologue Issayas Afeworki. Le ministre érythréen des Affaires étrangères était présent à Djibouti pour le sommet de l’Igad. Les relations bilatérales ont-elles évolué ?

Non, elles sont au point mort. Mais nous faisons la part des choses. L’Igad est une organisation intergouvernementale qui appartient à tous les États membres et, à ce titre, l’Érythrée est dans son plein droit de participer aux réunions, que celles-ci se tiennent à Djibouti ou ailleurs. Mais sur le plan bilatéral, il n’y a aucune avancée et aucun progrès depuis trois ans.

Avez-vous échangé avec votre homologue érythréen lors du sommet ?

Nous échangeons toujours, mais le blocage vient de leur côté, et jamais du nôtre. Nous avons fait à chaque fois le premier pas. Djibouti est connu pour être un pays de paix, en faveur du bon voisinage, toujours cohérent dans sa politique étrangère. Le monde sait qui fait les efforts vis-à-vis des autres et qui ne les fait pas.

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