A’Salfo : « Quand je vois le Sénégal aujourd’hui, cela me rappelle la Côte d’Ivoire en 2020 »

Le fondateur et leader du groupe Magic System, patron de Gaou Productions et récent diplômé d’un Global Executive Master en management à HEC Paris, est le samedi 1er juillet le Grand Invité de l’économie RFI-Jeune Afrique.

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Publié le 30 juin 2023 Lecture : 10 minutes.

A’Salfo, musicien, artiste pour la Paix, ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco, membre du conseil économique et social de Côte d’Ivoire depuis 2019, est devenu une figure incontournable de l’industrie musicale africaine.

Il y a plus de vingt ans, A’Salfo – Salif Traoré de son vrai nom – s’est lancé dans l’aventure avec vos trois « Magiciens » originaires d’Anoumabo, un quartier populaire dans le sud d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Le leader de Magic System est aujourd’hui à la tête d’un large business dévolu principalement à la jeunesse et à la musique.  Dans une interview, diffusée le 1er juillet à 10h 10 TU sur RFI, l’artiste évoque son combat pour les droits d’auteur, le développement des industries culturelles créatives, l’emploi des jeunes, les relations Nord-Sud, la vie politique en Côte d’Ivoire, au Sénégal…mais aussi en France.

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Jeune Afrique : Depuis le succès de votre tube « Premier gaou », en 2008, vous avez largement dépassé le statut de leader d’un groupe de musique pour devenir un leader d’opinion. Est-ce cela être un artiste aujourd’hui ?

A’Salfo : J’ai voulu que change la vision que les gens ont des artistes africains. Parce que, pour moi, être artiste, ce n’est plus seulement entrer dans les palais, attraper un micro et chanter dans des galas. Il fallait montrer à un moment donné que l’artiste est un bâtisseur qui peut prendre part au développement de son pays.

C’est d’autant plus facile quand on en a les moyens…

Avoir les moyens, c’est quoi ? Ce n’est pas seulement financier. Avoir les moyens, c’est avoir une tribune pour s’exprimer, c’est avoir un canal pour faire passer un message. Avec Magic System, on a fait le tour du monde et on a fini par estimer que l’on pouvait être utiles à notre communauté, pas seulement en la faisant danser et chanter, mais en essayant d’améliorer les conditions de vie des populations. En essayant d’être le porte-parole de ceux qui n’ont pas de voix.

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Aujourd’hui ça marche, et je suis content de pouvoir porter loin ces messages-là.

Vous avez repris vos études et êtes fraîchement diplômé d’un master à HEC Paris. L’ambiance que vous avez mise lors de la cérémonie de remise des diplômes a d’ailleurs été largement commentée sur les réseaux sociaux. Avez-vous réalisé un vieux rêve ?

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C’était un rêve d’enfant, le rêve du jeune élève qui voulait aller dans des grandes écoles pour approfondir ses connaissances mais qui, malheureusement n’en avait pas les moyens. Aujourd’hui, les conditions sociales me permettent de m’inscrire dans cette grande école, même si cela n’a pas été facile. Il a fallu passer par des tests, que j’ai réussis parce que j’ai eu la chance de faire jouer mon expérience sur le terrain avant de m’inscrire.

Et puis, c’est aussi un message que je voulais faire passer à tous ceux qui croient qu’être célèbre c’est une fin en soi. Avoir de l’argent, c’est une fin en soi. À tout cela, il faut ajouter une dose académique, un peu de connaissances pour pouvoir bien mener ce qu’on a envie de faire.

L’un de vos grands combats est le paiement des droits d’auteur pour les artistes, un sujet complexe en cette époque, où la musique est en plein bouleversement…

Mon mémoire [de master à HEC, ndlr] s’est fait autour de la récupération automatisée des droits d’auteur. J’ai voulu effectuer un benchmark entre la Sacem et le Burida (le Bureau ivoirien du droit d’auteur). J’ai la chance d’appartenir à ces deux maisons, mais quand je regarde chacun des deux relevés de compte, un écart existe pour la même chanson. En principe, ce sont mes origines qui devraient me rapporter plus.

Je coche toutes les cases pour pouvoir parler des droits d’auteur

De quel écart parle-t-on concrètement ?

Franchement, je ne peux même pas dire s’il y a une différence de 1 000 ou de 2 000% entre ce que je gagne dans ma maison de droits d’auteur à Abidjan et dans celle de France.

