Art africain chez Sotheby’s : la vente de la collection Leloup freinée par une association gabonaise
La tête fang de la collection de la marchande Hélène Leloup, estimée entre 4 et 6 millions d’euros, ne s’est pas vendue, ainsi qu’une dizaine d’autres pièces. L’intervention du Collectif Gabon Occitanie pourrait avoir dissuadé des acheteurs potentiels.
C’était l’une des pièces maîtresses de la vente aux enchères consacrée par Sotheby’s à la collection de la marchande Hélène Leloup : une tête fang du Gabon ayant appartenu à la reine des cosmétiques Helena Rubinstein, estimée entre 4 et 6 millions d’euros.
Mais ce 21 juin, elle n’a pas trouvé preneur. Comment l’expliquer ? Certains spécialistes évoquent une surestimation de l’œuvre, qui ne vaudrait pas autant sur le marché. À moins que l’intervention, juste avant la vente, d’un collectif gabonais n’ait refroidi certains collectionneurs ?
Objet sacré et bien mal acquis
L’association Collectif Gabon Occitanie (CGO) s’est en effet signalée chez Sotheby’s alors que la vente aux enchères allait commencer. Rapidement éconduit, leur représentant a néanmoins pu faire part des revendications du CGO et des associations Essap et Diasp’Aura. « Parmi les objets qui seront mis en vente ce jour, […] figure une relique fang […]. Nous indiquons que cette relique est un objet sacré utilisé dans nos rites biéri, explique leur communiqué diffusé dans la presse et sur les réseaux. Elle représente nos ancêtres, appartient à notre communauté et ne saurait être mise en vente. Il s’agit donc au minimum d’un bien mal acquis. »
Et de mettre en garde la multinationale américaine : « Nous demandons instamment à Sotheby’s de suspendre la vente, afin que toute la lumière soit faite sur la provenance de ce trésor culturel et cultuel. Si la vente avait lieu malgré tout, Sotheby’s serait potentiellement complice de pillage colonial et ne pourrait invoquer la bonne foi lors d’une action judiciaire. De même pour l’acheteur, qui en plus risquerait de perdre son investissement. »
De tels propos n’ont pas suffi à bloquer la vente – on sait le peu de cas que le marché occidental fait de ce genre de revendications, qui sont considérées avec mépris –, mais ils ont pu contribuer à freiner l’enthousiasme des collectionneurs, lequel était déjà limité. Dans le Quotidien de l’art, la journaliste Armelle Malvoisin s’interrogeait ainsi : « Mais où est la collection Leloup ? », remettant en cause à la fois le choix des œuvres présentées et leur estimation.
Dix œuvres invendues
Le record de la vente est allé, sans surprise, à la Tête de femme du peintre britannique Francis Bacon (adjugée pour 6 437 375 euros). Certaines œuvres en provenance d’Afrique ont aussi réalisé de bons « scores » comme une statue dogon / niomgon du Mali, partie pour 381 000 euros après avoir reçu une estimation haute à 250 000 euros. Elle avait été vendue à Hélène Leloup (alors Kamer) par le marchand malien El-Hadj Gouro Sow en 1957. Ou bien encore un masque dan de Côte d’Ivoire, acheté pour 60 960 euros alors qu’il était estimé entre 7 000 et 10 000 euros.
Sur les cinquante-trois lots mis en vente, dix n’ont pas trouvé preneur, dont des œuvres importantes. Outre la statuette fang, un masque singe dogon (entre 60 000 et 90 000 euros), une statue mbembé du Nigeria (entre 150 000 et 250 000), une statue double dogon / komakan (entre 200 000 et 300 000), une statue nkonde, kongo / oymbe (entre 250 000 et 350 000), un masque dogon (entre 120 000 et 180 000), une statue de porteur de masques dogon (150 000 à 250 000 euros)…
Sans doute ces œuvres seront-elles remises sur le marché dans un futur proche – et probablement en vente privée.
Razzias
Signe que les marchands occidentaux ne reculent devant rien quand il s’agit de faire du profit : une porte dogon s’est écoulée pour 25 400 euros, une meule et un mortier de la vallée du Niger pour 9 525 euros. Triste constat : outre les œuvres cultuelles, même les objets du quotidien sont devenus des sources de profits quand le pays dogon a commencé à intéresser les collectionneurs. Hélène Leloup elle-même parle de razzias.
Les Dogons vont se rendre compte très vite de la valeur marchande des statues qu’ils avaient refusé de vendre
Citée par Maureen Murphy dans L’art de la décolonisation – Paris-Dakar (1950-1970) (Les presses du réel, 2023), elle disait notamment : « Devant l’afflux des demandes, les Dogons vont se rendre compte très vite de la valeur marchande des statues qu’ils avaient alors refusé de vendre ou abandonnées dans des grottes. Dans un pays économiquement pauvre, riche d’un patrimoine ancien et convoité, ces œuvres allaient provoquer de véritables razzias. De nouveaux commerçants firent leur apparition, envoyant leurs “émissaires rabatteurs” dans les villages. Ces derniers, s’ils n’arrivaient pas à acheter masques et statues aux anciens du village dont l’accord était nécessaire, n’hésitaient pas à soudoyer les jeunes gens pour les voler. »
On sait qui, in fine, en a profité.
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