Quel avenir pour le plastique en Afrique ?
La mobilisation des entreprises pour réduire l’utilisation des dérivés d’hydrocarbures et accélérer leur recyclage se révèle insuffisante face à l’ampleur du défi. Le soutien des États et un recours accru à l’innovation apparaissent indispensables.
Dans le domaine RSE, la lente montée en régime des entreprises africaines
Verdissement des stratégies commerciales, mise en valeur des ressources humaines et des formations, développement des certifications… Les actions concernant la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) progressent sur le continent, mais la route est encore longue.
Repenser les emballages, recycler les bouteilles, investir dans des matériaux biodégradables… En Afrique comme ailleurs dans le monde, le secteur privé est engagé dans une bataille pour réduire l’utilisation du plastique. Le sujet est complexe.
Si la consommation africaine de ce matériau est l’une des plus faibles au monde – 16 kg par habitant et par an, contre une moyenne de 156 kg dans les pays membres de l’OCDE et de 255 kg aux États-Unis, en 2019, selon le rapport Perspectives mondiales des plastiques de l’OCDE, paru en 2022 –, elle ne pourra que fortement augmenter à l’avenir sous l’effet conjugué de l’essor démographique, de l’urbanisation et de l’émergence de classes moyennes.
Les importations de plastique doivent doubler d’ici à 2030 en Égypte, au Nigeria, en Afrique du Sud, en Algérie, au Maroc et en Tunisie, a établi en 2019 une étude de chercheurs nigérians publiée dans la revue Environmental Sciences Europe.
Dans le même temps, se passer de plastique, composant dont les propriétés (solidité, légèreté, résistance) l’ont rendu irremplaçable, apparaît plus difficile en Afrique qu’ailleurs dans le monde en raison des contraintes logistiques et du manque d’infrastructures dont pâtit le continent. Le mauvais état de certaines routes exclut, par exemple, les économies sur les films protecteurs sous peine de retrouver des produits en mauvais état à l’arrivée.
En Afrique du Sud, la fin du greenwashing
Malgré ces difficultés, les initiatives privées émanant aussi bien de multinationales que de PME se multiplient, dans un contexte où certains États s’emparent du sujet. D’où cette question : face au plastique, a-t-on dépassé le stade du greenwashing sur le continent ?
Pour l’heure, seule l’Afrique du Sud se démarque. C’est la « référence sur le plan des infrastructures de collecte et de recyclage, de la réglementation et de la sensibilisation des consommateurs », a souligné en 2020 le cabinet EY dans un rapport. Avec des résultats tangibles : 70 % des déchets plastiques sont collectés dans le pays, dont 14 % sont recyclés et 45 % traités en décharge ou incinérés, quand les géants des boissons, de l’agroalimentaire et de la grande distribution, via une alliance au sein de PET Recycling Company (Petco), ont fait passer le taux d’utilisation des bouteilles PET (composées en partie de matériaux recyclés) de 16 à 63 % entre 2005 et 2021.
« Beaucoup ont été surpris par la vitesse de la progression », commente Bertrand Assamoi, directeur du bureau ivoirien de Dalberg et qui a piloté plusieurs rapports sur le potentiel de l’économie circulaire sur le continent.
Ailleurs, les avancées sont plus timides. Si le Rwanda a été, en 2008, pionnier de l’interdiction des sacs plastiques – plus d’une trentaine de pays lui ont emboîté le pas –, ces restrictions peinent souvent à être mises en œuvre. Au Kenya, malgré les investissements d’industriels dont le champion des emballages et de l’imprimerie Ramco Plexus dans de nouveaux procédés et produits, on est encore loin de la constitution d’une véritable filière.
Et si au Maroc, Marjane et Carrefour expérimentent bien des solutions zéro déchet dans leurs supermarchés, il reste encore beaucoup à faire pour réduire l’utilisation du plastique. Tandis qu’au Nigeria, la pourtant dynamique Food and Beverage Recycling Alliance (FBRA) ne compte que 29 membres sur les plus de 1 000 acteurs du secteur des boissons et de l’alimentation présents dans le pays.
Nombreux obstacles au recyclage
Les obstacles au déploiement du « good for the planet, good for the business » sont multiples. Le paysage des producteurs et utilisateurs de plastique comprend un très grand nombre d’acteurs à la taille et au profil variés, ce qui rend difficile une action d’ampleur et concertée. Les insuffisances logistiques dans beaucoup de pays compliquent la collecte et, par ricochet, l’émergence d’une économie circulaire.
« Avant d’investir dans une unité de recyclage, il faut que la collecte soit organisée. Sauf qu’il est délicat d’amorcer la collecte sans avoir une idée claire de qui va acheter les déchets collectés… », résume Samu Salo, spécialiste de l’industrie au sein de la Société financière internationale (IFC), filiale dédiée au secteur privé de la Banque mondiale (BM). Le prix du plastique recyclé représente un autre problème. « Dans la plupart des cas, celui-ci coûte plus cher que le plastique neuf, ce qui empêche sa généralisation et la réorientation de l’industrie autour de lui », pointe Bertrand Assamoi, de Dalberg.
Comme pour les produits alimentaires et les engrais, il y a un enjeu de souveraineté
Alors, comment aller de l’avant ? Industriels, décideurs et experts s’accordent à dire que les États ont un rôle moteur à jouer. De fait, ils sont les seuls à même de piloter la création d’une chaîne de valeur allant de la collecte des déchets à leur recyclage. Cela signifie organiser un écosystème comprenant des ramasseurs individuels évoluant bien souvent dans le secteur informel, des start-up et PME, des champions nationaux et des filiales de multinationales.
