Le président tunisien Kaïs Saïed s’est-il emmêlé les dinars ?
En Tunisie, la Commission nationale de conciliation pénale se couvre de ridicule par ses approximations. En guest-star : le chef de l’État.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 23 juin 2023 Lecture : 2 minutes.
Le volontarisme ne vaut que s’il est accompagné de crédibilité. Pour se rendre, la tête haute, au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, à Paris, ces 22 et 23 juin, le président tunisien a fait un crochet, l’avant-veille, par la Commission nationale de conciliation pénale.
Ladite structure tente de recouvrer d’importants fonds détournés, notamment sous l’ère Ben Ali, afin de valider le discours national officiel qui affirme que le pays peut « se passer de toute partie étrangère » pour combler un endettement supérieur à 80 % du PIB.
Au chef de l’État évoquant une préoccupante « course contre la montre », les membres de la Commission se devaient d’annoncer des chiffres alléchants, la vidéo de la séance étant postée sur la très officielle page de la présidence. Et une membre de l’instance d’évoquer un couple de Tunisiens – tous deux en prison, à Mornaguia et à La Manouba – dont le dossier devant la Commission concernerait « 10 billions de dollars », avant de préciser, après que le président a demandé « millions ou billions ? », « 30 000 millions de dinars ». Sur un extrait devenu viral de la captation de cette réunion, ni les membres de la commission ni le président ne semblent réaliser que cette somme est peu plausible…
Pas un homme de chiffres
N’importe quelle calculette démontrerait aisément que 30 milliards de dinars est l’équivalent d’environ 20 % du PIB tunisien, de 43 % du budget national 2023, de 65 % des recettes de l’État attendues cette année, et près de quatre fois le montant des subventions alimentaires et énergétiques.
Alors que des twittos prompts à ironiser en déduisent que la fortune de ces présumés corrompus serait alors la troisième du continent – talonnant celle d’Aliko Dangote et dépassant celle de Nicky Oppenheimer et sa famille –, les huit participants à la réunion, eux, ne semblent pas tiquer. Ils sont pourtant juge, magistrat, analyste financier, inspecteur général, rapporteur au Contentieux de l’État et contrôleurs généraux, toutes professions qui supposent une maîtrise minimale en arithmétique…
Si un autre membre de la Commission nationale de conciliation pénale a tout de même aussitôt indiqué, timidement, qu’il « faudrait d’abord vérifier le montant » annoncé par le couple lui-même, Kaïs Saïed n’a pas réalisé l’absurdité du montant. Le chef de l’État, qui n’a jamais caché qu’il n’était pas un homme de chiffres, est souvent approximatif dans ses évocations de sommes d’argent.
Le décret-loi qui régit le processus de conciliation pénale entend privilégier, à la privation de liberté, la réalisation de projets financés par les contrevenants. Certains se demandent donc si l’aveu du couple aux 30 milliards ne serait pas un subterfuge pour sortir de prison. Un coup de bluff pour un coup de com ? La mythomanie au secours de la propagande ?
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