Le coton bio peut-il sauver l’industrie?
La hausse des prix des carburants et des engrais, les infestations d’insectes et les dégâts causés au sol par les substances chimiques ont amené certains producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest à se lancer dans la production de coton biologique. Mais la récession internationale a provoqué un plafonnement de la demande pour cette nouvelle culture, selon une association corporative.
La production mondiale de coton bio a augmenté de plus de 150 pour cent pour passer à 145 000 tonnes en 2008, soit environ 0,55 pour cent de la production totale de coton, selon l’organisme américain à but non-lucratif Organic Exchange, qui promeut et surveille le secteur de l’agriculture bio.
Bien que les producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest n’aient produit que deux pour cent environ de cette quantité, leur production a doublé par rapport à 2007.
Mais la crise financière mondiale pose un véritable problème pour les promoteurs du coton bio, a expliqué Jens Soth de l’organisation non-gouvernementale (ONG) suisse Helvetas, qui aide les agriculteurs à gagner leur vie en se lançant dans l’agriculture bio.
« Avec la crise financière, les entreprises ont moins le goût du risque. Elles honorent encore leurs contrats d’achat de coton bio, mais la demande n’augmente pas. Elles attendent de voir comment leurs consommateurs vont réagir [à la récession] ».
Selon M. Soth, de plus en plus de fermiers veulent participer aux programmes d’Helvetas, qui forme les agriculteurs, surveille la production et a acheté du coton bio à près de 10 000 fermiers au Mali, au Burkina Faso et au Kirghizistan depuis 2002. « Mais nous n’acceptons plus de nouveaux agriculteurs pour l’instant. Pas dans ce climat. J’espère même qu’on pourra vendre la production de cette année ».
Malgré de sombres perspectives économiques, M. Soth s’est dit optimiste quant à la capacité du marché bio à supporter la récession. Les clients d’Helvetas, notamment la chaîne de lingerie américaine Victoria’s Secret et plusieurs sociétés suisses dont la société Reinhart, spécialisée dans le commerce du coton, le détaillant Migros et le groupe textile Switcher, n’ont pas annulé leurs commandes, mais la demande plafonne.
Au Burkina Faso
Le Burkina Faso, un des premiers exportateurs de coton d’Afrique de l’Ouest, est devenu le 10e producteur mondial de coton bio en 2008, avec 2 000 tonnes produites, soit le double de la production de l’année précédente, selon Organic Exchange.
Pourtant, si le coton bio se vend plus cher que le coton classique, le jeu n’en vaut peut-être pas la chandelle, à en croire le directeur de l’association des producteurs de coton du Burkina Faso.
« Cultiver du coton bio n’est pas facile », a expliqué à IRIN François Traoré, président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso. « Bien qu’ils promeuvent le coton bio, les membres [de l’Union] n’en cultivent pas ».
Selon M.Traoré, il est de plus en plus difficile de rester compétitifs face aux producteurs indiens, qui « ont commencé à casser les prix ?du coton? bio ».
Les producteurs burkinabés de coton bio empochent environ 50 centimes de dollar le kilo. Mais leurs bénéfices sont moins importants que pour le coton classique, car même si les fermiers gagnent jusqu’à 30 pour cent de plus par kilo, ils produisent, en moyenne, moins de la moitié de coton, selon M. Traoré.
En outre, pour cultiver sans pesticide, il faut assurer une rotation des cultures, et désherber et répartir les engrais à la main, ce qui limite la production, selon le président de l’association des producteurs de coton.
Mais le coton bio, produit sans substances chimiques, a un avantage : les femmes, exclues du secteur agricole, qui requiert l’utilisation de puissants pesticides, peuvent désormais y travailler, selon M. Traoré.
« Environ 70 pour cent des producteurs bio de ce pays sont des femmes. Les vapeurs [des pesticides pulvérisés pour produire du coton classique? sont nocives pour les enfants [qui restent aux côtés de leurs mères lorsque celles-ci travaillent] et les femmes enceintes ».
Des avantages à long terme
Au passage de la production de coton classique à la production de coton bio, il faut, dans un premier temps, prévoir un rendement moindre, selon une étude comparative des cotons bio et classique, réalisée en 2008, au Mali, par l’université canadienne de Moncton.
Selon les chercheurs, parce que l’agriculture bio exige une rotation des cultures, ce qui réduit la surface disponible pour la production de coton, il faut parfois attendre au moins quatre ans avant que de nouvelles cultures et une meilleure fertilité du sol compensent la perte de revenus occasionnée.
Toutefois, malgré le manque à gagner, à court terme, en matière de bénéfices, à long terme, les avantages sanitaires et environnementaux de l’agriculture sans produits chimiques l’emportent, ont indiqué les chercheurs.
Ceux-ci ont donc conclu qu’à long terme, tant que la main-d’œuvre sera bon marché, le secteur du coton sans produits chimiques sera plus profitable que celui du coton classique ; il permettra de réduire la pauvreté dans les régions rurales, en employant davantage de femmes, et d’améliorer la gestion des sols.
Au Bénin
Au Bénin, quelque 1 500 producteurs ont produit 500 tonnes de coton bio en 2008, selon l’Organisation béninoise pour la promotion de l’agriculture biologique.
Evelyne Sissinto, représentante d’Helvetas au Bénin, a expliqué à IRIN que les prix élevés des engrais et des carburants, conjugués à la détérioration de l’environnement, avaient commencé à inciter les agriculteurs à se lancer dans l’agriculture bio.
Selon Mme Sissinto, la production de coton bio est aussi bien une question de subsistance qu’une question d’agriculture. « Helvetas offre aux producteurs de coton un prix minimum garanti et les familles ne sont plus obligées de s’endetter pour acheter des engrais et des pesticides coûteux ».
Helvetas achète le coton bio jusqu’à 59 centimes le kilo ; en outre, l’organisme délivre une certification biologique, dispense des formations et apporte une aide continue aux agriculteurs, d’après Mme Sissinto.
Parts de marché
Si des milliers de fermiers se sont lancés dans la production de coton bio en Afrique de l’Ouest, la majorité des producteurs de coton de la région cultivent encore du coton classique. Au Burkina Faso, ils sont 350 000 à cultiver du coton classique, au Bénin, un peu moins, selon les associations corporatives des deux pays. Les producteurs bio représentent 0,1 pour cent des cultivateurs dans les deux pays.
Mais peu importe le temps que cela prendra, selon Jeanne Zoudjihekpon, chercheuse agricole à Cotonou, capitale économique du Bénin, il est temps que les fermiers reviennent « au point de départ », à leurs racines naturelles.
« Nos ancêtres pratiquaient la culture biologique ; ils ne connaissaient pas les produits chimiques. Si nous voulons rester égaux à nous-mêmes, nous n’avons d’autre choix que celui de la culture biologique ».
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a décrété que 2009 serait l’année internationale des fibres naturelles, pour contribuer à promouvoir ce secteur, qui rapporte généralement 40 milliards de dollars par an – essentiellement grâce aux revenus du coton – mais qui s’est contracté ces dernières années en raison des pertes enregistrées dans le secteur du coton classique.
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