La bataille marocaine d’El Herri, Bérézina française en pays berbère

Le vendredi 13 novembre 1914, cela fait déjà près de trois ans que la France a imposé son protectorat au Maroc. Dans l’Atlas insoumis, l’opération décidée par un colonel français pour capturer le puissant chef Moha Ou Hammou tourne au désastre pour l’armée d’occupation.

Sur les 1 232 hommes de l’opération française à El Herri, 850 seront tués par les troupes du chef berbère Moha Ou Hammou et 175 blessés. © Montage JA; DR

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Publié le 29 juillet 2023 Lecture : 13 minutes.

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[Série] Ces batailles où l’Afrique a triomphé des colons

Face aux forces coloniales, du Maroc à l’Afrique du Sud, en passant par Haïti, l’Algérie ou le Ghana, les Africains du continent et de la diaspora ont souvent su profiter du sentiment de supériorité des Européens.

Sommaire

Les grandes victoires militaires africaines (6/8) – Au cœur de Khénifra, la « capitale rouge » du Zaïani, une tour carrée à moitié effondrée se tient à un débris de rempart, bastion croulant d’une armée de chats : il s’agit là du souvenir chancelant de la fière kasbah de Moha Ou Hammou, surnommé Amghar des Zaïans, qui infligea en 1914 une cuisante défaite aux Français venus saisir le Moyen-Atlas.

Pour le résident général Hubert Lyautey, la bataille d’El Herri fut « un coup de tonnerre » dans le ciel bleu de sa « pacification » du protectorat. Le général Theveney, commandant du Tadla-Zaïan, sera plus éloquent quelques années plus tard. « Affreuse catastrophe », le combat d’El Herri fut « notre plus terrible défaite au Maroc […] qui porta à notre prestige un coup dont nous mîmes bien longtemps à nous relever ». Le général Henrÿs, qui commandait alors la cavalerie des troupes d’occupation, s’alarme : « Un soulèvement général fut sur le point de se produire, le sort du protectorat se trouva gravement compromis. […] Sa perte pouvait entraîner celle de l’Algérie, de la Tunisie, compromettre la liberté de la Méditerranée, priver la défense nationale d’un appoint sérieux de ressources en approvisionnement et en hommes. »

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Moha Ou Hammou, caïd devenu « roi »

Le 13 novembre 1914. En France, une guerre mondiale fait rage depuis trois mois. À Khénifra, une nuit froide enveloppe la citadelle arrachée par les Français au caïd des Zaïans cinq mois auparavant. « Que l’opération réussisse ou non, nous serons de retour vers 8 heures », lance le colonel Laverdure au capitaine Croll, qui doit garder ce poste avancé de l’armée pendant la sortie décidée quelques heures plus tôt par le colonel. Il est près de 3 heures du matin et ce sont les derniers mots que Croll entendra de son chef. Neuf heures plus tard, le colonel s’effondrera, criblé de balles berbères, parmi les canons face auxquels ses derniers hommes ont fini par s’incliner, submergés. Ayant agi contre les ordres, il évitait ainsi la cour martiale.

Né en 1862, René Philippe Laverdure s’était aguerri dans les frénésies coloniales du Tonkin puis de Madagascar, gravissant les échelons avant d’arriver au Maroc en 1913, avec le grade de colonel, pour y être nommé chef du territoire Zaïan-Khénifra. En juillet 1914, Lyautey veut s’imposer dans l’hinterland marocain et envoie trois colonnes assaillir la cité rétive de Moha Ou Hammou, forçant ce dernier à se retrancher dans ses montagnes. « Chef farouche et autoritaire », comme le dit le général Henrÿs, le seigneur de l’Atlas ne s’avouait pas vaincu pour autant et fédérait encore des milliers de partisans.

