Ronaldo, Benzema, Koulibaly… MBS veut faire du sport un levier d’influence
Avoir déjà attiré une brochette de stars mondiales ne lui suffit pas : l’Arabie saoudite, qui postule aussi à l’organisation de nombreuses compétitions internationales, veut faire du sport, et singulièrement du football, un atout diplomatique majeur.
L’Arabie saoudite s’est lancée dans une véritable opération de séduction pour attirer des grands noms du football mondial. Après Ronaldo, Benzema, Kanté et Koulibaly, le royaume vise d’autres têtes d’affiche, dont certains des meilleurs joueurs africains. Une stratégie souhaitée par le prince héritier Mohammed Ben Salman.
Bien sûr, Lionel Messi a refusé l’offre faramineuse d’Al-Hilal, qui lui proposait 1 milliard d’euros pour deux ans de contrat. Une somme comprenant quelques millions pour des opérations publicitaires destinées à convaincre les touristes de visiter un pays qui s’ouvre lentement vers l’extérieur.
Le champion du monde argentin a préféré s’engager avec l’Inter Miami (États-Unis), après que sa femme lui a fait comprendre que la Floride, géographiquement plus proche de l’Argentine, proposait un cadre de vie et des coutumes un peu plus proches de ceux que la famille avait connus à Barcelone et Paris.
Mais l’Arabie saoudite, capable d’attirer le Portugais Cristiano Ronaldo en janvier dernier, à Al-Nassr, a réussi d’autres opérations spectaculaires. Ainsi, l’attaquant français Karim Benzema, Ballon d’Or en 2022, a quitté le Real Madrid pour signer un contrat de trois ans à Al-Ittihad Djeddah, où il touchera 151 millions d’euros de salaire au total (hors primes) et des revenus supplémentaires (droits à l’image, contrats publicitaires).
Il a été rejoint par son compatriote N’Golo Kanté, qui gagnera 100 millions d’euros en quatre ans. Al-Hilal a déboursé 23,4 millions d’euros pour attirer Kalidou Koulibaly, le capitaine des Lions de la Teranga, alors qu’Al-Ahli a engagé le gardien Édouard Mendy, son compatriote et partenaire de club à Chelsea.
D’autres stars africaines, telles le Marocain Hakim Ziyech, le Gabonais Pierre-Emerick Aubameyang (Chelsea), l’Algérien Riyad Mahrez (Manchester City) et l’Égyptien Mohamed Salah (Liverpool, Angleterre), pourraient prochainement être de nouvelles cibles.
Quatre clubs détenus à 75 % par l’État
Les quatre principaux clubs du royaume – Al-Nassr, Al-Ittihad, Al-Ahli et Al-Hilal – sont les plus actifs sur ce marché des transferts. Ils seront détenus très prochainement à 75 % par le Fonds d’investissement saoudien, autrement dit par l’État. « Mohammed Ben Salman veut faire du championnat saoudien l’un des dix meilleurs au monde dans les cinq prochaines années. L’Arabie saoudite dispose de moyens presque illimités. Elle a dix fois plus d’argent que le Qatar, qui a organisé la Coupe du monde 2022 et a attiré de nombreuses stars du football mondial, ou que les Émirats arabes unis. Il faut aussi rappeler que le club anglais de Newcastle United a été racheté par le fond saoudien », explique Lukas Aubin, directeur de recherches à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de géopolitique du sport.
L’Arabie saoudite a décidé de rattraper le retard pris sur les Émirats arabes unis, propriétaires de Manchester City, qui vient de remporter la très convoitée Ligue des champions européenne, mais surtout sur le Qatar, un de ses meilleurs ennemis.
« Le Qatar a commencé bien plus tôt à anticiper la fin de la rente pétrolière, en multipliant les investissements en Europe, notamment avec le rachat du Paris Saint-Germain (en 2011), poursuit Lukas Aubin. L’Arabie saoudite sait que ses ressources pétrolières seront épuisées d’ici soixante-dix ans environ, et elle doit donc en trouver d’autres. Les investissements réalisés dans le sport en Europe sont une façon de faire de l’entrisme dans les économies européennes. C’est ce qu’a fait le Qatar dans le domaine du luxe, de l’hôtellerie ou de l’immobilier. Le football permet de faire des affaires. »
La stratégie saoudienne est donc multi-sectorielle, puisqu’elle consiste non seulement à se mettre sous le feu des projecteurs en multipliant les achats de stars du football – ce qui entraînera la retransmission de matches du championnat saoudien dans d’autres parties du monde et donc générera des droits télé – et en organisant des compétitions internationales, mais également en investissant dans le sport en Europe, via le rachat de clubs, et donc de pénétrer les économies européennes.
Évidemment, cette politique de géopolitique sportive n’est pas sans risques pour le régime saoudien, dont l’image reste très négative. Mohammed Ben Salman n’a pas seulement l’intention d’aider les principaux clubs saoudiens à attirer des grands noms du football mondial et d’organiser une Coupe du monde. Longtemps repliée sur elle-même, l’Arabie saoudite veut également s’ouvrir au tourisme.
« Et dans les deux cas, explique encore Lukas Aubin, il a compris qu’il serait indispensable de libéraliser le régime, notamment sur la question des droits de l’homme. Il a commencé à le faire, certes très timidement, avec les droits accordés aux femmes. Le Qatar, qui a essuyé beaucoup de critiques, notamment à l’approche de la Coupe du monde, a dû, par exemple, améliorer sensiblement la condition des travailleurs. »
L’opinion publique favorable au projet de MBS
Mais une grande question se pose désormais, alors que les clubs saoudiens ont fait de l’Europe leur terrain de chasse privilégié : celle de la pérennité de cette coûteuse politique de vedettariat. Avant l’Arabie saoudite, d’autres pays, comme la Chine et le Qatar, avaient réussi à convaincre des joueurs de classe internationale grâce une politique salariale attractive. Les Ivoiriens Didier Drogba et Yaya Touré avaient ainsi rejoint l’empire du Milieu. Mais le mirage chinois s’est vite dissipé, et le Qatar, malgré l’afflux de grands noms, n’a jamais réussi à remplir les stades.
L’Arabie saoudite, qui est pays où le football est de loin le sport le plus populaire, ambitionne également de faire progresser ses nationaux au contact des stars, suppose Lukas Aubin. « L’Arabie saoudite va probablement être candidate à l’organisation de la Coupe du monde 2034, mais elle va essayer de se qualifier pour celles de 2026 et 2030. Son but sera d’avoir une sélection compétitive, au contraire du Qatar, éliminé au premier tour de son Mondial (trois défaites). Pour l’image, c’est important. »
En Arabie saoudite, cette stratégie voulue par MBS est plutôt favorablement accueillie par la population, comme le précise, sous couvert d’anonymat, cet Européen y travaillant dans le secteur sportif. « Si en plus de voir venir d’Europe des stars, avec les retombées économiques qui vont avec, les Saoudiens peuvent aussi bénéficier d’une libéralisation du régime, même très lente, ils vont approuver. Mais il ne faut pas oublier que dans des clubs saoudiens moins médiatiques, il y a des joueurs ou des entraîneurs qui accusent des retards de salaire de plusieurs mois. C’est assez paradoxal : on dépense des centaines de millions d’euros sans problème, mais pour payer des arriérés de salaire de 20 000 ou 30 000 euros, il faut des mois d’attente et parfois aller devant la Fifa. »
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