La jeunesse rurale nigérienne, la grande oubliée des politiques de développement
Au Niger, analphabètes ou déscolarisés, les moins de 25 ans des zones rurales représentent la part silencieuse de la population, celle que l’on entend pas, celle dont on ne parle pas. Si rien n’est fait, ils continueront à n’avoir pour seul horizon que la précarité, le chômage, la migration ou la violence terroriste.
Au Niger et souvent ailleurs en Afrique, les jeunes ruraux (entendus comme catégorie distincte) sont les grands oubliés des politiques de développement. Bien qu’ils constituent plus de 80 % des moins de 25 ans – qui eux-mêmes forment plus de 70 % de la population –, il en est rarement fait mention dans la littérature académique, les médias et les discours politiques. C’est pourtant la partie de la jeunesse la plus pauvre, mais aussi la moins éduquée.
Cette jeunesse-là est souvent analphabète ou déscolarisée et quand elle fait référence à une fille, elle est déjà mariée avec deux enfants ou plus, et mène une vie de servitude faite de longues heures de travaux ménagers et champêtres. C’est la jeunesse sans voix, celle que l’on n’entend jamais et qui n’est évoquée que de façon indirecte dans la littérature grise des organisations internationales, celle dédiée aux mariages précoces ou à la migration, le prisme général sous lequel les problèmes relatifs à la jeunesse africaine sont le plus souvent perçus.
Vivier de main-d’œuvre pour terroristes
C’est aussi la partie de la jeunesse qui sert de vivier pour le recrutement des groupes terroristes, parce que c’est au sein de cette jeunesse-là qu’on rencontre ceux qui sont les moins éduqués, les plus désespérés et les plus désorientés. Ce sont surtout de jeunes ruraux qui tombent chaque jour par dizaines sur les champs de bataille. Pour n’avoir pas été à l’école, ils sont généralement dépourvus de tout esprit critique et deviennent facilement la proie de l’instrumentalisation et du prosélytisme religieux de type extrémiste.
Aussi, n’est-il pas étonnant que les conflits violents aient pour principales victimes des jeunes de moins de 25 ans issus des campagnes, en quête d’autonomie économique, facilement leurrés et poussés dans des aventures meurtrières pour quelques centaines de milliers de francs CFA. Le dénuement matériel, le chômage et la pauvreté extrême se révèlent en effet être des motifs encore plus puissants que les croyances religieuses ou les affiliations ethniques pour expliquer la décision de s’engager dans les groupes terroristes.
En 2022, l’Unicef a relevé que 817 écoles ont été fermées dans la seule région de Tillabéri
Il faut ajouter à tous ces problèmes celui des inégalités scolaires. Les jeunes ruraux sont moins scolarisés que les jeunes citadins. Ils restent aussi moins longtemps à l’école et ont de faibles perspectives d’emploi. En effet, si la plupart des villages nigériens sont dotés d’écoles primaires, le parcours scolaire des enfants ruraux est marqué par des abandons massifs et d’importantes déperditions, particulièrement au niveau du secondaire. Les raisons sont multiples mais elles s’expliquent tout particulièrement par l’insécurité alimentaire et par une extrême pauvreté.
La plupart des collèges et des lycées sont logés dans les villages ou les communes de grande taille et les enfants qui achèvent le cycle primaire doivent le plus souvent quitter leurs familles pour des familles d’accueil généralement pauvres, peu connues de leurs parents et incapables de les prendre en charge. Bien entendu, lorsque ce sont des filles, leur situation devient encore plus dramatique en raison des croyances religieuses et des tabous. Les collégiens et lycéens ruraux se trouvent donc le plus souvent abandonnés à eux-mêmes et doivent fuir l’école pour regagner leur village ou émigrer en raison de la faim et des mauvais traitements.
Éloignement des pouvoirs publics
Le travail des enfants est une autre source de déperdition scolaire, mais aussi un facteur qui a de fortes répercussions sur les performances scolaires : dans les communautés rurales, les enfants sont sollicités à tout moment pour aider la famille, particulièrement en période de travaux champêtres où ils doivent s’absenter pendant plusieurs jours. Pour ceux d’entre eux qui appartiennent à des communautés nomades se déplaçant avec les troupeaux sur de vastes étendues, les défis s’avèrent souvent insurmontables et ils n’ont d’autre choix que d’abandonner l’école.
Il faut ajouter à tout cela l’absentéisme chronique des maîtres dans les zones rurales où la discipline se relâche du fait de l’éloignement des pouvoirs publics, mais aussi les mariages précoces des filles, et de multiples autres raisons telles que les conflits et les violences liées au terrorisme comme ces dernières années dans les régions de Tillabéri, de Diffa, de Tahoua et de Maradi, soit la moitié de toutes les régions du pays.
Rien qu’en 2022, l’Unicef a relevé que 817 écoles ont été fermées dans la seule région de Tillabéri. À travers tout le pays, près de 80 000 élèves, dont plus de 38 000 filles ont été affectés par ces fermetures. Or l’insécurité rend les travaux des champs risqués sinon impossibles ; elle accentue la précarité des familles qui sont déjà en situation de vulnérabilité économique et augmente la probabilité de déscolarisation permanente ou temporaire. Elle affecte aussi les performances scolaires, incite à la désaffection vis-à-vis de l’école, accroît la déréliction, la perte de repères, le désœuvrement et la consommation de drogue, etc. qui à leur tour incitent aux comportements déviants et nourrissent les foyers de violence.
Consommer local
Il existe aussi un désajustement entre les aspirations de ces jeunes – qui, après tout, sont des jeunes de leur temps avec les mêmes rêves et les mêmes attentes que les jeunes citadins –, et la réalité économique de nos pays, où les dirigeants privilégient la consommation de biens importés au détriment de la production de ces mêmes biens sur le sol national par les populations et notamment les jeunes qui manquent de ce fait d’emplois pourvoyeurs des revenus qui leur permettraient de subvenir à leurs besoins. Une situation qui ne leur laisse d’autre choix que les petits métiers et le petit commerce du secteur informel dans les rues des grandes villes, la précarité, le chômage, la migration ou la violence terroriste.
Pour faire face à ces problèmes, nous devons élaborer des politiques de développement rural qui comportent des volets spécifiquement orientés vers la jeunesse, en misant sur la croissance démographique (qui est un atout) et le développement de la consommation locale, en créant des industries de transformation des produits agricoles destinées, entre autres, à absorber la main-d’œuvre jeune.
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