Tanger, Tétouan, M’diq, Al Hoceima… Mohammed VI ou l’appel du Nord
Peu friand de la vie dans les palais, qui sont pour lui des bureaux, Mohammed VI a rompu avec la tradition de ses prédécesseurs. Pendant de longues années, il a choisi de passer ses vacances dans une villa située à M’diq, dans le nord du Maroc, sur la Méditerranée.
[Série] Mohammed V, Hassan II, Mohammed VI… Les rois en leurs palais
Les demeures des souverains sont une manière pour eux d’affirmer leur puissance et leur personnalité. Trois générations, trois monarques, trois lieux emblématiques de la royauté marocaine : Jeune Afrique vous raconte cette saga dynastique.
Maroc : un roi, un palais (3/3) – Dans l’une des très rares interviews qu’il a accordées à la presse, en l’occurrence au Time, en 2000, « The King of Cool », comme l’a surnommé le magazine américain, déclare qu’il considère les palais royaux comme des « bureaux ». À Rabat, après la naissance de ses enfants, le prince héritier Moulay El Hassan et la princesse Lalla Khadija, Mohammed VI s’est installé dans la résidence privée de Dar Essalam, qu’il a préférée au palais royal (Dar el-Makhzen), contrairement à son grand-père, Mohammed V, et à son père, Hassan II.
Mais s’il y a bien un palais qu’il a longtemps affectionné, c’est celui de Tanger, que Hassan II avait fait construire sur Jbel El Kebir (« la grande montagne »), et qui surplombe à la fois la ville et le détroit de Gibraltar, au milieu des forêts de chênes liège et de pins. Moderne, simple, et malgré tout d’une beauté à couper le souffle, l’édifice est entouré de verdure. Des grilles en fer forgé blanches protègent ses fenêtres. Le palais, qui ressemble davantage à une résidence royale, est situé non loin du prestigieux hôtel Le Mirage et des Grottes d’Hercule. C’est d’ailleurs à partir du Mirage que le souverain emprunte un chemin privé, qui le mène à l’un de ses bateaux.
Le quartier, cossu et prisé, est souvent comparé à Malibu, en Californie. Au fil du temps, il est cependant de plus en plus difficile d’accès pour les badauds et les touristes estivaux. Pourtant, juste en contrebas du palais, vit un drôle de personnage, dans une sorte de bric-à-brac : Abdelghani, un artiste autodidacte, qui a sculpté un lion (symbole de la monarchie chérifienne) afin de rendre hommage au roi et qui a installé cette statue de sorte qu’elle soit visible depuis le palais. La légende veut que son père a été le gardien d’un éléphant appartenant à Hassan II, qui, pour le remercier, lui a offert un bout de terrain à proximité de sa résidence.
L’amour de la Méditerranée
Hassan II a boudé le nord du Maroc tout au long de son règne, principalement parce qu’il avait mené, en 1958-1959, une dure répression contre les Rifains, dont ces derniers ont gardé de la rancœur. Résultat, Tanger était devenue une cité fantôme, « la ville de tous les dangers ». Dès son accession au trône, en 1999, Mohammed VI a désenclavé la région, faisant de Tanger une vitrine de son règne, y lançant des chantiers structurants (le port de Tanger Med, des autoroutes, une marina, une zone franche, un grand hôpital universitaire…) et y attirant les investisseurs.
Ainsi, et pendant de longues années, le souverain a pris l’habitude de passer tous ses étés, du 1er juillet jusqu’au mois d’août, dans le Nord. À Tanger, bien sûr, mais aussi à Tétouan, M’diq ou Al Hoceima. C’est également au palais Marchane, à Tanger, ou au palais royal de Tétouan – classé au Patrimoine mondial de l’Unesco – qu’il a organisé de nombreuses fêtes du trône, des cérémonies de la Bay’a, et qu’il a fêté ses vingt ans de règne, en 2019.