Fait caïd par le sultan en 1883, Moha Ou Hammou Zayani s'était émancipé de la tutelle sultanienne durant les troubles consécutifs à l’invasion française de 1907. © DR

Fait caïd par le sultan en 1883, Moha Ou Hammou Zayani s'était émancipé de la tutelle sultanienne durant les troubles consécutifs à l’invasion française de 1907. © DR

Né vers 1855, Moha Ou Hammou Zayani était lui-même forgé au feu des combats. À 20 ans, il avait succédé à son père tué par les ennemis Ichkerns et avait dû asseoir, le doigt sur la gâchette, sa position jalousée dans son clan avant de s’imposer face aux tribus rivales. Fait caïd par le sultan en 1883, il s’était émancipé de la tutelle sultanienne durant les troubles consécutifs à l’invasion française de 1907. En 1910, il devient le « véritable roi dans ses montagnes », « champion de l’islam contre les Roumis”, écrit Theveney.

L’indocile colonel Laverdure

Quelle pulsion a animé le colonel Laverdure quand il a pris l’initiative d’aller razzier le campement du caïd, en plein territoire ennemi ? Un mois plus tôt, le général Lyautey avait « interdit formellement toute action sur la rive gauche du Oum er-Rebia », précise le lieutenant Jean Pichon, rescapé du désastre, dont le mémoire détaillé fournit la base de ce récit. Les Berbères qui, avec les premiers froids, ont commencé à fréquenter les magasins et l’infirmerie des Français à Khénifra ne cachent pas où campe le caïd, dans la bourgade d’El Herri, à une douzaine de kilomètres au sud.

Exaspéré à la pensée d’une guerre européenne de courte durée, le colonel Laverdure n’arrivait pas à se résigner au rôle simplement défensif qui lui était assigné

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« Hanté par l’idée fixe du coup d’audace » diagnostique Henrÿs, le colonel se sentait selon Theveney « violemment incité par son tempérament à ne pas se tenir confiné ». Pichon précise : « Exaspéré à la pensée d’une guerre européenne de courte durée, à laquelle, de même que tous ses subordonnés, il regrettait amèrement de ne pouvoir prendre part, le colonel Laverdure n’arrivait pas à se résigner au rôle simplement défensif qui lui était assigné. » La soif de gloire, cet or des militaires, enivre à ce moment-là les troupes coloniales mais le champ d’honneur et ses lauriers ne se déployaient qu’en France, loin de Khénifra où les militaires étaient condamnés à regarder le temps passer sur des montagnes pelées.

Tous n’étaient pas aussi impulsifs que Laverdure. Ses deux officiers du renseignement, conscients de la difficulté du terrain et des forces du caïd, ont voulu le détourner de son « obsédante tentation ». Celle-ci fut-elle exacerbée par les incitations de deux transfuges zaïans, les frères Omar et Ba Hassine, brouillés avec Moha Ou Hammou ? « Dans la tragédie d’El Herri, ceux-ci allaient tenir des rôles, non pas de traîtres, mais de mauvais génies », rapporte Pichon.

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Rêve d’héroïsme

Dans son rêve héroïque, Laverdure se voit traînant le chef berbère enchaîné, jetant ses montagnes aux pieds de la République reconnaissante. Le rassemblement des hommes aura lieu hors des remparts pour un départ toutes lampes éteintes à 2 h 30 : l’ennemi doit être surpris dans son sommeil, avant l’aube. Mais l’obscurité complique la sortie et entraîne un retard, de mauvais augure.

Vers 3 heures, 1 232 hommes et 48 officiers équipés de centaines de fusils modernes, de huit canons et de quatre mitrailleuses marchent vers les contreforts de l’Atlas, ce pays Zaïan « habité par des tribus foncièrement hostiles, territoire de configuration extrêmement tourmenté et facile à défendre par de farouches guerriers jaloux de leur indépendance séculaire », rapportait Theveney.

Sur la route, un groupe est envoyé se positionner sur des hauteurs à l’ouest chargé d’artillerie pour couvrir l’attaque. Dans la nuit, seuls quelques chiens semblent remarquer la progression de la colonne mais leurs aboiements redoublent lorsqu’elle arrive au point du jour en vue de la bourgade. Il faut encore traverser les eaux glacées d’un oued au gué trop étroit. L’effet de surprise a en partie échoué, et l’encerclement prévu des tentes du caïd n’est plus possible.

