Le roi Hassan II et Ifrane, écrin de la diplomatie marocaine

Le roi Hassan II avait jeté son dévolu sur le palais d’Ifrane, niché dans une région bucolique qu’il comparait à la Suisse. Entre parties de chasse et rencontres diplomatiques, histoire d’un lieu hors du commun.

Le roi du Maroc Hassan II et le Palais d’Ifrane, à une cinquantaine de km au sud de Fès. © Montage JA / Laurent MAOUS / GAMMA-RAPHO / DR

Publié le 18 juillet 2023 Lecture : 7 minutes.

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[Série] Mohammed V, Hassan II, Mohammed VI… Les rois en leurs palais

Les demeures des souverains sont une manière pour eux d’affirmer leur puissance et leur personnalité. Trois générations, trois monarques, trois lieux emblématiques de la royauté marocaine : Jeune Afrique vous raconte cette saga dynastique.

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Maroc : un roi, un palais (2/3) – À son accession au trône, en 1961, Hassan II dispose d’une résidence royale (Dar Essalam, à Rabat) et de trois palais habitables : à Rabat, à Casablanca, ainsi qu’à Ifrane, sur les contreforts du Moyen-Atlas, en face du célèbre parc de la Prairie des Amours.

Cette ville située à plus de 1 600 mètres d’altitude, que Hassan II surnomme « la petite Suisse du Maroc », surprend par son style européen et son architecture de style alpin. Enneigée une bonne partie de l’année, entourée de forêts de cèdres et de thuyas, c’est une station de ski où l’air est réputé très pur.

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Le palais se fond parfaitement dans le paysage. Avec son aspect médiéval et sa tourelle, il pourrait presque passer pour l’un des châteaux de Sissi, impératrice d’Autriche. Seules les tuiles vertes émaillées (karmoud), typiques de celles des palais impériaux du royaume, rappellent son identité marocaine.

L’édifice a d’ailleurs été construit entre 1938 et 1941 par deux grandes figures du style néo-mauresque (ou néo-marocain). D’abord, Auguste Cadet, architecte personnel de Mohammed V et du ministère des Habous, à qui l’on doit (entre autres) la Mahkama du pacha, à Casablanca, ou la rénovation de la Quaraouiyine, à Fès. Ensuite, Edmond Brion, architecte de la Banque d’État du Maroc (à Casablanca) et de nombreux habitats ouvriers. Ensemble, les deux Français ont réalisé la nouvelle médina du quartier des Habous, dans la capitale économique.

Souvenirs, souvenirs

Le palais d’Ifrane aura été sans conteste l’un des endroits préférés de Hassan II, qui y venait très régulièrement en villégiature. Un attachement qui remonte à ses années de jeunesse. À l’époque prince héritier, Moulay Hassan y passait les vacances de Noël avec sa sœur, Lalla Aïcha, et avec ses camarades du Collège royal, Moulay Ahmed Ben Khallouk et Moulay Hassan Ben Ahmed el-Alaoui. Ils étaient souvent accompagnés d’un convoi de six véhicules et d’une trentaine de personnes : un chef cuisinier européen et deux assistants, deux gouvernantes européennes, trois précepteurs marocains, ainsi qu’une quinzaine de serviteurs et de responsables de la sécurité.

Les repas étaient pris au palais, mais tout le monde dormait à l’Hôtel des Lilas. Là-bas, le jeune prince pouvait contourner le lourd protocole dû à son rang. Il aimait passer ses après-midi au Casino, puis prendre un apéritif à la Brasserie Félix, et, parfois, y assister au bal des anciens combattants. Ou encore emprunter des routes de campagne pour « chasser le lièvre aux phares ».

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En avril 1949, à l’occasion d’une partie de pêche organisée à Ras El Ma – à mi-chemin entre Ifrane et Azrou –, il est réprimandé par le brigadier des Eaux et Forêts, Gilbert Berjoan, qui lui rappelle qu’il se trouve dans une réserve protégée. Très vite, le ton monte, et Moulay Hassan lance : « Je vous ferai jeter à l’eau par mes sujets ! ». L’incident fera l’objet d’un rapport envoyé au maréchal Alphonse Juin, le résident général. Réputé proche des « ultras », ce dernier entretient des relations orageuses avec le sultan Mohammed Ben Youssef.

Dans un contexte très tendu avec Paris et alors que le Mouvement national est en pleine ascension, le jeune prince se montre de plus en plus virulent à l’égard des autorités françaises, qui l’auraient même placé sous surveillance et sur écoute.

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Fougueux, et déjà conscient de ce que sa famille devrait représenter pour le royaume, Moulay Hassan ne supporte pas que l’autorité de son père soit bafouée et que les cordons de la bourse soient détenus par la Résidence. Il souffre aussi personnellement d’humiliations et d’insultes racistes. Volontiers provocateur, le prince héritier se fait livrer, en juillet 1963, une Buick commandée à un commerçant portugais installé à Tanger et sur laquelle flotte un immense drapeau marocain.

Cigognes et macaques

Quelques mois après son avènement, c’est au palais d’Ifrane qu’il choisit de se reposer. Contrairement à son père, qui en avait fait une demeure d’appoint au confort assez rudimentaire, Hassan II décide de l’agrandir et de le moderniser. Le gros-œuvre est géré par Mohamed El Mernissi, un entrepreneur proche du Palais. La décoration est confié au Français André Paccard, architecte personnel de Hassan II, qui sera de tous ses projets.

Même en l’absence du roi, le Palais doit être apprêté comme s’il y était, et, plusieurs fois par jour, de somptueux buffets sont dressés

Plusieurs ailes sont ajoutées, les jardins, ornés d’un immense bassin dans la pure tradition arabo-andalouse, sont emplis de rosiers, de cerisiers, de dais cotinifolia originaires d’Afrique du Sud et de lotus. Il n’est pas rare que des cigognes y fassent leur nid ou que des macaques de Barbarie – des singes locaux, très appréciés par Hassan II – voltigent dans les vieux cèdres.

