Fiscalité : à quoi les Marocains résidant à l’étranger doivent-ils s’attendre ?
Le projet de loi marocain relatif à l’échange automatique de renseignements financiers entre le royaume et l’OCDE inquiète certains MRE. À juste titre ? Tout dépend de leur situation.
Début juin, la commission des affaires étrangères de la première chambre du Parlement marocain s’est réunie pour effectuer une première lecture du projet de loi relatif à l’échange automatique de renseignements financiers à des fins fiscales entre le royaume et les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Il n’en fallait pas plus pour semer un vent de panique au sein de la communauté des Marocains résidant à l’étranger (MRE), majoritairement installés en Europe (dont les pays sont membres de l’OCDE), et qui ignorent encore à quelle sauce ils risquent d’être mangés.
Consulté par JA et disponible sur le site de la Chambre des représentants, ce projet de loi (n°77-19) tient en deux pages à peine et ressemble plutôt à un propos liminaire. À ce jour, les modalités n’ont toujours pas été fixées, tout reste donc à construire.
Par ailleurs, lorsque le projet de loi sera véritablement écrit, encore faudra-t-il passer un certain nombre d’étapes cruciales, au sein de la première puis de la deuxième chambre, avant son adoption finale. Le processus pourrait donc durer au minimum un ou deux ans. Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a lui même tenu à rassurer tout le monde en assurant que rien n’était encore fait.
Selon des informations diffusées en off par un certains nombre d’organismes publics, puis relayées par la presse marocaine, le royaume aurait reporté à 2025 son engagement à échanger les données bancaires, fiscales et immobilières avec les 120 pays signataires de « l’accord sur l’échange automatique des déclarations pays par pays”. Un texte promu par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, en coopération avec l’OCDE, que le Maroc a ratifié le 25 juin 2019.
Un dossier stratégique
C’est ce qui aurait permis – en partie – au pays de sortir de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) en janvier 2023. Dans la foulée, toujours en 2019, le gouvernement dirigé par Saadeddine El Othmani avait déposé un décret-loi édictant des dispositions transitoires à l’échange automatique de renseignement à des fins fiscales. Entre-temps, la pandémie est passée par là, et ce décret-loi ne peut être effectif que si le projet de loi 77-19 est adopté…
À l’époque, cette ratification avait déjà suscité une vive inquiétude chez les MRE. D’autant que les autorités marocaines n’ont jamais clairement communiqué sur ce dossier, et que les MRE n’ont pas de représentants directs au Parlement.
En 2021, la polémique a de nouveau enflé lorsque plusieurs médias marocains ont annoncé que cet « accord » ratifié en 2019 était déjà effectif. D’autant que cette information erronée a coïncidé avec l’expulsion de certains citoyens marocains de logements sociaux en Belgique, sous prétexte que ces derniers possédaient des biens immobiliers au Maroc.
À la même époque, la police des Pays-Bas est elle aussi venue au royaume, dans le Rif, dont sont originaire un certain nombre de ses ressortissants, afin d’enquêter sur les biens immobiliers détenus par des MRE bénéficiant d’aides sociales. Certains de ces expatriés installés en Europe ont même commencé à recevoir des courriers, émanant le plus souvent de leurs banques, pour les inciter à déclarer des comptes éventuellement détenus à l’étranger… Autant d’éléments qui ont suscité la psychose. Finalement, et contre toute attente, la Direction générale des impôts (DGI) a pris les devants et s’est fendue d’un communiqué rassurant pour annoncer que « rien n’était acté ».
Un peu plus tard, la presse nationale apprenait que les autorités marocaines avaient même abandonné un projet pilote d’assistance technique avec la France et le secrétariat du Forum mondial sur la transparence fiscale et l’échange de renseignements, visant un échange des données marocaines en septembre 2022. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un dossier très stratégique : fin 2015, les MRE possédaient 2,5 millions de comptes bancaires au Maroc, totalisant la somme de 185 milliards de DH.
Quant à leurs transferts en devises, ils s’établissaient à 109 milliards de DH en 2022 (soit 7 % du PIB). Le Maroc doit donc penser à ses intérêts et à ceux des ses MRE, sans compter qu’il a le droit de choisir les pays avec lesquels ils souhaitent partager ces renseignements fiscaux et bancaires.
Lutter contre la fuite des capitaux
Pourtant, dès 2013, le royaume avait donné son accord de principe afin de rejoindre cet accord. En premier lieu pour lutter contre la fuite des capitaux et l’évasion fiscale. En théorie, un ressortissant du royaume n’a pas le droit d’acheter un bien à l’étranger, ni de sortir des capitaux.
