L’impossible transition verte des pétroliers en Afrique
Malgré la multiplication des projets renouvelables portés par les géants de l’or noir, les efforts de ces derniers demeurent limités sur le plan financier en raison de nombreuses contraintes. La donne pourrait-elle changer ?
Dans le domaine RSE, la lente montée en régime des entreprises africaines
Verdissement des stratégies commerciales, mise en valeur des ressources humaines et des formations, développement des certifications… Les actions concernant la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) progressent sur le continent, mais la route est encore longue.
« Dans la promotion d’une transition juste, il est crucial d’adopter une approche différente entre les pays à économie avancée et les pays à économie émergente. » Telle est la position du géant pétrolier italien ENI, très actif sur le renouvelable en Afrique, face au défi de la transition verte des producteurs d’or noir sur le continent.
Cette déclaration éclaire le bilan en demi-teinte des efforts réalisés dans le domaine. D’un côté, les projets verts ne cessent de se multiplier. Shell a acheté fin 2022 au Nigeria le producteur d’énergie solaire Daystar Power avec en vue 400 MW de projets. TotalEnergies investit, via Total Eren, dans des parcs photovoltaïques en Égypte, au Burkina Faso et en Ouganda. Sonatrach est à la manœuvre avec Sonelgaz pour porter un méga plan solaire en Algérie. ENI, qui développe au Kenya depuis l’an dernier un hub agricole (lié à sa bioraffinerie de Gela en Italie), souhaite faire de même au Congo, en Angola, au Mozambique, en Côte d’Ivoire et au Rwanda…
Dichotomie
De l’autre, force est de reconnaître que ces projets font office de goutte d’eau dans l’océan à l’échelle mondiale. Là où les membres du « big oil » comme Shell, Abu Dhabi National Oil, Aramco ou encore BP investissent des milliards de dollars en Europe, en Amérique du Nord et dans le Golfe dans des méga-projets renouvelables, sur le continent, les budgets restent bien plus modestes pour les majors et très limités pour les compagnies nationales africaines.
Interrogés sur cette dichotomie, les acteurs pétroliers avancent tous les mêmes explications. L’une des principales, qui concerne la zone subsaharienne hors Afrique du sud, tient à la faiblesse des réseaux énergétiques. « La taille moyenne des parcs solaires au sud du Sahara est de quelques dizaines de MW. Or, les pétroliers sont habitués aux projets de très grande taille. Dans ce contexte, il leur est difficile d’en développer dans le solaire ou l’éolien », pointe un opérateur indépendant dans le renouvelable.
À cela s’ajoutent différentes contraintes comme la nécessité d’un solide cadre légal pour les IPP (Independent Power Producer : producteur indépendant d’énergie). Si certains pays se sont depuis longtemps dotés de dispositifs robustes, comme la Côte d’Ivoire (2014) et le Ghana (2011), d’autres ont été plus lents. Au Bénin, la loi de libéralisation de l’électricité date ainsi de 2020.
Ainsi, si les énergies vertes « sont d’ores et déjà compétitives en termes de coûts », « des investissements initiaux importants, combinés à des cadres réglementaires défavorables, peuvent dans de nombreux cas rendre les solutions à base de combustibles fossiles plus simples et moins chères à financer », a pointé l’ ‘Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) en 2021. De ce fait, les compagnies pétrolières internationales devraient pour les grands projets se focaliser sur quelques pays seulement, dont l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Angola et le Maroc, avance le cabinet Rystad Energy.
Générer des devises
Pour expliquer la lenteur de la mutation, les opérateurs pétroliers et gaziers rappellent une autre donnée : la hausse des exigences en matière de développement durable s’accompagne du maintien de la demande d’États, contribuant peu aux émissions de gaz à effet de serre et devant développer leur pays, pour l’exploitation des énergies fossiles. « Il s’agit toujours, en priorité, de générer à travers les projets pétroliers des devises à l’exportation, de s’assurer de ressources fiscales, de développer l’emploi ou de contenir le prix des carburants », confirme un expert énergétique.
