Au Mali, la religion est aussi source de paix

Souvent tenue pour responsable des violences, la religion a mauvaise presse dans les régions en proie à des conflits. Mais elle rassemble aussi, selon Habibou Bako et Rachel Forster, de l’ONG Search for Common Ground.  

Des fonctionnaires électoraux commencent à compter les bulletins de vote lors du référendum sur la Constitution, à Bamako, le 18 juin 2023. © OUSMANE MAKAVELI/AFP

Habibou Bako. © DR Rachel Forster. © DR
  • Habibou Bako

    Chargé plaidoyer Afrique de l’Ouest, Search for Common Ground

  • et Rachel Forster

    Chargée plaidoyer Engagement religieux, Search for Common Ground

Publié le 30 juin 2023 Lecture : 4 minutes.

Selon des résultats officiels délivrés par l’autorité électorale, les Maliens ont approuvé par 97 % des voix le projet de nouvelle Constitution soumis à référendum le 18 juin dernier. Cette consultation – la première depuis la prise de pouvoir d’Assimi Goïta en août 2020 – consacre la rupture avec l’ancien régime et, surtout, cristallise le clivage de la société malienne autour de la question de la laïcité.

Tradition de tolérance

Plusieurs camps sont apparus durant le débat qui a précédé le référendum. D’une part, des acteurs religieux tels que la Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (Limama), qui ont rejeté la nouvelle Constitution d’entrée de jeu, considérant que le mot «laïcité» ne devait pas y figurer, ce concept n’étant pas adapté à un pays qui se caractérise par une forte majorité religieuse : plus de 90 % des Maliens sont musulmans.

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D’autre part, certains partisans de la laïcité, qui ont offert un « oui » conditionnel à cette Constitution. Ils ont notamment demandé une contextualisation du concept adapté à l’histoire et à la culture du Mali, fondée sur une tradition de tolérance interreligieuse que même la dernière décennie d’insécurité et d’extrémisme violent n’est pas parvenue à altérer.

Les représentants de minorités religieuses – chrétiennes ou autres – sont également inquiets à l’idée de voir émerger un État qui ne prendrait en compte que les sensibilités musulmanes dans sa définition de la religion. D’autres font remarquer que même la suppression de la laïcité ne résoudrait pas les divisions, car il faudrait ensuite décider quelle tendance musulmane primerait sur l’autre.

Pour l’ONG internationale Search for Common Ground – présente au Mali, elle s’emploie notamment à  « transformer la façon dont le monde traitent les conflits en s’éloignant des approches de confrontation et en ⌈privilégiant⌋ les solutions coopératives » – , ce que le débat démontre, c’est le rôle essentiel que joue la religion dans la société malienne, son lien avec les conflits, mais aussi la perception qu’en ont les habitants. Le Mali n’est d’ailleurs pas une exception : quand on sait que, selon le Pew Research Center, six des sept milliards de personnes dans le monde s’identifient en tant que membres d’une communauté religieuse, la religion peut difficilement être séparée du conflit. Lorsque les communautés en conflit sentent que leur identité profonde est attaquée, elles se replient sur elles-mêmes, deviennent hostiles à l’autre et risquent de justifier les violations des droits humains ou des actes violents.

Contrer la désinformation

Au Mali, comme dans d’autres pays en proie aux violences, la religion est présentée de manière simpliste comme la source de celles-ci. Mais notre expérience nous prouve que la religion peut aussi être fédératrice : elle ne fait pas que diviser, elle rassemble aussi. C’est pourquoi, avec nos partenaires de l’Initiative conjointe pour une action religieuse stratégique (Jisra), un consortium d’organisations musulmanes, chrétiennes et laïques, nous nous sommes mis au défi de réunir ces acteurs aux opinions diverses et variées pour mieux appréhender les enjeux du débat sur la laïcité. À Mopti, un forum de la jeunesse a réuni plus de 140 participants – c’était la première expérience interreligieuse pour nombre d’entre eux – afin, entre autres, de discuter des définitions de la laïcité et de contrer la mésinformation et la désinformation circulant à son sujet.

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Ces initiatives de coopération entre les religions ne datent pas d’hier. Bien avant le référendum du 18 juin, les acteurs religieux jouaient déjà des rôles de médiateurs et de protecteurs de la cohésion sociale dans leur communauté. Demandez à un Malien ce qu’a fait « l’imam de Gao », par exemple – ce titre désigne non pas l’imam de la plus grande mosquée de la ville, mais plutôt Alpha Oumar, un autre imam connu dans sa communauté comme un homme moral (et donc de confiance) et dont l’éloquence lui permet de résoudre divers conflits. Il est notamment réputé pour avoir mené une médiation entre deux groupes ethniques qui s’étaient enfermés dans un cycle de violences et de rétributions jusqu’à son intervention avec d’autres leaders religieux.

Une réalité incontournable

La religion est une réalité incontournable au Mali. Après le référendum et après le débat sur la laïcité, elle continuera de jouer un rôle essentiel dans l’évolution du pays. Alors que les forces internationales – de l’Union européenne à la Mission de maintien de la paix des Nations unies (Minusma) – se trouvent obligées de réévaluer leur approche des questions sécuritaires au Mali et au Sahel, le moment semble propice pour s’orienter vers une approche qui mobilise tous les membres de la société malienne. Les acteurs religieux peuvent utiliser leur influence et leur crédibilité pour encourager leurs communautés respectives à travailler pour la paix et la réconciliation. Mais pour cela, ils ont besoin de soutien – que ce soit de la part d’autres acteurs de la société civile, des autorités nationales, ou des acteurs internationaux impliqués dans le contexte malien actuel.

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