Pas assez de fonds pour les amputés, victimes de viol et veuves de guerre

Ne disposant que d’un quart des fonds nécessaires pour indemniser les personnes dont les droits humains ont été violés au cours de la guerre civile qui a déchiré la Sierra Leone pendant 11 ans, le gouvernement se trouve confronté à un choix difficile : décider qui recevra quel type d’aide.

Publié le 24 février 2009 Lecture : 5 minutes.

L’aide aux victimes, qui figure parmi les recommandations de la Commission Vérité et réconciliation (CVR) sierra-léonaise, devrait être dispensée à compter de la fin février. Jusqu’à 100 000 personnes – parmi lesquelles des amputés et autres blessés de guerre, des victimes de violences sexuelles, des veuves de guerre et des enfants – y auront droit.

Mais la Commission nationale pour l’action sociale (NACSA), qui dirige le programme d’indemnisation, a un budget de moins de 3,5 millions de dollars pour mener le programme en 2009/2010 – une somme bien inférieure aux 14 millions de dollars requis, selon Amadu Bangura, responsable des programmes d’indemnisation à la NACSA.

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L’essentiel des financements de cette année provient du Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix. En guise d’indemnisation, les bénéficiaires recevront des logements, des formations professionnelles, des soins de santé et des aides éducatives et agricoles ; des activités symboliques seront également organisées, comme des ré-inhumations, construction de mémoriaux, cérémonies commémoratives, a indiqué à IRIN M. Bangura, de la NACSA.

En raison du manque de fonds, les veuves de guerre qui s’inscrivent ne recevront pas d’aide avant 2010, au plus tôt, selon M. Bangura, et les nouveaux logements, d’une valeur de 6 500 dollars chacun, ne devraient être accordés qu’aux amputés et aux blessés de guerre.

De l’argent

La NACSA a choisi l’indemnisation par la prestation de services plutôt que par le versement de subventions, a indiqué M. Bangura.

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« Nous pensons que l’argent est un avantage éphémère qui a vite fait de disparaître. Nous dispensons des services sociaux pour aider les gens à retrouver leur dignité personnelle, permettre aux blessures de se refermer et promouvoir la réconciliation ».

Mais tout le monde n’est pas satisfait de ce qu’offre la NACSA. Lamin Jusu Jaka, président de l’Association des amputés et des blessés de guerre, un organisme communautaire de Freetown, la capitale, a expliqué à IRIN que les membres de l’association préfèreraient recevoir des subventions.

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Les anciens combattants ont reçu des aides financières de quelques centaines de dollars, et certains ont suivi des formations professionnelles après avoir quitté les rangs des forces armées, en 2002. « Nous nous attendions à ce que l’on puisse nous verser des allocations, comme ils l’ont fait pour les anciens combattants », a expliqué M. Jaka, dont les deux mains ont été tranchées par un rebelle connu sous le nom de CO Cut Hands [CO le trancheur de mains].

« Cet argent permettrait aux bénéficiaires, dont bon nombre ne peuvent plus travailler, de décider par eux-mêmes ce dont ils ont le plus besoin ; cela pourrait les rendre plus autonomes », a estimé M. Jaka. « Nous sommes des adultes, pas des enfants. Nous sommes capables de prendre nos décisions nous-mêmes ».

M. Jaka lui-même dépend à l’heure actuelle de l’aide des associations caritatives pour subvenir aux besoins de ses deux femmes et de ses six enfants, a-t-il déclaré.

Un système qui convient à certains

Mais d’autres sont satisfaits des services offerts. Marie Kargbo (un nom d’emprunt), qui a perdu son mari et son jeune fils durant la guerre, a pour sa part assuré qu’elle serait contente de recevoir des soins de santé gratuits et de l’argent pour payer les frais de scolarité des trois enfants qu’il lui reste.

Mme Kargbo, violée par trois rebelles pendant la guerre, a été rejetée par sa communauté, y compris par la famille de son défunt époux. Elle a fui Batkanu, dans le nord, pour s’installer à Freetown et ne s’est pas remariée. « Les gens rient de moi. Je ne peux pas me sentir bien dans ma peau ».

Aujourd’hui, Mme Kargbo subvient aux besoins de sa famille, notamment de sa fille, née d’un viol, en vendant de l’eau et une boisson gazeuse au gingembre au bord de la route.

Elle aimerait être formée au tie-dye (technique de teinture au nœud) et à la couture. « Je veux être autonome », a-t-elle confié à IRIN.

Les allocations et les formations professionnelles feront partie des indemnisations accordés, mais elles devront être reportées jusqu’à ce que des fonds supplémentaires soient débloqués.

Trouver des fonds supplémentaires

Le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Sierra Leone doit fonctionner sur une période d’un an, avec un budget de trois millions de dollars, selon M. Bangura ; l’avenir du programme d’indemnisation est donc incertain. Le gouvernement sierra-léonais y participe actuellement à hauteur de 246 000 dollars.

Aujourd’hui, la principale difficulté de la NACSA consiste à obtenir des fonds supplémentaires, a expliqué M. Bangura. A l’heure actuelle, aucun versement de fonds supplémentaire n’est prévu pour poursuivre l’indemnisation des victimes de guerre, et selon M. Bangura, de nombreux bailleurs attendent de voir si les premiers fonds versés seront dépensés à bon escient.

Mohamed Suma dirige le programme d’indemnisation du Sierra Leone Court Monitoring Programme (Programme de contrôle des tribunaux en Sierra Leone – SLCMP), qui surveille l’application des recommandations de la CVR ; pour lui, il incombe au gouvernement de trouver des fonds.

« La Sierra Leone ne peut pas continuer de tenir la communauté internationale pour unique responsable du manque de fonds. La question de l’indemnisation est essentiellement nationale ».

Un engagement plus ferme

L’accord de paix signé à Lomé, en 1999, et le rapport publié par la CVR en 2004 recommandaient tous deux au gouvernement de mettre en place des systèmes de collecte de fonds en vue de l’indemnisation des victimes, et notamment d’utiliser les revenus générés par l’exploitation des mines de diamants.

Mais d’après M. Suma, le gouvernement n’a essayé de mettre en place aucun des systèmes recommandés.

D’après M. Bangura, de la NACSA, toutefois, l’indemnisation a été retardée en partie parce que le gouvernement s’est efforcé de rétablir la paix et de réformer les secteurs de l’armée, de la police et de la justice. « L’accent a désormais été mis sur l’indemnisation », a-t-il affirmé.

Pour M. Suma, le gouvernement doit soutenir davantage ce programme. « Si le gouvernement soutient énergiquement l’indemnisation dans son discours, les actes n’accompagnent pas [les paroles] », a-t-il déploré, faisant remarquer que la CVR avait publié ses recommandations en 2005.

En outre, pour montrer son engagement, le gouvernement devrait aller plus loin, en s’excusant publiquement pour le rôle qu’il a joué dans la guerre civile, a estimé M. Suma.

« L’Etat n’a pas protégé ses citoyens. On ne peut pas indemniser sans s’excuser. Cela équivaut à soudoyer les victimes pour qu’elles gardent le silence ».

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