Les cuisines d’Afrique subsaharienne manquent-elles de saveur ?

Elles apparaissent régulièrement en queue de peloton dans les palmarès mondiaux. Trop souvent méconnues, peu mises en avant, elles doivent se réinventer pour conquérir les plus grandes tables du globe.

Dans l’école hôtelière d’Arta, à Djibouti. © Patrick Robert

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  • Téguia Bogni

    Chargé de recherche au Centre national d’éducation, au ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation du Cameroun.

Publié le 8 juillet 2023 Lecture : 4 minutes.

Dans les classements internationaux, qu’ils soient réalisés par des structures privées ou par des organismes publics, les rangs occupés par les pays d’Afrique subsaharienne sont presque toujours problématiques. Leur faible performance sur plusieurs questions sociétales est la cause principale de ces positions peu flatteuses. Cette tendance s’est, une fois de plus, confirmée avec le palmarès mondial des cuisines établi et publié en juin 2022 par la plateforme TasteAtlas.

Acte de discrimination ?

Dans ce classement, aucun des pays situés au sud du Sahara ne voit sa cuisine figurer dans le top 50, à l’exception de l’Afrique du Sud, dont l’art culinaire arrive à la 24e position. Toutefois, les cuisines algérienne, marocaine, tunisienne et égyptienne occupent respectivement les 26e, 31e, 44e et 47e places.

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L’on note une grande stupéfaction et une totale incompréhension chez les membres de la brigade d’Escoffier, les partisans de Curnonsky, mais également chez de nombreux gourmets des cuisines subsahariennes. Ceux-ci ont tout simplement du mal à cerner la raison de l’absence de ces cuisines de ladite liste, malgré la gastrodiversité de leurs pays respectifs. Si certains restent circonspects en s’interrogeant au préalable sur les critères qui ont conduit à ce palmarès, d’autres, en revanche, sont plus enclins à y voir, comme c’est bien souvent le cas, un acte de discrimination.

La problématique des classements des cuisines nationales est particulièrement intéressante compte tenu de l’actualité mondiale liée à la crise russo-ukrainienne. Tous les pays du monde, à quelques exceptions près, courent le risque d’une crise alimentaire, selon les analystes. Dans cet environnement, le sort des pays africains est encore plus préoccupant. Sur le continent, comme partout ailleurs sur le globe, le prix des denrées alimentaires a atteint des sommets historiques. C’est pour éviter le scénario catastrophe d’une famine aux conséquences sociopolitiques vraisemblablement dramatiques que le président sénégalais Macky Sall, par ailleurs président en exercice de l’Union africaine, s’est rendu en urgence, le 3 juin 2022, en Russie, afin de rencontrer Vladimir Poutine.

L’objet de cette visite s’est résumé à inviter la Russie et l’Ukraine à la désescalade et, dans le même temps, à trouver un compromis diplomatique pour la circulation du blé ukrainien et des fertilisants russes afin d’approvisionner les marchés africains. Ce blé est bloqué dans le port d’Odessa, parce que celui-ci a été miné par Kiev, tandis que les fertilisants russes font l’objet d’un embargo de la part de l’Occident.

À cet état de fait, l’on pourrait ajouter la sortie épistolaire de Célestin Tawamba, le président de l’Union des patronats d’Afrique centrale (Unipace), qui a lancé un appel public dans Jeune Afrique, en juin 2022, au président français, Emmanuel Macron. Il invitait ce dernier à convoquer, en sa qualité de président du Conseil de l’Union européenne, un sommet extraordinaire UE-Union africaine sur l’urgence alimentaire.

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Pauvres, voire inexistantes

Une lueur d’espoir semble pointer à l’horizon depuis que s’est tenu, du 15 au 18 juin 2022, le Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF). Au cours de cet événement, le président russe s’est engagé à exporter de la nourriture vers les pays qui en ont le plus besoin, notamment en Afrique. Au cours de l’allocution prononcée le 20 juin 2022 en visioconférence devant le bureau élargi de l’Union africaine, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a fait part de sa volonté de « débloquer les ports ukrainiens », non sans solliciter, en filigrane, le soutien des pays africains.

Ces événements géopolitiques remettent au goût du jour l’épineuse question de la forte dépendance des pays africains envers les produits alimentaires et vis-à-vis des intrants agricoles. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’image du continent en prend encore un coup. Cela donne en effet le sentiment que ses cuisines sont pauvres, voire tout simplement inexistantes. Or la réalité est tout autre. Elles sont en effet riches et diversifiées, à l’image même de la belle diversité écologique et sociologique que l’on rencontre au sein des 54 États constituant ce continent. Au final, qu’est-ce qui peut donc bien justifier une si faible représentativité des cuisines continentales dans les classements spécialisés ?

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Une question de représentativité

Contacté, l’éditeur de TasteAtlas a bien voulu nous expliquer la démarche et les outils qui ont permis l’élaboration de cette classification. De prime abord, les utilisateurs enregistrés évaluent trente plats, boissons et produits alimentaires d’un pays, qu’ils ont déjà goûtés. Cela revient à dire que ce sont des internautes lambda qui sont au cœur de ce vote. Puis, un système d’intelligence artificielle procède à la validation des avis, qui ne sont pris en compte que si les utilisateurs sont humains. Autrement dit, un algorithme de reconnaissance différencie les votants réels et bien intentionnés des bots ou des voix particulièrement identitaires. S’ensuit une élimination systématique de tous les votants qui donnent d’excellents avis à un pays et de mauvais avis à d’autres, à partir d’une localisation pouvant être considérée comme problématique.

La somme de ces données concourt, en fin de compte, à attribuer une note finale à chaque pays, d’où les listes régulièrement établies. TasteAtlas ne manque pas de préciser que « les pays qui ne figurent pas dans ce classement n’ont pas assez d’éléments évalués ». Aussi peut-on conclure que les cuisines d’Afrique subsaharienne pâtissent en réalité d’un manque de promotion stratégique, tout simplement.

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