Dès l’arrivée des beaux jours, les villes de la région ont droit à un coup de neuf : les jardiniers municipaux fleurissent les ronds-points ; les trottoirs et les routes sont refaits ; les éclairages publics sont réparés… Autant d’indices qui signalent l’arrivée imminente du roi. Et, que ce soit les habitants, les résidents étrangers, les hôteliers, les restaurateurs ou les vacanciers, chacun éprouve un petit sentiment de satisfaction.
La côte nord-méditerranéenne n’en était pas moins une destination prisée depuis longtemps. Même sous le règne de Hassan II, une partie des notables de l’axe Casa-Rabat passaient leurs étés à Kabila (Tamuda Bay), Cabo Negro ou Martil, considérés comme la « Moroccan Riviera ». La hype était déjà là, mais la présence de Mohammed VI a suscité un boom économique et créé un effet people. Le monarque met néanmoins un point d’honneur à préserver la région, notamment le littoral atlantique, de la spéculation immobilière.
Lorsqu’il amarrait son bateau, des dizaines de jeunes sautaient dans l’eau dans l’espoir de lui parler
Pourquoi un tel attrait pour le Nord, réputé pour sa beauté et pour son charme légèrement hispanique ? Mohammed VI est un amoureux de la Méditerranée et des sports nautiques, en particulier du jet-ski. Au début de son règne, il n’était pas rare de le voir sur un scooter des mers ou au volant d’une Mercedes décapotable, et d’échanger quelques mots avec lui. Lorsqu’il amarrait son bateau dans la crique de Cabo Negro, des dizaines de jeunes sautaient à l’eau en criant « Majesté, majesté ! », dans l’espoir de lui parler.
En réalité, même s’il affectionne le palais de Rabat, Mohammed VI a jeté son dévolu sur une autre bâtisse : la villa de Lalla Fatima Zohra, sa grand-tante paternelle (disparue en 2014), située à M’diq, entre le Sofitel et d’autres résidences privées. Sa parente la lui avait prêtée pour un été, mais il a fini par la conserver. En échange, il a fait construire une autre villa à sa tante préférée. Grande sans être un palais, coquette sans être opulente, c’est une maison discrète que le roi a aménagée de façon très contemporaine et qui offre un accès direct à une plage privatisée.
« Ne savez-vous pas qui je suis ? »
Bien souvent, entre 14 heures et 14 heures 30, et à partir du mois d’août, Mohammed VI embarque sur son bateau et vogue sur la Méditerranée jusqu’à Al Hoceima. Déjà propriétaire d’une vieille goélette, El Boughaz I, refaite à neuf et longue de 62 mètres, le souverain utilise le yacht Al Lusia, que Tamim Ben Hamad Al Thani, l’émir du Qatar, lui a prêté en août 2018.
Il a ensuite acquis un voilier de 70 mètres, en mars 2019. Rebaptisé Badis I, ce dernier appartenait au milliardaire américain Bill Duker, qui en demandait 88 millions d’euros. La même année, en juillet, Mohammed VI a convié le gratin casablancais et rbati à l’inauguration de son bateau et à fêter ses vingt ans de règne, au large de M’diq.
Quelques années auparavant, il avait vécu une drôle d’aventure. Le 7 août 2014, son yacht est intercepté par la Guardia Civil espagnole au large de Sebta (Ceuta), alors que le monarque a reçu l’aval des autorités madrilènes pour naviguer dans la zone. La présence d’un jet-ski sur le navire a laissé croire à la Guardia que des « passeurs » étaient à bord. Interpellé, le souverain rétorque : « Ne savez-vous pas qui je suis ? », avant d’appeler son homologue et ami, Felipe VI. Un responsable de la Guardia Civil est alors immédiatement dépêché sur les lieux pour présenter des excuses…
Armada de comptables
Si Mohammed VI préfère les résidences privées aux palais, il a néanmoins totalement réformé la gestion de ces derniers. Dès 1999, il rompt avec le faste d’antan et bon nombre de traditions, dont le harem, allège le protocole et écarte les hommes de confiance du Palais. Son secrétaire particulier, Mounir El Majidi – qui gère aussi la fortune du roi – lui suggère alors de commander un audit portant sur l’ensemble de ses palais et résidences. Objectif : inventorier l’ensemble des biens (immobiliers et mobiliers), définir les besoins et les budgets nécessaires à leur fonctionnement, optimiser la gestion des ressources et diminuer les dépenses, qui avaient atteint des sommets sous le règne de Hassan II.
