En Égypte, la « pire décennie » pour les droits humains

Au nom de la lutte contre le terrorisme, Abdel Fattah al-Sissi, arrivé au pouvoir il y a dix ans, tient le pays d’une main de fer, étouffant toute opposition et expression publique.

Portrait du chef de l’armée égyptienne et ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sisi, devant le palais présidentiel du Caire, pendant une manifestation pour l’éviction du président Mohamed Morsi, le 1er juillet 2013. © Khaled DESOUKI / AFP

Publié le 29 juin 2023 Lecture : 3 minutes.

Il y a dix ans, Abdel Fattah al-Sissi demandait aux Égyptiens un « mandat » pour les sauver du « terrorisme » de son prédécesseur islamiste, Mohamed Morsi. Aujourd’hui, l’ancien maréchal dirige un État dans lequel toute dissidence est étouffée, selon des militants pour la défense des droits humains.

Depuis longtemps en Égypte, « des militants ou des avocats étaient incarcérés » pour leurs opinions, explique Mahienour el-Masry. Mais « aujourd’hui, des citoyens lambdas sont accusés de terrorisme pour un sketch sur TikTok ou une publication sur Facebook dénonçant le coût de la vie », poursuit cette avocate des droits humains. Le système judiciaire est devenu un tel labyrinthe que même les juristes disent s’y perdre. « Tout le pays vit dans la crainte d’être arrêté et détenu indéfiniment », estime Hossam Bahgat, fondateur de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). « C’est un outil de gouvernance très efficace : on est passé de l’autocensure à la prise en otage de toute la population », poursuit-il.

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« État carcéral »

Samer al-Desouki, directeur financier de 32 ans, est l’un de ces anonymes happés par une justice mise au pas, assurent les militants, à coups de primes et promotions ou de sanctions et mutations punitives pour s’assurer la loyauté des magistrats. Le 8 mai 2022, il a été arrêté dans la rue, rapporte Hossam Bahgat. Sa famille assure qu’il n’est proche ni des islamistes ni de l’opposition libérale et ses avocats n’ont pas accès à son dossier, comme dans toutes les affaires liées à la Sûreté de l’État.

En juillet 2022, un tribunal de Damiette (nord) l’a innocenté de l’accusation d’ »appartenance à une organisation terroriste ». Puis deux autres en octobre et en décembre. Mais à chaque fois, il a été à nouveau accusé des mêmes chefs, avec un numéro de dossier différent, et est resté en détention préventive.

Pour Washington, l’Égypte, l’un des pays qui recourt le plus à la peine de mort au monde, viole les droits humains dans tous les domaines : des prisons à la liberté d’expression en passant par les droits LGBT+. « L’Égypte n’a jamais été une démocratie très libérale, mais sous Sissi, elle est devenue un État carcéral », accuse Bahgat : « C’est la pire décennie de l’histoire moderne ».

« Zéro manifestation par an »

Me Masry, elle, était dans la rue le 30 juin 2013 pour conspuer le régime de Mohamed Morsi. Dix ans plus tard, après trois incarcérations sous le règne de Sissi, dont une pour manifestation illégale, elle ne manifeste plus. Avant, grèves et défilés de comités de quartier ou d’entreprise étaient légion. « Aujourd’hui, il y a littéralement zéro manifestation par an », estime Hossan Bahgat. « Il n’y a plus aucun journal d’opposition ni aucun moyen d’exprimer son opposition de façon organisée », poursuit-il.

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Selon des ONG, « 562 sites » d’informations ou d’associations et de partis sont bloqués dans le pays. Et la censure ne s’arrête pas là : les musiques rap et électro, préférées des jeunes, sont régulièrement interdites de scène car jugées « contraires aux valeurs familiales ». C’est pour ces mêmes « valeurs » qu’une dizaine d’influenceuses ont été détenues ou jugées. Et que des députés pro-Sissi veulent régulièrement bannir Netflix.

En face, le pouvoir vante sa nouvelle « stratégie des droits humains » avec un « dialogue national » où « d’anciens détenus parlent à des gens qui appartiennent aux institutions avec enthousiasme », affirme son coordinateur, Diaa Rashwan. Les dispositions d’exception, censées disparaître avec la levée de l’état d’urgence en 2021, ont en fait été intégrées peu à peu à la loi « pour en faire un outil de répression », constate Hossan Bahgat. « Même au plus fort de l’autoritarisme » sous les précédents présidents, poursuit-il, « la bureaucratie et la justice créaient une base légale pour justifier les abus, maintenant ils ne se donnent même plus la peine de faire cela ».

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(Avec AFP)

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