En Afrique du Sud, la France à l’écoute d’une voix discordante sur l’Ukraine

Catherine Colonna, la ministre française des Affaires étrangères, était à Pretoria deux jours après la fin de la mission de médiation africaine.

La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, et son homologue, Naledi Pandor, le 19 juin 2023. © REUTERS/Alet Pretorius

Publié le 20 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

« La guerre russe en Ukraine. » Ce sont des mots que l’on n’entend jamais dans la bouche des officiels sud-africains. La formulation de Catherine Colonna n’a rien d’extraordinaire, mais elle détonne dans un pays qui refuse de parler d’invasion russe, préférant évoquer un « conflit » entre l’Ukraine et la Russie, voire « une guerre » – ce qui est déjà perçu comme une avancée par la France.

« Il nous faut regarder la réalité en face sur l’attitude de la Russie », a affirmé Catherine Colonna devant la communauté française réunie lundi après-midi à la résidence de l’ambassadeur de France à Pretoria. « Nous avons des sensibilités un peu différentes que l’histoire explique autant que la géographie », a-t-elle reconnu en conclusion d’un tête-à-tête avec Naledi Pandor, la ministre sud-africaine des Relations internationales.

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Maintenir le dialogue

Malgré ces divergences, « nous tenons à avoir un dialogue régulier […] sur des enjeux ô combien importants pour notre avenir à tous, pas seulement pour les Européens ». « Ce qui est mis en cause par l’agression russe, ce sont les principes les plus élémentaires, les plus fondamentaux du savoir-vivre ensemble dans la communauté internationale », a appuyé Catherine Colonna.

La ministre s’exprimait depuis le même jardin où le président Emmanuel Macron avait prononcé un discours deux ans plus tôt lors de sa visite d’État en Afrique du Sud. Un déplacement alors dominé par les défis liés à la pandémie du Covid-19. Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, avait l’oreille des chefs d’État étrangers et portait la voix du continent pour réclamer des vaccins et la levée des brevets sur leur production. Une crise en chasse une autre, et voilà Ramaphosa devenu le chef de la délégation qui a mené la « l’initiative de paix africaine » en Ukraine et en Russie. Une démarche qualifiée de « légitime » par Emmanuel Macron lors d’un entretien téléphonique avec son homologue sud-africain précédant la mission.

Tout effort de paix de notre point de vue est positif s’il vise à restaurer les principes de la charte des Nations unies

De retour d’Ukraine et de Russie, Naledi Pandor a partagé son compte-rendu avec Catherine Colonna. « L’entendre de première main et quelques heures après son retour a une valeur particulière pour nous, pour être pleinement informés des conversations qui sont en cours », a salué son homologue française.

La France semble satisfaite du plan en dix points présenté par les quatre chefs d’État africains et qui comprend un appel à la désescalade des combats, le recours d’urgence aux négociations, le respect de la souveraineté territoriale des nations, ou encore la libération de prisonniers de guerre. « Tout effort de paix de notre point de vue est positif s’il vise à restaurer les principes de la charte des Nations unies. Ces principes qui ont été attaqués et mis mal par la décision de la Russie d’envahir l’Ukraine », a réagi Catherine Colonna.

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Plus de poursuites contre Poutine ?

Le plan présenté par les émissaires africains était accompagné d’une autre feuille de route, selon l’agence Reuters. Ce texte officieux listerait des conditions pour créer un environnement propice à l’instauration d’un cessez-le-feu. Parmi ces points serait proposée la suspension du mandat d’arrêt international délivré par la Cour pénale internationale (CPI) contre Vladimir Poutine pour crimes de guerre. « C’est un point qui les inquiète beaucoup [les chefs d’État africains] et je pense qu’ils sont venus pour ça », a commenté Mykhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky. « Il n’a pas été question d’abandonner les poursuites », a contredit Naledi Pandor, lors de sa conférence de presse commune avec Catherine Colonna qui n’a pas commenté.

On sait que l’Afrique du Sud est très embêtée par l’émission de ce mandat d’arrêt. Pretoria, signataire du statut de Rome, serait contrainte d’arrêter le président russe s’il venait à participer au sommet des Brics qui doit avoir lieu à Johannesburg du 22 au 24 août. Elle cherche donc la parade pour inviter Vladimir Poutine sans devoir l’interpeller. Un comité interministériel doit soumettre des scénarios au président Ramaphosa qui se chargera de faire l’annonce fatidique. Une délocalisation du sommet est même évoquée par la presse.

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Macron chez les Brics

Si une place venait à se libérer en l’absence de Vladimir Poutine, un candidat à son remplacement s’est déjà manifesté. C’est Emmanuel Macron qui met le pied dans la porte. Le président français aimerait être invité et l’a fait savoir. « Nous en avions parlé le 26 mai », a reconnu Catherine Colonna en s’adressant à son homologue sud-africaine. « Le président de la République peut l’envisager si une invitation lui est adressée. Puisqu’ils viennent à nous, on peut aller vers eux », souligne Catherine Colonna en référence à la participation des représentants de quatre pays du groupe des Brics [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud] au sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui se tient à Paris jeudi 22 et vendredi 23 juin. Tous, sauf la Russie « qui s’est mise hors jeu », selon Colonna.

Emmanuel Macron serait-il le bienvenu lors de ce sommet qui veut s’affirmer comme le contrepoids de la domination occidentale dans le monde ? Certes, le petit groupe des Brics s’ouvre à de nouveaux formats pour inviter des pays amis ou des prétendants à l’élargissement de ce cercle fermé. D’ailleurs, Cyril Ramaphosa veut inviter tous les chefs d’État africains à participer au sommet du mois d’août. Mais cette ouverture peut-elle aller jusqu’à la France ? « Si le président Macron venait à participer, ce serait une innovation au modèle de participation des Brics, mais qui pourrait renforcer la portée mondiale de ce forum », a répondu Naledi Pandor avant de conclure sans enthousiasme : « c’est l’hôte qui détermine les invitations. » La décision reviendra donc à l’Afrique du Sud, qui préside les Brics cette année et qui veut mettre en avant le continent africain.

Alors que les relations se dégradent entre les États-Unis et l’Afrique du Sud à cause du non-alignement controversé de Pretoria, jugée trop proche de Moscou, la France tient à rester dans les petits papiers de ce « partenaire stratégique », qui est aussi son premier partenaire commercial en Afrique subsaharienne. Catherine Colonna a vanté « le dialogue étroit de longue date, nourri, confiant, sur tous les grands sujets du monde. » Invité à Paris pour participer au sommet sur un nouveau pacte financier mondial, Cyril Ramaphosa aura de nouveau l’occasion de discuter avec le président Macron et, peut-être, de lui retourner l’invitation ?

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