La cavalerie s’élance…

L’oued franchi, l’infanterie se déploie à 6 h 20 dans le village et traque les combattants qui s’échappent des maisons, tandis que la cavalerie s’élance vers les hauteurs et les campements du rebelle. Sa progression est difficile, les chevaux trébuchent sur les roches, s’emmêlent dans les longes, s’affolent parmi le bétail tout aussi paniqué. Le camp semble compter moins d’occupants qu’attendu mais certains résistent férocement avec des armes qu’ils n’ont parfois pas eu le temps de charger, alors qu’une bonne partie prend la fuite.

D’une grande tente sortent des hommes, dont « un vieillard à barbe grise », qui sautent en selle et s’élancent vers les hauteurs. Convaincu qu’il s’agit de Moha Ou Hammou et de ses fils, un peloton part à leur poursuite. Les fuyards tirent, les premiers Français tombent et ceux qui viennent à leur secours sont attaqués à leur tour. Après un violent accrochage, les cavaliers berbères distancent les militaires. La charge française est stoppée. L’objectif principal est manqué mais la surprise a finalement fonctionné doit penser Laverdure : les rebelles ont reçu une sévère démonstration de sa supériorité.

Il est 6 h 45 et les rangs français ne comptent que deux tués et six blessés. Une fusée aurait dû signaler la retraite vers Khénifra. Mais les combattants berbères, ayant mis femmes, vieillards et enfants à l’abri, reviennent à l’assaut et compliquent le sauvetage des blessés. Laverdure retarde le repli et envoie des tirailleurs protéger son flanc sud. De ses positions, l’artillerie bombarde les Zaïans au loin mais ne peut tirer en soutien des combattants trop proches de l’ennemi.

Les épouses du caïd tuées

Dans les douars, l’heure est à la razzia française : harnachements, armes, biens, troupeaux viennent appesantir le convoi. Pichon rapporte que des femmes qui n’avaient pu fuir, « blotties la face contre terre […] attendaient immobiles le bon plaisir des vainqueurs ». Quatre épouses du Caïd sont tuées.

Sous la plume de Pichon, les frères félons se distinguent en se ruant au pillage de la tente caïdale, avant de se hâter sur le chemin du retour avec deux caisses d’or, mais aussi « deux jeunes femmes berbères, Zahra Taarabet et Yamna Out Atta, épouses préférées du Zaïani ». Pour lui, cet outrage, qui « exacerbe le fanatisme des tribus », est le déclencheur de la riposte rebelle, mais l’attaque portée par l’envahisseur au cœur du pays des Zaïans et à la tête de leur nation suffisait à motiver la revanche. L’infériorité tactique des Français sur le terrain en offrait l’occasion rêvée.

Pour l’heure, Laverdure inspecte la tente du chef, qui témoignait « de l’opulence de son puissant maître » et ordonne d’y mettre le feu. Mais la toile de laine gorgée d’humidité refuse de s’embraser. À 7 h 30, le clairon sonne enfin le rassemblement pour le repli. Une avant-garde de cavaliers et de tirailleurs précède un groupe d’artillerie qui va couvrir la marche depuis une hauteur. Suit le convoi des blessés et son escorte qui emporte le butin razzié.

Derrière, les tirailleurs sénégalais et algériens poussent les troupeaux, puis vient le gros de la troupe, protégée sur le côté par une compagnie de goumiers marocains. Un groupe de fantassins et de cavaliers appuyé par deux mitrailleuses ferme la marche. Mais, tandis que la longue colonne alourdie traîne à traverser l’oued, la pression des Zaïans bientôt rejoints par leurs alliés Ichkerns s’intensifie autour d’El Herri. Certains tirent déjà depuis la rive opposée, et des unités doivent plonger pour aller les déloger.