« Roi bâtisseur », Hassan II fera édifier un palais sur les hauteurs de Tanger, deux palais à Agadir (dont l’un dans lequel il ne passera en tout et pour tout que 24 heures), un autre à Erfoud, un palais d’été à Skhirat, ainsi qu’une ferme royale et un haras à une quarantaine de km de Rabat.

Près de 3 000 ouvriers travaillent à la rénovation du palais de Marrakech, à l’agrandissement de celui de Fès, puis au réaménagement et à la décoration des palais de Meknès et de Tétouan. Le « relooking » du palais d’Ifrane s’inscrit dans cette dynamique. Au début des années 1980, et pour gérer son empire immobilier, Hassan II a d’ailleurs créé un ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, indépendant du gouvernement mais financé sur deniers publics.

Ascenseur et harem

Plus confortable, le palais d’Ifrane, à l’instar de tous les autres, reste sous son règne une demeure très protocolaire et préservée des regards. La sécurité y est assurée par les Abid El Afia (« les esclaves du feu »), et des dizaines de corporations sont préposées aux fusils royaux, au thé, aux lits, à l’eau, aux bains, à la boucherie ou encore aux écuries. Même si le monarque ne se rend à Ifrane qu’une fois par mois environ, le palais doit continuer à vivre et être apprêté comme s’il y était. Plusieurs fois par jour, de somptueux buffets sont dressés. À la fin de la journée, les serviteurs ont le droit de déguster les mets.

Autre institution qui survit à Mohammed V : le harem. Dans Le Fou du roi, Mahi Binebine raconte comment son père, bouffon de Sa Majesté, commit une erreur qui aurait pu lui coûter cher. Alors qu’il quittait les appartements privés de Hassan II, il prit l’ascenseur afin de gagner un salon, au rez-de-chaussée, où l’on avait l’habitude de faire rôtir poulets et moutons dans une immense cheminée. Au lieu de cela, il se retrouva à un étage inconnu, où vivaient les concubines du monarque, un véritable tabou à l’époque. Heureusement, la mounfarija (dame patronnesse du harem) le fit sortir in extremis par un escalier dérobé.

Chasse et terroir

En plus de renvoyer une image moderne du royaume, Ifrane est une ville du terroir. Le Moyen-Atlas, à la végétation luxuriante, passe pour abriter le meilleur gibier du royaume et compte plusieurs domaines royaux (aujourd’hui domaines agricoles), avec élevages de truites, de chevaux ou encore des vergers. Or, Hassan II, qui est un épicurien, apprécie la chasse, la pêche et les plaisirs de la nature. Fréquemment, il y convie ses proches et ses conseillers, ou Mohamed Mediouri, le responsable de sa sécurité, Hosni Benslimane, le patron de la Gendarmerie royale, ainsi que des ministres, comme Driss Basri (Intérieur).

Le monarque a l’habitude de se poster dans un mirador, ses invités restant sur le terrain, tandis que des rabatteurs à cheval frappent des tambourins sur les collines avoisinantes pour faire sortir les sangliers de leurs bouges. Hassan II a toujours l’honneur d’ouvrir le feu. Un jour qu’il tire sur un gros mâle, celui-ci est simplement blessé. Par réflexe, l’un de ses gardes du corps, Raymond Sasia, dégaine pour achever l’animal. « Mais quel petit malin a tué mon sanglier ? Eh bien en bas, vous ne tirez plus, là ! Laissez échapper le gibier ! », lance alors le roi.

Shimon Pérès déguisé en femme

Ce lieu, à la fois bucolique et « boy’s club », devient aussi le cadre idéal des rencontres diplomatiques. C’est à Ifrane que Hassan II a organisé des événements qui ont marqué l’Histoire. En 1969, il convie dans le plus grand secret Houari Boumédiène, le président algérien, afin de discuter du contentieux frontalier entre les deux pays.

En août 1977, Itzhak Hoffi, le chef du Mossad, rencontre Hassan al-Touhami, le vice-président du Conseil égyptien, dans le salon d’apparat. C’est donc par l’entremise de Hassan II que les services secrets israéliens ont noué le contact avec les autorités égyptiennes. Quelques mois plus tard, en novembre, cette rencontre donnera lieu à la visite, inattendue et spectaculaire, d’Anouar el-Sadate à Jérusalem.

À Ifrane, en 1986, Hassan II relance le processus de paix au Moyen-Orient

En 1986, le souverain organise le très médiatisé Sommet d’Ifrane pour relancer le processus de paix au Moyen-Orient, en présence de Shimon Pérès, le Premier ministre israélien. Auparavant, pour préparer le cadre des négociations, Pérès s’était rendu incognito dans ce palais par une porte dérobée et déguisé en femme. Cet art du déguisement a beaucoup amusé Hassan II, au point de l’inspirer puisque qu’il aurait ensuite pris l’habitude de se grimer en vieillard, de se munir d’une canne et d’arborer une fausse barbe afin de parler librement avec les habitants de la ville.

C’est aussi à Ifrane qu’il a fondé, en 1993, la première université anglophone du pays, Al Akhawayn, où l’on enseigne notamment la diplomatie et les relations internationales. L’établissement a été inauguré en 1995 en présence de personnalités, dont le prince héritier (et futur roi) Abdallah d’Arabie et Yasser Arafat, le président de l’Autorité palestinienne.

Retrouvez tous les articles de notre série : 

– Tanger, Tétouan, M’diq, Al Hoceima… Mohammed VI ou l’appel du Nord (3/3)

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