J’ai compris ensuite qu’il ne s’agit pas d’un problème de gestion mais d’un problème de récupération. En France, nous avons la chance de pouvoir récupérer les droits, de les répartir de manière juste parce qu’existent une documentation, des instruments modernes et une législation qui s’adapte aux droits d’auteur, surtout à l’ère du numérique.

Mais, quand on arrive en Côte d’Ivoire, on a l’impression qu’il y a un déficit. On ne récupère pas, donc on ne peut pas répartir. Or, aujourd’hui, nous avons besoin de moderniser tout cela.

Quel diagnostic posez-vous sur cette situation ?

Je coche toutes les cases pour pouvoir parler des droits d’auteur. Je suis auteur, je suis compositeur, je suis interprète, je suis producteur, je suis éditeur de musique. Si, nous-mêmes les acteurs [de l’industrie musicale, ndlr], nous ne nous engageons pas à trouver une solution et que nous laissons les scientifiques ou les administrateurs se charger de notre propre maladie, nous ne parviendrons pas à atteindre nos objectifs.

Je me suis donc lancé et je suis en train de faire bouger les lignes. J’ai eu la chance de parler avec tout le monde, je remercie d’ailleurs l’écoute de Mme la ministre de la Culture. J’ai également réussi à parler à tous les directeurs des organismes de gestion collective (OGC) de l’Uemoa, qui m’ont écouté. J’espère que nous irons ensemble dans la bonne direction.

Finalement, dans ce contexte-là, est-ce qu’il vaut mieux se produire soi-même ou confier ses intérêts aux majors ?

Vous savez, l’autoproduction n’est pas donnée à tout le monde. Par exemple, à l’époque où nous avons sorti Premier gaou, je ne pouvais pas prétendre à produire Magic System parce que cela demande du financement. Donc, quand on a la chance d’être dans une major, et d’être accompagné pour faire une belle carrière…

Il faut évaluer la contribution des industries culturelles et créatives au PIB de nos pays

Bruno Faure (RFI) et Aurélie M'Bida (Jeune Afrique) enregistrent l'émission "éco d'ici, eco d'ailleurs" avec pour invité Salif Traoré alias A'Salfo chanteur du groupe ivoirien Magic System. Paris, 28 juin 2023. © Cyril Entzmann pour JA

Bruno Faure (RFI) et Aurélie M'Bida (Jeune Afrique) enregistrent l'émission "éco d'ici, eco d'ailleurs" avec pour invité Salif Traoré alias A'Salfo chanteur du groupe ivoirien Magic System. Paris, 28 juin 2023. © Cyril Entzmann pour JA

D’autant plus quand on est accompagné pour monétiser et valoriser son travail ?

Aujourd’hui, si l’on parle de monétisation, c’est parce que le domaine artistique, à travers le numérique, peut être monétisé. Si l’on parle aussi de digitalisation, c’est bien parce que tout le monde achète en streaming.

Ce sont de nouveaux capitaux, de nouveaux moyens de perception de droits mais qui, malheureusement, en Afrique ne le sont pas.

Selon vous, ces évolutions permettront-elles de créer des emplois en Afrique, dans la musique, et dans le secteur formel ? 

En dehors de la musique, il faut faire les états généraux de toutes les industries culturelles et créatives. Que ce soit le cinéma, la littérature, l’architecture, les œuvres d’art en général, la cartographie de cette industrie doit être faite. Puis tâcher d’identifier les différents corps de métiers qui sont liés à ces secteurs et, ensuite, réaliser une étude afin d’évaluer la contribution des industries culturelles et créatives au PIB de nos pays.

Parce que je le répète toujours, le Nigeria aujourd’hui est la première puissance en Afrique grâce à ces industries culturelles et créatives. Les francophones sont trop petits par rapport aux anglophones.

Dans le même registre, Gaou Productions a pris les commandes du festival Femua. On parle d’un budget de 5 millions d’euros pour le faire fonctionner ? Comment réussissez-vous à financer un tel événement ?

On fait en sorte d’être accompagnés par des partenaires commerciaux et institutionnels. Nous avons également le ministère de la Culture qui nous apporte sa subvention. Et puis, on essaie de trouver tous les partenaires logistiques car, comme vous le dites, le Femua est un événement budgétivore.

On s’adresse à des populations démunies, il n’y a donc pas de tickets à vendre. On fonctionne donc sur les subventions et le sponsoring.