Les dents de l’Atlas

Le repli ordonné des Français vers les remparts de la Casbah de Khénifra se transformera en débâcle. © DR

Le repli ordonné des Français vers les remparts de la Casbah de Khénifra se transformera en débâcle. © DR

Il est 8 h 30 quand le dernier homme de la colonne Laverdure franchit l’oued. On ne compte plus les blessés, et nombre d’officiers sont hors de combat. Les Français, qui devraient déjà être à l’abri des remparts de Khénifra, voient les dents de l’Atlas se resserrer sur eux. Alors que l’arrière-garde essuie un feu meurtrier, l’avant-garde voit aussi dévaler l’ennemi sur son flanc droit, les assaillants étant tenus en respect sur la gauche de la colonne par les tirs de la position d’artillerie.

Canons de 65 mm et goumiers doivent maintenant aller occuper une autre position, en arrière, pour accompagner le repli, et les Sénégalais qui les couvrent, furieusement attaqués, doivent se défendre à la baïonnette. Les munitions manquent, les officiers tombent, les communications se rompent, le repli tourne à la retraite confuse.

Vers 10 heures, les Ichkerns, rivaux des Zaïans et soumis par Ou Hammou, surgissent et se ruent sur les arrières de la colonne. C’est la débandade. « Les sommets étaient couronnés de feux de guerre appelant les tribus au combat. Celles-ci arrivaient de tous côtés. On distinguait à la jumelle des masses de guerriers, à pied ou à cheval, descendant en longues files, et par groupes, les pentes boisées de l’Akellal, du Kribou, de l’Aâmira, du Tabouichit et du Mesgouchen. »

11 heures. Les Français sont culbutés, des groupes se retrouvent isolés, privés de commandement, tirant leurs dernières munitions. « Bientôt l’ennemi s’emparait des mitrailleuses des Sénégalais, encerclait l’arrière-garde et l’anéantissait. » Le groupe des blessés hâte sa retraite, couverte par les derniers obus que fait tirer le colonel Laverdure.

« C’est alors que se produisit l’attaque décisive des Zaïans. Des nuées de cavaliers venant de la direction d’Adersan chargèrent furieusement les débris des 11e et 12e compagnies de tirailleurs algériens qui, bien qu’ayant perdu tous leurs cadres, luttaient encore héroïquement. » Blessé au milieu de ses canons, Laverdure reçoit le coup de grâce. L’étau berbère se referme sur les troupes françaises, c’est la curée. Une fraction de l’avant-garde parvient à s’échapper vers Khénifra mais le gros de la colonne est pris à revers.

Abattus à bout portant

Les soldats, privés de munitions, sont abattus à bout portant. Rattrapés, les blessés incapables de fuir sont achevés dans les buissons où ils se cachent, ceux qui tentent de courir sont « pris de flanc, piétinés et massacrés ». À 12 h 30, la colonne Laverdure a été presque exterminée lorsqu’enfin la ligne de mitrailleuses du capitaine Croll, prévenu à 11 h 55, est en position pour sauver les survivants qui parviennent à la vue de Khénifra.

Les assaillants renoncent à la poursuite et vont butiner les nombreuses armes laissées par les Français sur le champ de bataille : 630 fusils, 4 mitrailleuses et 8 canons – mis hors d’usage par les Français. Sur deux kilomètres, décrit Pichon, « il y avait des masses compactes de Berbères donnant l’impression d’un souq colossal et silencieux ».

La mort de Moha Ou Hammou symbolisa la jonction du Nord et du Sud pour les autorités françaises. L’action nécessita treize ans de combat farouche contre le vaillant guerrier

Les Français sont alors assiégés dans Khénifra ; leur soulagement n’arrivera que deux jours plus tard avec la colonne de sauvetage du colonel Henrÿs, le 16 novembre. Sur les 1 232 hommes de cette opération, 850 ont été tués et 175 blessés ; et 33 de leurs 48 officiers sont tombés. Le corps de Laverdure et des autres officiers supérieurs fut échangé par Ou Hammou contre ses deux femmes survivantes, et il conserva un butin en armes considérable.

Pudiques, les archives françaises évoquent la malheureuse « affaire de Khénifra », un « combat » manqué mais les faits parlent d’une bataille authentique et épique, livrée pendant six heures, et non de l’échec écrasant d’une attaque menée par un briscard des conquêtes coloniales contre un seigneur guerrier des montagnes berbères.

