L’invitation aux voyages de la Marocaine Amal El Atrache, entre cinéma et peinture

Cette artiste aux multiples talents a rencontré le succès en incarnant Aïcha dans la fameuse série « Lalla Fatima ». À l’affiche des films « Citoyens d’honneur » et « Jouj », elle continue de produire et d’exposer ses oeuvres, animée par le besoin de créer. Rencontre chez elle, à Tanger.

L’artiste Amal El Atrache lors d’une exposition organisée à Marrakech, en mai 2022. © Med Hajlani

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Publié le 6 juillet 2023 Lecture : 6 minutes.

Nous avons rencontré Amal El Atrache chez elle, à Tanger. En 2015, dans cette même ville, elle avait remporté le prix d’interprétation féminine au Festival national du film pour son rôle dans Dallas, d’Ali El Mejboud. Quand on le rappelle à l’artiste peintre et comédienne marocaine, elle s’enthousiasme : « Ce prix à Tanger est symbolique, cette ville me porte bonheur. À l’époque, je ne m’y étais pas encore installée, même si j’y avais déjà vécu parce que mon premier mari est tangérois, et que sa famille est toujours la mienne. »

Une rencontre va unir son destin à la « perle du détroit de Gibraltar » : « Je suis revenue grâce à l’actrice Soumaya Akaaboune. Nous nous sommes croisées à Casablanca par l’intermédiaire d’une amie, elle m’a invitée à voir “son” Tanger, et je me suis connectée à des personnes qui y ont immigré. Mais je ne suis pas venue pour y chercher l’inspiration. C’est en moi, je suis née avec l’idée de partir, voyager, changer, aller vers des choses différentes. »

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De la peinture à la scène

L’artiste aux multiples talents ne se destinait pas du tout à cette carrière : « Je ne souhaitais pas devenir comédienne quand j’étais enfant. Mais j’ai entamé une révolution interne pour dire que j’existais. Je suis une fille de parents divorcés, j’ai vécu l’abandon. Ce sentiment de rejet m’a poussée à quitter l’école très tôt et à vouloir m’affirmer. » La jeune femme choisit alors de s’exprimer à travers sa passion. « Artiste peintre, c’était ma vocation. Je voulais prouver à tout le monde que je pouvais aller loin dans mon art que mes parents considéraient comme inintéressant. Ils disaient que ce n’était pas un métier. »

C’est la peinture qui va la conduire à la reconnaissance en empruntant un détour inattendu : « Je peignais dans une maison de quartier de Casablanca. Un professeur de théâtre y est intervenu. Il m’a proposé de tenter ma chance, je lui ai répondu que je ne savais pas jouer. » Résultat : Amal El Atrache intègre la troupe pour un an ! Le début d’une irrésistible ascension ? « Après cette année, le directeur de la troupe nous dit au revoir et chaque comédien est invité à suivre son propre chemin. J’avais 18-19 ans, j’en ai pleuré. J’étais perdue car je croyais que j’étais installée. »

J’ai fait le casting pour la série Lalla Fatima et j’ai décroché le rôle d’Aïcha. Je me suis retrouvée dans ce programme qui allait marquer l’âge d’or de la télé marocaine

Sa carrière à peine commencée était-elle déjà terminée ? Au contraire, la jeune femme démontre sa faculté de rebond pour aller encore plus haut : « Une amie de la troupe m’a dit que Tayeb Saddiki cherchait une comédienne. Il avait la reconnaissance du public, des médias, des festivals… C’est là que tout a vraiment débuté pour moi. »

Rôle clé

Pionnier du théâtre marocain, le dramaturge lui fait découvrir son répertoire éclectique à travers deux pièces, L’envoûtement chez les Musulmans, les Juifs et les Chrétiens et Caftan d’amour : « C’était du théâtre traditionnel marocain basé sur la culture orale ancienne, du burlesque avec des troubadours, des références à la Commedia dell’Arte italienne, des adaptations… »

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Nous sommes au début des années 2000 et le chemin d’Amal El Atrache prend encore un crochet imprévu avec un rôle pour lequel, vingt ans après, on continue de l’interpeller dans la rue : « J’ai fait le casting pour la série Lalla Fatima, produite par Nabil Ayouch, et j’ai décroché le rôle d’Aïcha, la bonne de famille. Je ne connaissais rien à la télévision marocaine à l’époque, j’étais même plutôt critique vis-à-vis d’elle et, paradoxalement, je me suis retrouvée dans ce programme qui allait révolutionner la télé et marquer son âge d’or. »

