Entre la Tunisie et la Turquie, péril sur le partenariat économique
Affaibli par une balance commerciale fortement déficitaire, Tunis envisage de modifier son partenariat économique avec Ankara et remet sur la table « la menace » de révision de l’accord de libre-échange de 2005. Décryptage.
Pour Tunis, il est temps de tout remettre à plat. « La Tunisie est en droit de revoir les termes de son partenariat avec Ankara pour remédier aux déséquilibres de la balance des échanges commerciaux entre les deux pays », a asséné Samir Saïd, le ministre tunisien de l’Économie et de la Planification, le 9 juin, devant des journalistes.
L’initiative est presque un serpent de mer en Tunisie, alors que le pays peine à équilibrer sa balance commerciale déficitaire. Déjà en 2017, Nidaa Tounes, ancien parti au pouvoir, avait évoqué la suspension pour cinq ans dudit accord. Quelques jours après le coup de force de Kaïs Saïed en 2021, le ministre du Commerce, Mohamed Boussaid, avait déclaré : « La Tunisie a demandé la révision de l’accord avec la Turquie pour protéger la production nationale ». En vain.
Un gouffre financier
Signé en 2005, entre l’ancien ministre tunisien du Commerce et de l’Artisanat, Mondher Zenaidi, et l’ancien ministre d’État turc, Kürşad Tüzmen, l’accord de libre-échange couronnait une ambition commune, celle de « renforcer la coopération économique et commerciale » entre les deux pays. Mais, depuis 2011, « la balance commerciale est devenue fortement déficitaire avec la Turquie, mais aussi la Chine et l’Italie », précise Moez Joudi, président de l’Association tunisienne de la gouvernance, à Jeune Afrique. « Le déficit des échanges avec Ankara s’est creusé avec l’importation de produits non-essentiels qui passent souvent par des circuits non structurés », ajoute-t-il.
Selon le dernier bulletin de l’Institut national de la statistique (INS) daté de mars 2023, la balance commerciale de la Tunisie affiche un déficit de 25 milliards de dinars (environ 7,5 milliards d’euros). Au moment où les importations ont atteint 82,7 milliards de dinars, les exportations se limitent, elles, à 57,5 milliards de dinars. À noter que les importations tunisiennes ont connu une augmentation avec la Russie (+212,5 %), les États-Unis (+141,4 %), la Chine (+16,4 %) et la Turquie (+19,9 %), d’après les données de l’établissement public tunisien.
Une mauvaise stratégie ?
En 2022, Tunis a importé des marchandises pour environ 4,7 milliards de dinars depuis Ankara, selon l’INS, tandis que les exportations vers la Turquie n’ont pas dépassé la barre de un milliard de dinars . « Il faut revoir la liste des produits importés et réduire le déficit avec la Turquie pour éviter la faillite des producteurs tunisiens », insiste Moez Joudi. Toutefois, un autre économiste désapprouve « une lecture superficielle des chiffres ».
A contrario, Moez Soussi, expert en évaluation des politiques économiques, estime que « le pouvoir en Tunisie fait fausse route ». Pour l’heure, la Tunisie importe des biens d’équipement, des biens de production et quelques biens de consommation depuis la Turquie. « Cette tendance est dictée par la dépréciation du dinar et l’incapacité de Tunis à faire ses courses ailleurs », affirme l’analyste pour qui « la Turquie reste un pays compétitif car si la Tunisie envisage de se tourner vers l’Union européenne, elle paiera deux, voire trois fois, plus cher ».
En Tunisie, les réserves en devises ne dépassent pas 91 jours d’importation, soit leur plus bas niveau depuis le début de l’année. Et pour renflouer les caisses et contourner le déficit de la balance commerciale, qui s’est creusé de 40 % entre 2021 et 2022, Moez Soussi appelle le gouvernement à être « astucieux » : « Revenir sur les principes fondamentaux avec les partenaires entacherait la réputation de la Tunisie à l’international. »
L’expert juge « inutile » de se lancer sur tous les fronts actuellement. La priorité serait d’exploiter au maximum les biens d’équipement et les biens de production importés depuis la Turquie pour booster la productivité et la compétitivité de la Tunisie. « Afin de retrouver un équilibre dans la balance des capitaux, Tunis peut aussi combler le déficit des échanges commerciaux par la négociation des investissements directs étrangers venant d’Ankara », conclut Moez Soussi.
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