Comme pour les produits alimentaires et les engrais, il y a un enjeu de souveraineté : en finir avec la dépendance aux importations de résine (matière première servant à produire les bouteilles), contenants neuf et déchets en encourageant la production et le recyclage réalisés localement avec création de valeur ajoutée et d’emplois à la clé.
Au Nigeria, le mouvement est en marche. Alors que l’un des leaders nationaux de la plasturgie, Polysmart, produit déjà sur place des sacs en matériaux 100 % recyclés, Alef Recycling s’est lancé depuis 2018 sur le créneau du recyclage des bouteilles PET. Quant à EngeePET, l’un des rares producteurs de résine PET en zone subsaharienne, il a décroché 39 millions de dollars auprès d’IFC en 2020 pour augmenter ses capacités de production et développer l’approvisionnement local en matières premières (en remplacement de déchets plastiques importés), ce qui doit permettre de doubler le volume de bouteilles recyclées chaque année dans le pays.
Cadre réglementaire
Outre le soutien aux infrastructures, l’autre levier public à actionner est le renforcement du cadre réglementaire. En complément des interdictions de certains produits, l’instauration de taxes et de normes permet de favoriser le plastique recyclé au détriment du neuf, mais aussi, par exemple, de pousser les emballages à base d’un unique composant, plus faciles à recycler.
L’intervention des États devrait se concentrer sur la collecte
Sans oublier le déploiement, en ligne avec son adoption au niveau mondial, de législation sur la responsabilité élargie du producteur (REP), qui oblige les industriels à gérer les emballages après leur utilisation, recyclage compris. Le Sénégal, la Gambie et le Zimbabwe mais aussi le Kenya et l’Afrique du Sud, entre autres, sont mobilisés sur le sujet.
« Une meilleure organisation de la collecte, via une forte implication des États, devrait permettre de constituer une bonne source d’approvisionnement pour la production de matières recyclées », avance Abbas Badreddine, président de Plastica, leader ivoirien de la plasturgie actif en Afrique de l’Ouest francophone et en Europe, qui a investi dans des lignes de recyclage et est membre de l’Association ivoirienne de valorisation des déchets plastiques (AIVP). Pour l’heure, seuls 4 % des déchets solides municipaux sont recyclés en moyenne en Afrique, selon le Programme des Nations unies pour les établissements humains (UN-Habitat).
« En Côte d’Ivoire, via un partenariat avec le groupe Castel, nous collectons et recyclons d’anciens casiers de bouteilles. Nous avons aussi mis en place un système pour récupérer d’autres déchets à travers des bacs et grâce à un réseau de femmes-collectrices rémunérées, reprend le dirigeant. Mais, à la base, l’organisation de cette collecte n’est pas de notre ressort et il est fondamental de monter en volume pour rentabiliser les lignes dans lesquelles nous avons investi. »
Innovation
En attendant, le secteur privé, très actif sur le volet collecte quelle que soit la taille des acteurs, a déjà prouvé qu’il sait aussi revoir sa copie sur le plan industriel.
Les géants de l’agroalimentaire comme Coca-Cola, Diageo, Nestlé et Unilever – qui se sont engagés à recycler 100 % de leurs emballages au niveau mondial d’ici à 2025 ou 2030 – cherchent tous à se sevrer du plastique neuf : réduction de quelques grammes du poids du bouchon ou des préformes chez Coca-Cola ; suppression des languettes sur le bouchon et le col des bouteilles du côté de Nestlé ; création d’un emballage entièrement composé de matériaux recyclés pour Unilever. En parallèle, les acteurs de taille plus modestes ne sont pas en reste.
Castel, qui domine le marché de la bière en zone francophone, parie, lui, sur le verre, distribué et récupéré via un système de consigne. Si elle apparaît logique au regard des économies d’échelle à réaliser, cette stratégie n’est pas à la portée de tous les opérateurs, une verrerie représentant un investissement jusqu’à dix fois plus conséquent qu’une ligne de PET. « Le verre est amené à progresser dans le cadre de la lutte contre la pollution liée au plastique. Cependant, le premier ne supplantera pas le second tout simplement parce qu’il reste moins pratique et moins durable en tant qu’emballage », commente, depuis Lagos, Agharese Onaghise, la secrétaire exécutive de la FBRA.
À l’avenir, deux points seront cruciaux : la capacité à mener des actions au niveau régional – une pratique qui doit être systématisée –, et le financement des innovations sur les matériaux, procédés et produits. « Dans le plastique, rien ne se perd, tout se transforme », résume Abbas Badreddine, de Plastica, en clin d’œil au chimiste Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794).
Si son groupe produit casiers, palettes et bâches à base de matières plastiques 100 % recyclées, les possibilités de produits dérivés, explorées par une foule de start-up, sont innombrables : paillettes de PET pour les industriels produites par Coliba en Côte d’Ivoire ; réalisation de meubles avec EcoPost au Kenya ; confection de chaussures par Salubata, originaire du Nigeria. « Certaines solutions, comme le plastique biodégradable, doivent être soutenues et développées, assure Bertrand Assamoi, de Dalberg. Car, si elles ne sont pas rentables aujourd’hui, elles doivent le devenir demain. »
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