La sitcom la rend célèbre du jour au lendemain et les regards changent. Tout d’abord, celui de ses parents : « Je me suis dit qu’il fallait que je passe à la télé pour que je sois aimée. » L’attitude du quidam va elle aussi évoluer, mais pas forcément en bien. « J’étais connue mais je n’étais pas riche. Un jour, je suis montée dans un taxi collectif et deux personnes se sont moquées du fait qu’une actrice de télé n’ait pas de quoi s’acheter une voiture. »

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Quelques mauvaises rencontres de ce genre plus tard, la comédienne fait un constat : « Le succès a été brutal, je ne m’y attendais pas du tout. J’essayais juste de me faire plaisir et de profiter pleinement de ma passion que je voyais aussi comme un moyen de sortir de l’abandon, du manque d’amour de mes parents. »

Exploration des genres

Amal El Atrache tombe de haut. « À mon époque, quand on était fan d’un comédien, d’un chanteur, on n’osait pas l’approcher, on appréciait juste de le voir de loin, on achetait son poster et on le mettait dans notre chambre. Quand j’ai vécu à mon tour la célébrité, le rapport aux artistes avait complètement changé. Je me demandais pourquoi les gens étaient si méchants. »

La vie est un voyage pendant lequel j’apprends, je me découvre, je m’exprime puis je passe à une autre étape. Je suis dans la création permanente

La comédienne sombre alors dans une dépression qui la conduit malgré tout à une introspection salutaire : « Le problème venait aussi de moi car je n’arrivais pas à recevoir les témoignages de gentillesse. Le public exprimait son amour à sa manière, différente de la mienne, et je ne l’acceptais pas. » Aujourd’hui, elle a complètement changé son rapport à ceux qui l’abordent. « Je ne peux pas m’énerver contre quelqu’un qui m’interrompt dans la rue, au contraire, je vais tout faire pour qu’il prenne sa photo et parler avec lui. J’ai appris, loin de la télé, à me sentir bien avec mon public. »

Même pendant la dépression, elle n’a pas cessé d’explorer les genres. Elle monte sur scène lors d’un spectacle de danse contemporaine du chorégraphe Khalid Benghrib. Elle joue aussi dans des productions françaises tournées au Maroc, comme La Vache et Citoyen d’honneur de Mohamed Hamidi : « J’ai senti que j’étais dans une famille de cinéma. Mohamed, Fatsah (Bouyahmed), Jamel (Debbouze), chaque fois qu’ils viennent au Maroc, ils recréent ce lien qui existe entre nous. »

« Nouveau réalisme »

La peinture n’a jamais quitté d’Amal El Atrache. Toutes ses expériences sont liées : « Je ne peux pas me consacrer uniquement à une seule chose, ça s’entremêle. Je traverse des périodes : parfois, je veux m’exprimer en tant qu’artiste peintre, parfois en tant que comédienne ou encore à travers l’écriture de film et peut-être qu’un jour je voudrai réaliser mon film. C’est une seule et même histoire. »

Son histoire avec la peinture a été à l’origine de sa vie d’artiste. « Ma première exposition date de 1999, je n’étais pas connue en tant que comédienne. » Durant ces vingt années écoulées, son style a évolué en fonction des lieux. « Les couleurs de Tanger, c’est le bleu, le jaune, le rouge, c’est oser la couleur. À Casa, non. » Son inspiration dépend des époques : « Par exemple, à Casablanca, j’ai peint des portraits de personnes que je croisais régulièrement dans un café. En deux ans, j’en ai fait une cinquantaine. »

Mai 2022 © Med Hajlani

Mai 2022 © Med Hajlani

Quand on lui demande de définir son style, elle en appelle à la définition d’un autre : « À l’issue d’une exposition en 2017, l’artiste Houcine Talal, fils de Chaïbia Talal, m’avait dit que pour lui je m’inscrivais dans le nouveau réalisme, même si je ne sais pas ce qu’il voulait dire par là. » S’il faut voir une constante chez Amal El Atrache, c’est le changement. « La vie est un voyage pendant lequel j’apprends, je me découvre, je m’exprime, je m’expose puis je passe à une autre étape. J’aime la création, je suis dans une recherche permanente. »

« Quand on voit la nature, l’univers et quand on croit à un dieu, ce qui est mon cas, on ne peut que s’extasier devant ce qu’il a fait. J’essaie de créer mais je n’arrive pas à atteindre cette beauté extraordinaire. La recherche du beau est spirituelle. » Son chemin n’a pas de destination mais il a un nom : « Je suis dans la spiritualité la plus profonde. »

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