En 2014, Mohamed Boussaïd, le ministre des Finances de l’époque, avait lancé une vaste opération d’amnistie sur les avoirs extérieurs. 19 000 Marocains avaient alors déclaré leurs biens et leurs comptes bancaires détenus à l’étranger, pour un montant total de 28 milliards de DH.
En 2020, l’opération a été reconduite, et 528 millions de DH ont été récupérés par l’État. Or il reste encore de nombreux récalcitrants, et l’Office des changes tient à récupérer son manque à gagner, d’où l’intérêt de partager systématiquement certaines données avec les pays concernés.
Concernant le sort réservé aux MRE, il convient de relativiser les inquiétudes qui commencent à s’exprimer. Aux États-Unis, par exemple, l’échange automatique d’informations financières a déjà commencé avec le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) depuis juillet 2014. Une convention a même été signée pour supprimer la double imposition. Dès lors que les biens et les revenus sont dûment déclarés auprès de la résidence fiscale, il n’y a aucune inquiétude à avoir.
En Europe – là où sont établis environ 5 millions de Marocains ou de binationaux –, la plupart des pays obligent déjà chaque contribuable ou foyer fiscal à déclarer tout compte bancaire (mais également obligations, dividendes, assurances vie) ou bien immobilier détenus à l’étranger. Si le fisc en découvre l’existence par lui-même, les citoyens s’exposent à de lourdes sanctions financières et (parfois) pénales.
Peu de risques pour la majorité des MRE
Plus concrètement, s’il s’agit d’un compte où l’on dépose une somme d’argent tous les mois ou chaque année (pour les vacances ou pour aider un proche, par exemple), provenant de revenus déclarés en France (donc déjà imposés), alors il n’y a aucun risque. En théorie, chaque compte non déclaré à temps expose à 1 500 euros d’amende, mais le fisc sait se montrer conciliant lorsque les citoyens viennent déclarer une erreur par eux-même. Or une grande partie des MRE inquiets aujourd’hui sont typiquement dans ce cas de figure. Par ailleurs, les MRE ayant ouvert un compte convertible dans la filiale d’une banque marocaine en Europe ne sont pas concernés, d’autant que l’argent est déjà tracé par les autorités compétentes.
De même, les personnes qui ont transféré un produit net au royaume – gagné et imposé en France – pour investir dans un bien immobilier destiné à la location ou pour une résidence secondaire, par exemple, doivent ensuite seulement payer des impôts au fisc marocain, là encore pas d’inquiétude donc.
Enfin, dans les autres cas (double salaire, sociétés, dividendes…), les deux pays (tout comme l’Espagne) ont signé une convention qui évite la double imposition et concerne généralement des ressortissants au fait des obligations légales. Évidemment, lorsqu’il s’agira d’évasion fiscale, d’argent opaque, de blanchiment d’argent, les États seront amenés à sévir.
Ce qui semble beaucoup plus injuste et inquiétant en revanche, c’est l’attitude des pays européens face aux biens immobiliers détenus au royaume par les MRE installés sur le Vieux Continent. En 2021, un Marocain bénéficiant d’un logement social en Belgique a été condamné par la cour d’appel d’Anvers à reverser 61 000 euros à son bailleur, car il possédait une propriété au Maroc, ce qui constitue une fraude dans les législations wallonnes et flamandes.
Entre mars 2021 et décembre 2022, le ministère flamand du Logement a lancé une vaste enquête auprès de 677 bénéficiaires de logements sociaux. Il s’est avéré que 322 d’entre eux étaient propriétaires d’un bien à l’étranger, dont 295 au Maroc.
En France, le ministre chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, entend quant à lui s’attaquer à la fraude sociale en se penchant, entre autres, sur les retraités étrangers de plus de 85 ans qui ont choisi de passer leur retraite dans leurs pays d’origine (particulièrement l’Algérie) afin d’identifier ceux qui sont décédés mais dont les pensions continuent à être versées.
Par ailleurs, Gabriel Attal veut renforcer les conditions de séjour en France ouvrant droit aux aides au logement, aux allocations familiales ou encore au minimum vieillesse. Désormais, il faudra passer au moins neuf mois par an sur le territoire français pour en bénéficier.
Dans un contexte de poussée nationaliste et populiste sur le continent européen, et en l’absence de réaction des autorités marocaines, l’échange automatique des renseignements fiscaux et bancaires pourrait – à terme et dans certains cas – devenir de véritables mesures coercitives à l’encontre des MRE.
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