Les chefs d’État sont les premiers défenseurs de cette ligne, de Yoweri Museveni en Ouganda, ardent promoteur de l’East African Crude Oil Pipeline Project (EACOP, entre l’Ouganda et la Tanzanie), à Alassane Ouattara, qui mise sur le champs offshore Baleine pour doper l’économie ivoirienne, en passant par le nouveau président nigérian Bola Tinubu qui veut doubler la production de brut du pays. Même son de cloche au Sénégal, de la part de Macky Sall, qui juge que le projet offshore GTA sera « transformatif » dès la fin de 2023 pour le pays de la Teranga notamment dans une logique « gas to power ». En écho, quelque 300 patrons du continent ont réaffirmé leur soutien aux projets gaziers et pétroliers fin mai dans une tribune publiée par Jeune Afrique.
Pour autant, au fur et à mesure que les obstacles à l’essor du renouvelable s’abaisseront, le monde pétrolier devrait accélérer ses efforts en faveur de la transition, ne serait-ce qu’en raison du potentiel vert dont recèle le continent. Dans son scénario le plus optimiste, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), prévoit l’installation de 242 GW de capacités électriques renouvelables additionnelles en Afrique entre 2021 et 2030, soit dix fois plus que la décennie précédente, contre seulement 46 GW pour les énergies fossiles.
Certains explorent aussi d’autres options, dont les « solutions basées sur la nature ». TotalEnergies a pris l’an dernier une participation dans la Compagnie des Bois du Gabon dans le cadre d’un plan plus général de génération de crédits carbone à travers la foresterie. À noter toutefois que les analystes de Rystad Energy se montrent prudents sur ce segment au vu des « doutes » sur la qualité des crédits et de l’évolution erratique de leur prix. Ces derniers jugent le domaine des crédits liés à l’efficacité énergétique plus prometteur.
Hydrogène
Une autre piste étudiée est l’alimentation de sites miniers isolés non raccordés aux réseaux nationaux. Le distributeur Vivo a plusieurs projets à son actif, dont un au Mali, quand Total Eren, en partenariat avec le britannique Chariot, ex-junior pétrolière londonienne en reconversion vers l’énergie bas carbone en Afrique, vise aussi ce créneau. Les deux partenaires ont ainsi révélé, fin 2022, au Zimbabwe un projet de parc solaire de 30 MW extensible à 300 MW pour la future mine de platine de Karo du groupe Tharisa.
Enfin, les pétroliers devraient être à la manœuvre ces prochaines années sur un sujet en vogue : l’hydrogène. S’il reste encore spéculatif en termes de faisabilité, ce domaine présente toutes les caractéristiques capables de séduire les majors, à savoir des investissements massifs et concentrés géographiquement ainsi qu’une ingénierie complexe. Nécessitant de grands espaces, un fort ensoleillement ou du vent en quantité et la proximité de l’eau, ces projets se situent majoritairement en Afrique du Nord, promus par des opérateurs indépendants tel que l’américain CWP Global, des entreprises minières comme Fortescue mais aussi des pétroliers.
Fin 2022, BP a confirmé la mise à l’étude de projets dans l’hydrogène à très grande échelle en Mauritanie. Dans ce même pays, Total Eren et Chariot travaillent depuis septembre 2022 sur le projet Noor, de 10 GW de capacité d’électrolyse. Le groupe dirigé par Patrick Pouyanné vient par ailleurs, lors de sa dernière assemblée générale, le 26 mai, de confirmer la mise à l’étude d’un mégaprojet au Maroc, avec un possible investissement de 10 milliards de dollars pour la production d’hydrogène et d’ammoniac dans la région de Guelmim-Oued Noun. Quant à ENI, il collabore avec Sonatrach sur un projet-pilote hydrogène en Algérie. In fine, souligne Per Magnus Nysveen, le directeur de la recherche de Rystad Energy, les géants de l’or noir passent au vert aussi en Afrique mais dans une logique « d’addition énergétique » plus que de transition.
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