Les lanceurs d’alerte anti-corruption toujours aussi persécutés

Ce 11 juillet marque la Journée africaine de lutte contre la corruption. L’occasion pour Amnesty International de déplorer publiquement que les défenseurs de l’État de droit soient souvent victimes de harcèlement judiciaire, de licenciement abusif, de menaces, voire de meurtre.

Grève nationale pour protester contre les faits de corruption et les pertes d’emplois au Cap, Afrique du Sud, le 7 octobre 2020. © REUTERS/Mike Hutchings

Samira Daoud © DR Liliane Mouan © DR
  • Samira Daoud

    Directrice régionale Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International

  • et Liliane Mouan

    Conseillère sur la corruption et les droits humains à Amnesty International

Publié le 11 juillet 2023 Lecture : 5 minutes.

La Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption fête cette année ses 20 ans. Quarante-huit pays l’ont ratifiée et tous les États africains se sont dotés de mécanismes nationaux pour lutter contre ce fléau qui mine l’État de droit et nuit aux droits humains. Pourtant, celles et ceux qui dénoncent la corruption sont victimes de harcèlement judiciaire, de licenciement abusif, de menaces et sont parfois tués.

Abus de pouvoir

Les États africains ont ratifié dans leur quasi-totalité les conventions internationales et régionales qui les obligent juridiquement à s’attaquer au fléau de la corruption et à protéger les droits humains. Liés par ces conventions, les États doivent en particulier respecter, protéger et promouvoir les droits de celles et ceux qui dénoncent la corruption et défendent les droits humains, en garantissant notamment leur liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Ils doivent également mettre en place un environnement propice à l’action des défenseurs anti-corruption. Pourtant, la réalité est tout autre dans de nombreux États.

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La corruption, qui peut être définie sous ses différentes formes (avantage indus, enrichissement illicite, abus de fonction ou trafic d’influence) comme un abus de pouvoir utilisé à des fins personnelles, s’exprimant autant dans la sphère publique que privée, est un phénomène mondial. L’Indice de perception de la corruption 2022 publié par Transparency International relève « une situation désastreuse » en Afrique subsaharienne. Au-delà de la perception, la corruption s’exprime dans les faits au quotidien et à tous les niveaux, prenant la figure du policier, du magistrat, du professeur, du médecin, d’un agent administratif, d’un député ou d’un membre du gouvernement.

Cette corruption porte atteinte aux droits des individus. Devoir donner de l’argent pour pouvoir déposer une plainte judiciaire ou pour que celle-ci prospère au sein des tribunaux peut constituer une violation des droits des victimes à la justice ou des droits de la défense. Payer une somme indue pour obtenir une place dans un hôpital est une atteinte au droit à la santé. Subir un abus de pouvoir pour obtenir un document administratif peut entraver la jouissance des droits au logement ou à la citoyenneté. Être contraint à un acte sexuel pour obtenir une promotion ou de bonnes notes est une violation du droit à la protection contre le harcèlement sexuel et la discrimination, etc. Les détournements de fonds publics privent par ailleurs les autorités de leur capacité à mobiliser le maximum de ressources disponibles permettant d’assurer le droit au travail ou le droit à l’éducation, comme exigé pourtant par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Intimidation et persécution

Les défenseurs anti-corruption – qu’ils soient activistes, journalistes, lanceurs et lanceuses d’alerte ou ONG –, qui font ce travail essentiel de documenter les cas de corruption et leur impact sur les droits fondamentaux, sont pourtant l’objet de harcèlement, d’intimidation et de persécution. Le rapport d’Amnesty International intitulé Répression à l’encontre de défenseur.e.s des droits humains anti-corruption en Afrique de l’Ouest et du Centre présente 31 cas depuis 2018 ; des cas sélectionnés parmi de nombreux autres et qui illustrent les outils et tactiques utilisés par les acteurs étatiques ou non-étatiques pour tenter de réduire au silence celles et ceux qui dénoncent la corruption et défendent les droits humains.

