Les seniors, les Vieux et l’Afrique
D’ici à 2050, l’Afrique comptera près de 200 millions de personnes âgées de plus de 60 ans. Pas d’inquiétude : le continent sait s’occuper de ses personnes âgées, et l’Occident devrait s’en inspirer, selon le professeur Edmond Bertrand.
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Edmond Bertrand
Doyen honoraire de la faculté de médecine d’Abidjan, membre correspondant de l’Académie française de médecine
Publié le 18 juin 2023 Lecture : 3 minutes.
Comment désigner ces femmes et ces hommes qui vivent 75, 80, 90 ans ou plus ? En Afrique, qu’ils soient présidents ou paysans, ils sont simplement et très respectueusement appelés « les Vieux ». Dans la civilisation française d’origine judéo-chrétienne et « droit de l’hommiste », on hésite : troisième, quatrième âge ? Personnes âgées ? Anciens ? Aînés ? Mieux : seniors ! Cette difficulté lexicale se double d’une difficulté de comportement des plus jeunes envers leurs aînés.
Utiles à la communauté
L’épidémie de Covid-19 a clairement orienté le débat : les seniors français ont subi une mortalité catastrophique, ce qui n’a pas été le cas des Vieux africains. À l’origine de cette différence surprenante, la prise en charge des uns et des autres et, plus généralement, l’attitude civilisationnelle à leur égard, qui a pénalisé les premiers et protégé les seconds.
Les Vieux africains vivent dispersés dans des familles où ils ont des activités utiles : ils gardent les enfants, qui jouent et requièrent leur vigilance, font de petits travaux d’entretien, maintiennent le contact avec les voisins ou les visiteurs. Bref, ils vivent aussi activement qu’ils le peuvent.
Les seniors occidentaux, au contraire, ont été rassemblés dans des établissements payants où, certes, on les loge et on les nourrit, mais où ils n’ont aucune initiative, aucune activité utile à la communauté. Ils sont très souvent isolés et n’ont de lien avec l’actualité qu’à travers la télévision, la radio… ou rien du tout ! Ils peuvent recevoir leur famille ou des amis, mais à des horaires réglementés et à condition que les enfants se tiennent tranquilles. Leur liberté est très limitée et ils se sentent inutiles. Ils survivent.
On comprend les motifs invoqués par notre société : obligations liées à la profession ou à l’éducation des enfants, qu’il faut accompagner à l’école, chez la « nounou » ou aux activités sportives, etc. Surtout, les logements sont trop petits pour que puissent y vivre ensemble deux générations. Tout cela est vrai. Il faut donc qu’existe une prise en charge des seniors… mais radicalement différente du système des EPHAD et dont le but ne soit pas économique.
Kofi Yamgnane, un précurseur
L’objectif essentiel de cette prise en charge doit être d’éviter l’isolement et l’inutilité sociale. Pour cela, elle doit se faire en petites communautés, où les pensionnaires qui ont des points communs peuvent se rencontrer aisément ; où la famille, les enfants et les amis sont accueillis facilement ; où les pensionnaires choisissent et organisent eux-mêmes leurs sorties.
L’expérience des seniors pourrait être utilisée et agrémenter leur propre vie. Une salle serait à la disposition des enseignants souhaitant aider des enfants en difficulté scolaire. Un atelier de bricolage permettrait à certains pensionnaires d’exercer leurs talents pour leur plaisir et au bénéfice de tous. On peut prévoir des ateliers d’écriture pour les seniors qui veulent raconter leur vie. Ou des ateliers de lecture pour discuter, etc.
Les personnes âgées peuvent participer activement à la vie de leur communauté. C’est ainsi qu’en France des Conseils de seniors ou de sages auprès de leurs municipalités aident à la gestion de leurs villes. Le premier a probablement été créé à Saint-Coulitz par Kofi Yamgnane, d’origine togolaise, maire de sa commune pendant douze ans. À Carry-le-Rouet, le professeur Pierre Pène, maire pendant vingt-quatre ans après une brillante carrière universitaire à Dakar, Abidjan et Marseille, a créé un Conseil des sages auprès de sa municipalité. Depuis, d’autres villes ont fait de même. Alors, pourquoi pas une gestion des seniors par eux-mêmes ou avec leur concours ?
« Respecté et honoré »
En Afrique le comportement à l’égard des Vieux, hommes et femmes, rend souvent heureux cet âge avancé de la vie. Au moment de prendre sa retraite « au village », à 68 ans, l’un de mes patients, directeur d’une grande banque, m’a dit : « Jusqu’ici, j’ai été respecté. Désormais, je serai respecté et honoré. »
La civilisation africaine a d’autres aspects positifs que la civilisation occidentale n’a pas ou n’a plus. Il en est ainsi de l’accompagnement des malades, qui ne sont jamais abandonnés. C’est aussi le cas de l’absence de chasse autre qu’alimentaire ou défensive, ou du respect de la forêt autour des petites plantations familiales. Ou encore des pêcheurs qui, sur leurs petites barques, apportent le poisson à leur famille ou le vendent au débarcadère en maudissant les bateaux-usines d’origine étrangère qui dévastent les fonds marins.
Alors que l’Afrique est en passe de devenir le continent le plus peuplé, le plus jeune et le plus riche en ressources minérales, y compris en métaux rares, espérons que les Africains ne se laisseront pas imposer des méthodes sociales, culturelles et même économiques (les fameux « ajustements structurels ») venues d’ailleurs.
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