Pendant plusieurs mois, Majidi et une armada de comptables appartenant tous au holding royal Siger épluchent les livres de comptes dispersés dans tout le royaume. Leurs conclusions sont sévères : trop de gabegie, trop de malversations, et un personnel à changer dans son intégralité. Majidi ne procédera pas à des licenciements massifs, mais édictera de nouvelles règles, et, pour que celles-ci soient respectées, n’hésitera pas à poursuivre le personnel en justice.
Vols de montres et diète forcée
En 2004, Mustapha Hilali, le conservateur du palais d’Agadir, est accusé de détournements de fonds du palais et de malversations. Il écope de cinq ans de prison, mais sera gracié par le roi. En 2005, vingt personnes – toutes issues du « petit personnel » – sont arrêtées pour détournement des stocks du palais royal de Marrakech.
Au cours de l’été 2006, l’ire du roi s’abat sur Abdelaziz Izzou, le directeur de la sécurité des palais, qui entretient des relations suspectes avec Chérif Bin Louidane, un narcotrafiquant. Si les malversations ont fortement diminué, quinze personnes ont toutefois encore été condamnées pour le vol de 36 montres appartenant au roi, en janvier 2020.
Un an plus tard, Mohammed VI a gracié tout le monde. Il n’hésite cependant pas à sévir lorsque des erreurs sont commises. Ainsi, en 2017, il a suspendu provisoirement trois responsables du palais de Tétouan et de sa résidence de M’diq, qui n’avaient pas préparé les chambres et la suite royale pour son arrivée.
Contrairement à ce qui avait cours sous l’ère Hassan II, le budget alloué aux palais et résidences royales, qui a beaucoup baissé (543 millions de dirrhams, en 2022, soit 50 millions d’euros), est approuvé et voté par le Parlement, à Rabat. Les palais et résidences dans lesquels Mohammed VI ne se rend pas (Ifrane, ferme royale de Bouznika, Salé, Témara…) voient leurs dépenses réduites à leur strict minimum. Les autres lieux sont ravitaillés selon leurs véritables besoins, sans plus. À une époque, certains membres du personnel évoquaient une « diète forcée ». La société Primarios, chargée de l’entretien et de l’ameublement des palais et résidences royales, est, quant à elle, dirigée par le Français Jean-Baptiste Barian, qui n’est autre que le bras droit d’André Paccard, feu l’architecte de Hassan II.
Au tour du roi Salmane d’Arabie
À l’été 2022, tout était prêt, à M’diq, pour accueillir le roi : les jet-skis, la nourriture, les chambres… et pourtant, le monarque n’est jamais venu. Depuis quelques années, et avec le choc de la pandémie de Covid-19, Mohammed VI semble se faire plus rare dans la région, ou être moins visible. Son intérêt pour le nord du Maroc demeure. Toujours à M’Diq, le roi suit de près l’ouverture prochaine du Royal Mansour Tamuda Bay, son nouvel hôtel de luxe, détenu par le holding Siger. Avant le confinement, il envisageait de transformer le palais Moulay El Mehdi, de Tanger, en complexe sportif, dont la gestion reviendrait au Maroco-Néerlandais Abu Azaitar, champion du monde de kick-boxing.
Mohammed VI a fait des émules : en 2015, le roi Salmane d’Arabie saoudite a fait construire un gigantesque palais à Gibraltar, ce qui a apporté une manne économique non négligeable.
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