Trahison et soumission

Cette défaite menaça-t-elle le protectorat français, et au-delà, comme on l’a affirmé ? « Je n’en crois rien », commente Guillaume Denglos, historien spécialiste du Maroc colonial, « ces gradés forcent le trait pour souligner que la France a tenu et conquis. À l’inverse, le jargon colonial parle avec retenue d’“affaire” ou de “combat” : il ne faut ni minimiser ni exagérer la portée de cet événement. Sur le front marocain de 1914, c’est une défaite qui conduit au gel du front, à l’application par le général Lyautey de la tactique de la carapace, de fortification continue de la ligne de contact. Le protectorat n’a été réellement menacé que lors de l’offensive rifaine d’avril 1925, quand l’armée d’Abdelkrim El Khattabi a pénétré au Maroc français. »

La défaite française de ce vendredi 13 ne change pas la donne. Les Français tiennent Khénifra qui reste pendant cinq ans un bastion isolé en milieu hostile, hanté par les troupes de Moha Ou Hammou. Le 2 juin 1920, trois des fils du caïd, Hassan, Bouazza et Amahrok, séduits par les propositions du résident général, passent côté français. Bouazza fut fait officier, Hassan devint pacha de Khénifra, et Amahrok, caïd des Zaïanes. Les rebelles se firent les meilleurs défenseurs du protectorat, agents majeurs de la pacification du pays Zaïane.

Le vieux combattant, leur père, les a-t-il maudit pour la trahison ? Ou leur avait-il conseillé de se soumettre à d’avantageuses conditions, comme le soumettent certaines sources ? Moha Ou Hammou ne se rendit jamais et sa mort au combat à 80 ans, le 27 mai 1921, face aux troupes françaises, a achevé d’en faire une légende.

« La mort de Moha Ou Hammou symbolisa la jonction du Nord et du Sud pour les autorités françaises. L’action nécessita treize ans de combat farouche contre le vaillant guerrier et le roi de la montagne, comme ils se plaisaient eux-mêmes à l’appeler », écrit Fatima Amahzoune, dans une biographie, aussi littéraire que documentée, consacrée à son aïeul l’Amghar des Zaïans (Moha Ou Hammou Zayani Amahzoune. La saga d’un grand guerrier (1857-1921), Maisonneuve & Larose, 2022, 342 p.).

Mémoire collective

Que fut le retentissement de cette bataille ? « L’on était en guerre et les luttes sanglantes en Europe occupaient entièrement l’opinion publique. On ignora donc El Herri en France, mais, au Maroc, il n’en fut pas de même. […] L’orgueil qu’elle inspira aux Zaïans n’était pas prêt de s’éteindre », atteste Theveney. En pays berbère, la légende du combattant victorieux fut mise en vers et, partagée de vallée en vallée, elle y reste encore vivante.

Mais la décrépitude de sa kasbah en dit long sur l’ignorance actuelle du personnage par l’administration. « Mémoire collective, où es-tu ? », s’interrogeait l’historien Mustapha Qadery, dans un article consacré à la bataille, publié par le mensuel marocain Zamane en février 2023. Le personnage d’Ou Hammou et son action s’inscriraient-ils en faux contre un récit national centralisateur ? Pour l’historien Guillaume Denglos, « les Zaïans livrent un combat contre les Roumis, donc pour le commandeur des croyants, mais ils luttent aussi pour leur autonomie vis-à-vis du Makhzen. En 1947, ils scellent même une alliance, à Khénifra, avec le Glaoui, à l’origine de la marche de tribus qui aboutit à la déposition de Mohammed V en 1953 ».

Depuis, tout a été pardonné et le roi Mohammed VI peut lui-même se réclamer du héros berbère, sa mère, Lalla Latifa, étant une Zaïane Amahzoune liée à Moha Ou Hammou. Fatima Amahzoune, sa biographe et descendante, ne désespère pas que la mémoire de ce héros berbère, figure de la résistance anticoloniale, soit à l’avenir mieux mise en valeur.

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