Du maquillage contre des armes, mais toujours pas d’emplois

Tony Clarke a échangé deux grenades contre un ensemble de peignes, de pinceaux de maquillage et de vernis à ongles et une brève formation au métier de cosmétologue.

Publié le 3 février 2009 Lecture : 4 minutes.

« Ils m’aident à m’embellir », a confié ce jeune homme de 32 ans, au bouc soigneusement taillé, qui porte à son poignet la contrefaçon tape-à-l’œil d’une montre de marque. « En tant que cosmétologue, vous devez soigner votre apparence avant de vous occuper de celle des autres ».

M. Clarke, qui a combattu dans le pays pendant la guerre civile, doit obtenir son diplôme à l’issue de sa formation, en mars prochain. Mais au vu du taux de chômage spectaculaire et de l’industrie privée peu développée qui caractérisent le Liberia, il risque, comme bien d’autres anciens combattants formés, de se trouver dans l’incapacité de décrocher un emploi.

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M. Clarke fait partie des centaines de milliers de Libériens, dont bon nombre étaient encore enfants à l’époque, qui ont combattu durant la guerre ; une guerre qui a fait plus de 330 000 déplacés, des dizaines de milliers de blessés et un nombre de morts indéterminé. Il compte également parmi les 101 000 anciens combattants qui participent au processus de désarmement, démobilisation, réhabilitation et réinsertion (DDRR) mené par les Nations Unies depuis la fin de la guerre, il y a six ans.

Dans le cadre de ce programme de DDRR, financé entre autres par les gouvernements de la Norvège, des Etats-Unis et du Royaume-Uni, et exécuté par les Nations Unies et diverses organisations non-gouvernementales (ONG), les anciens combattants rendent leurs armes et en contrepartie, reçoivent une subvention et se voient offrir, dans certains cas, la possibilité de suivre une formation professionnelle aux métiers de mécanicien, de menuisier, d’agriculteur, de cosmétologue ou autres.

M. Clarke et ses amis préfèrent le terme « bénéficiaires » à celui « d’anciens combattants », selon Kpangbala Sengbe, responsable de programme à la Commission nationale de DDRR, un organe public ; pour lui, ce changement de terminologie représente une évolution positive des attitudes.

Pas de travail

Mais pour l’instant, on ignore dans quelle mesure cette démarche leur sera profitable, puisque de nombreux apprentis ayant participé au programme n’ont toujours pas de travail.

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Au Liberia, selon les statistiques du ministère du Travail, le taux de chômage s’élève à 70 pour cent.

« Le secteur privé n’a pas été développé, alors les personnes [qui ont suivi la formation professionnelle] n’ont pas été embauchées », a indiqué un responsable de la Mission des Nations Unies au Liberia (MINUL), sous couvert de l’anonymat. « Les gens ont besoin d’argent, et tout de suite ! ».

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M. Clarke espère ouvrir son propre institut de beauté, mais pour en avoir les moyens, tout en subvenant aux besoins de sa famille, il devra quitter Monrovia, la capitale, pour s’installer dans une région où le coût de la vie est moins élevé.

En effet, à compter d’avril, lorsque le programme de DDRR s’achèvera, il ne percevra plus les 30 dollars américains d’allocation mensuelle que lui versent les Nations Unies pour l’aider à couvrir ses frais de transport et d’équipement.

Le secteur agricole laissé pour compte

Un plus grand nombre d’emplois auraient été créés si les programmes de formation avaient porté davantage sur l’agriculture, selon M. Sengbe, de la Commission nationale de DDRR.

A l’heure actuelle, seules quatre pour cent des basses terres libériennes sont irriguées, selon Chris Toe, ministre de l’Agriculture ; le pays est donc largement tributaire des vivres qu’il importe. Les Libériens, qui importent notamment 90 pour cent de leur riz d’Asie et des Etats-Unis, sont par là même vulnérables aux fluctuations des prix.

La MINUL avait pourtant proposé des formations à l’agriculture, mais bien que deux tiers des Libériens vivent en milieu rural, seuls quatre pour cent des apprentis ont choisi de s’intéresser à l’agriculture, selon la Mission.

Bien qu’un retour à la terre ouvre des portes en matière d’emploi, de nombreux anciens combattants ne sont pas intéressés.

Matthew Karr, 31 ans, est originaire du comté de Nimba, où sa mère cultive le riz, mais il n’entend pas y retourner. « Je suis venu ici [dans la capitale] pour me faire tout seul. Si j’avais le choix, je deviendrais comptable ».

Bientôt la fin de la DDRR

Malgré les lacunes du programme de DDRR, beaucoup s’inquiètent des conséquences qu’aura sa fermeture. Malgré le peu d’emplois, les 30 dollars d’allocation de formation versés chaque mois par les Nations Unies permettent aux participants de s’en sortir, selon M. Clarke.

D’après un responsable de la MINUL, qui n’a pas souhaité être nommé, d’autres types de programmes pour l’emploi ont été plus efficaces que les formations dispensées par la Mission, notamment le programme d’emploi d’urgence financé par les Nations Unies et mené par le gouvernement libérien depuis 2006.

Dans le cadre de ce programme, des méthodes nécessitant une main-d’œuvre importante ont été utilisées pour réparer les voies, creuser des fossés, et reconstruire les infrastructures détruites par la guerre : ainsi, 60 000 personnes ont été employées pour une durée de six semaines, et rémunérées à la fois en vivres et en argent.

A l’avenir, les bailleurs de fonds devraient s’intéresser à ces projets créateurs d’emplois, pour tenter de stimuler l’économie, de développer les infrastructures et de donner des emplois aux travailleurs, a préconisé M. Sengbe.

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