Najat Vallaud-Belkacem : « Si le sommet de Paris ne transforme pas le financement de l’économie mondiale, il n’aura servi à rien »

Retirée de la vie politique, l’ex-ministre de François Hollande participe au sommet de Paris comme représentante d’une ONG. Elle appelle les pays du Nord à davantage de solidarité avec le Sud. Et déplore par ailleurs la dégradation des relations entre la France et le Maroc.

Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre française de l’Éducation nationale. © JEFF PACHOUD/AFP

Soufiane Khabbachi. © Vincent Fournier pour JA

Publié le 23 juin 2023 Lecture : 5 minutes.

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Nouveau pacte financier mondial : bilan en demi-teinte pour le sommet de Paris

Une cinquantaine de chefs d’État, ainsi que des représentants d’institutions internationales et de la société civile ont participé au sommet qui s’est tenu à Paris les 22 et 23 juin. Ce qu’il faut en retenir.

Sommaire

Les 22 et 23 juin se déroule à Paris le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Parmi les objectifs affichés du sommet, auquel ont pris part plusieurs dirigeants africains, figure le renforcement de la solidarité des pays du Nord envers ceux du Sud, fortement impactés par les effets du dérèglement climatique alors qu’ils font partis des États les moins polluants.

Ministre de l’Éducation nationale sous la présidence de François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem, qui est à la tête de l’ONG One, revient sur les grands enjeux de ce sommet, et évoque brièvement la crise entre la France et le Maroc.

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Jeune Afrique : Pensez-vous que la dégradation actuelle des relations entre la France et certains pays africains est un obstacle à la volonté française de se positionner à l’avant-garde de la redéfinition des rapports Nord-Sud que le sommet de Paris ambitionne de mettre en place ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je pense que les tensions entre certains pays – pas tous – et la France sont à la mesure des attentes qu’elle suscite. Si ces pays étaient indifférents, il n’y aurait pas toutes ces manifestations d’hostilité et de frustration. C’est quand on est proches que peuvent naître les grandes déceptions. Je pense donc au contraire que la France a un rôle majeur à jouer. L’idée d’Emmanuel Macron d’organiser ce sommet à Paris est, il faut le reconnaitre, une bonne idée et procède d’une bonne intention.

Cette idée est née au lendemain de la COP27, lorsqu’il fallait se mettre d’accord sur un fonds « pertes et préjudices » pour indemniser les pays qui subissent les conséquences du changement climatique. Aucune règle de répartition et de contribution n’avait été actée. Qu’Emmanuel Macron propose d’y travailler ensemble six mois plus tard pour en discuter me paraissait être une bonne chose. Je trouve que la France est assez indiquée pour jouer ce rôle-là.

Repenser les schémas économiques et les modes de consommation sont des thèmes qui font généralement consensus au sein de l’opinion et chez les leaders politiques, mais ils peinent à trouver une concrétisation, notamment lors des grands sommets internationaux. En quoi le rendez-vous de Paris peut-il se distinguer des autres ?

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Nous sommes bien d’accord pour dire que les sommets qui ne débouchent sur rien sont insupportables. Nous sommes les premiers à rejeter la diplomatie du « blabla ». Notre ONG fait partie de ces acteurs qui cherchent à savoir dans quelle mesure les engagements pris lors de telle conférence internationale ont été respectés ou non. Nous sommes très attachés au respect de la parole donnée. On trouve toujours des solutions pour débloquer de l’argent dans les pays du Nord lorsqu’il s’agit de faire face à l’inflation ou à une crise sanitaire telle que celle du Covid, mais lorsqu’il s’agit de sortir les gens de l’extrême pauvreté, c’est beaucoup plus compliqué.

Le fait que la Banque mondiale accepte de revoir ses règles de fonctionnement et, par exemple, de tripler les financements qu’elle accorde aux pays vulnérables et intermédiaires serait quelque chose de significatif. Il faudra donc juger ce sommet sur les mesures qui y seront adoptées ou non en matière de transformation du financement de l’économie mondiale, qui est essentielle pour lutter contre le changement climatique et la pauvreté.

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Selon les estimations, 2 % du PIB mondial, soit 2 000 milliards de dollars, suffiraient à opérer les changements auxquels vous appelez. Pourquoi est-ce si compliqué de convaincre sur une question qui fait pourtant consensus ?

C’est une très bonne question. Je vois deux éléments de réponse. D’abord, une absence de projection dans le temps long. Un peu comme un ménage à qui on expliquerait que payer une assurance pour sa maison tous les mois lui coûterait beaucoup moins cher que s’il y avait une catastrophe, mais qui préfère ne rien anticiper et payer vingt fois le même montant. Notre monde souffre de cette incapacité à préparer l’avenir et à se prémunir contre les crise dont on sait pourtant qu’elles sont inévitables.

Le deuxième problème est la difficulté à coopérer à l’échelle mondiale et à se sentir solidaires des pays du Sud. Est-ce que les pays du Nord ressentent suffisamment d’empathie face au triplement des sécheresses en Afrique subsaharienne ?

Les institutions multilatérales créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale étaient en théorie la réponse à ce problème. Or elles ne jouent pas pleinement ce rôle. Dans de nombreux cercles internationaux, le Sud n’est même pas représenté. Nous nous battons, par exemple, pour que le G20 accueille de manière structurelle l’Union africaine.

Des représentants du secteur industriel prennent part aux discussions et aux négociations. N’est-ce pas déjà un aveu d’échec ?

Toutes les ONG ne sont pas sur la même ligne sur cette question-là. À titre personnel, je considère qu’on a besoin que le secteur privé aille investir dans les pays vulnérables. Bien sûr, dans les secteurs sociaux, comme la santé, l’éducation, il est préférable de les aider avec des dons. Mais ces pays veulent aussi pouvoir se projeter, avec une vraie stratégie économique. Pour mener à bien leur transition écologique, ils ont aussi besoin d’investissements. Les industriels ont tendance à ne pas investir dans ces pays par crainte des contextes locaux et ont peur de ne pas pouvoir y faire des affaires.

Ce pour quoi nous plaidons auprès de la Banque mondiale, c’est qu’elle « dérisque » les investissements du secteur privé et lui offre des garanties pour l’inciter à investir davantage. Cependant, il est évident que la lutte contre le changement climatique appelle un changement de production et de consommation. Mais ce n’est pas une raison pour rejeter les grandes entreprises du secteur privé. Ces pays-là sont les premiers à dire qu’ils en ont besoin.

En tant que Franco-Marocaine, quel regard portez-vous sur la crise actuelle entre la France et le Maroc ?

Je fais partie de ces gens, que je crois très nombreux, qui sont assez atterrés par la dégradation des relations entre la France et le Maroc. On a le sentiment que beaucoup de maladresses auraient pu être évitées. Ce n’est pas tenable d’avoir une telle crispation entre deux pays amis, dont la proximité est presque familiale.

Nos sorts me semblent inextricablement liés, et cette parenthèse politique est très désagréable et doit être refermée le plus rapidement possible.

Certains évoquent un contentieux personnel entre Emmanuel Macron et le roi Mohammed VI…

Je n’ai ni information ni commentaire à ce sujet. Et je suis habituée à me méfier des récits insolites.

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