Amnesty International a ainsi identifié plusieurs cas de défenseurs anti-corruption convoqués par la police, arrêtés et détenus arbitrairement, très souvent poursuivis pour diffamation ou diffusion de fausse nouvelle. Des infractions encore criminalisées dans de nombreux pays de la région et qui imposent des peines de prison ou des amendes disproportionnées, en contradiction avec les principes du droit international des droits humains. Ainsi, au Niger, la journaliste Samira Sabou a été condamnée pour diffamation en janvier 2022 à un mois de prison pour avoir republié l’article d’une organisation alléguant que de la drogue saisie par une agence de lutte contre le trafic aurait été remise sur le marché.

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Lois liberticides

Certaines autorités utilisent aussi des lois restrictives pour interdire indûment des manifestations ou réunions publiques des défenseurs anti-corruption. En Guinée équatoriale, le coordinateur de la plateforme Somos+, Joaquín Elo Ayeto, a été arrêté et détenu deux jours à la station de police de Malabo en décembre 2022 pour avoir organisé une réunion pour célébrer la Journée internationale contre la corruption.

Des défenseurs anti-corruption sont aussi victimes de représailles comme des licenciements, suspensions ou dénis de promotion. En novembre 2021, l’ancienne auditrice générale de Sierra Leone, Lara Taylor-Pearce, et son adjoint, Tamba Momoh, ont ainsi été suspendus indéfiniment de leurs fonctions deux semaines avant la soumission au Parlement du rapport annuel d’audit qui alléguait des faits de corruption au plus haut niveau de l’État.

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Des défenseurs anti-corruption subissent également des menaces et pressions, ou même des attaques, pour révéler leurs sources. Au Mali, Moussa Touré, le président de l’Association malienne de lutte contre la corruption et la délinquance financière, a été enlevé et battu par des hommes en tenue militaire en octobre 2020. Quelques jours auparavant, il avait annoncé publiquement sa coopération avec deux lanceurs d’alerte au sein de l’armée qui mentionnaient divers détournements de primes et de salaires et qui faisaient face à des représailles en raison de ces divulgations.

Des pays modèles

Ces attaques contre l’intégrité physique vont parfois jusqu’au meurtre. Au Cameroun, par exemple, le journaliste Martinez Zogo a été enlevé par des inconnus le 17 janvier 2023 et son corps mutilé a été retrouvé dans un terrain vague de la banlieue de Yaoundé cinq jours plus tard. Zogo enquêtait et faisait des reportages sur des détournements présumés de centaines de milliards de francs CFA impliquant des personnalités politiques et économiques proches du gouvernement.

Si les États veulent vraiment respecter leur engagement en matière de lutte contre la corruption et de protection des droits humains, ils doivent mettre en place un environnement propice à l’action des défenseurs anti-corruption, notamment en décriminalisant la diffamation et la diffusion de fausse nouvelle. Ils doivent également adopter des mesures concrètes et efficaces pour améliorer et garantir les droits humains de ces défenseurs et leur permettre de travailler sans crainte de représailles. On peut déplorer à cet égard qu’en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, seuls la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger ont adopté une loi sur la protection des défenseurs des droits humains ; seul le Ghana s’est doté d’une loi spécifique sur la protection des lanceurs et lanceuses d’alertes ; et peu d’États ont adopté une loi sur l’accès à l’information.

Contrer la culture d’impunité

Les États doivent également contrer la culture d’impunité en menant des enquêtes impartiales, transparentes et effectives sur les cas de violation des droits des défenseurs anti-corruption et poursuivre les personnes suspectées d’en être responsables. Ils doivent mettre en place des institutions fortes et efficaces en matière de lutte contre la corruption pour soutenir l’action des défenseurs et s’attaquer aux conséquences de la corruption sur les droits humains, ainsi que garantir l’accès des victimes à la justice.

Sans actes forts des États pour garantir les droits humains des défenseurs anti-corruption et soutenir leur travail, la corruption continuera de gangrener l’État de droit, de renforcer la défiance des citoyens envers les autorités et de saper les droits humains.

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