Avec votre Fondation Magic System, vous défendez l’emploi des jeunes, l’environnement… Quelle est votre boîte à outils à court terme ?

Nous voulons parler à cette jeunesse. On a la chance de faire un métier qui est un canal pour promouvoir des valeurs.

Nous avons fait la 14e édition du Femua autour de l’employabilité des jeunes. Nous voulons être la courroie de transmission entre ces jeunes, qui sont en quête d’opportunités, et toutes ces institutions également en quête de solutions pour pouvoir leur venir en soutien.

notre jeunesse a pris conscience qu’elle est une richesse et une force pour le continent africain

Est-ce que cette jeunesse, celle que vous chantez dans Jeunesse politisée a encore soif de politique ?

À l’ère des réseaux sociaux, même ceux qui ne savaient pas ce qu’est la politique la pratiquent sans le savoir. Donc, pour moi, notre jeunesse est devenue politisée.

Je parle d’une jeunesse politisée qui a pris conscience qu’il y a des enjeux, qui a pris conscience qu’elle est une richesse et une force pour le continent africain.

Comment abordez-vous le climat électoral dans votre pays, la Côte d’Ivoire ? 

L’élection qui a le plus d’enjeu, c’est l’élection présidentielle. C’est de là que tout part. À chaque fois qu’il y a une élection présidentielle, on a l’impression que la tension monte et, pour moi, aujourd’hui, c’est à cause du discours de nos politiciens.

Il faudrait que l’on sache avoir le discours conciliateur, qu’un jeune ne parte pas voter pour un t-shirt mais qu’il vote pour son avenir. Un t-shirt de 2 500 francs CFA ne fait pas l’avenir d’un jeune. Il faut que cette jeunesse prenne conscience que l’on vote pour des projets, des programmes qui correspondent à notre vision.

Mais peut-être que ce qui bloque aussi les jeunes, c’est justement le peu de variété et de changement dans le paysage politique… Un motif qui a embrasé dernièrement le Sénégal.

Quand je vois le Sénégal aujourd’hui, cela me rappelle la Côte d’Ivoire en 2020, où nous avions un problème d’ordre constitutionnel. Je ne vais pas me mêler des problèmes d’un autre pays, je ne maîtrise pas la constitution sénégalaise mais je crois que tout est une question de compréhension.

C’est vrai que l’on suit les réseaux sociaux, j’ai vu que les jeunes y sont révoltés. C’est le cas dans beaucoup de pays quand il y a des élections. Quand il y a une carie quelque part, c’est depuis les gencives qu’il faut traiter.

Mais vous parlez du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, avez-vous vu la France ?

Vous faites référence à cette intervention de la police qui a mené au décès d’un jeune homme de 17 ans cette semaine ? 

Oui ! Ce sont des problèmes qui ont toujours existé. Une loi est sortie en 2018 sur la légitime défense. Celle-ci peut être abusivement interprétée. Je pleure la famille du jeune qui est décédé à Nanterre.

Je crois qu’il est temps de remettre les choses à plat et d’écouter ces jeunes des cités qui ont des choses à dire. Souvent, cela ressemble à de la révolte. Et, souvent, ça ressemble aussi à de l’excès de mépris d’une certaine classe de politiciens.

Il faut trouver une solution durable et efficace quand on prend des engagements

On ne peut pas dire que vos chansons soient contestataires, pourtant votre parole a toujours été libre. Comptez-vous poursuivre sur cette voie ?

Nous sommes d’abord fédérateurs, et c’est ce statut-là qui nous permet souvent de dire les choses comme elles sont, sans parti pris. Cette manière d’être impartial nous permet plus de communiquer et de communier avec nos populations. Je continuerai donc le combat avec Magic System et, d’ailleurs, si je suis aujourd’hui au Conseil économique, c’est pour pouvoir débattre au nom des populations.

Dernièrement, s’est tenu à Paris un sommet pour un nouveau pacte financier entre pays du Nord et pays du Sud. Qu’en avez-vous pensé ? 

Le consensus au sujet des pays du Sud a toujours existé, mais je crois que c’est au niveau des engagements qu’il faut accélérer.

On a parlé réchauffement climatique, même de la restructuration de la dette zambienne, mais on ne vient pas pour régler un problème ponctuel. Il faut trouver une solution durable et efficace quand on prend des engagements.

Dans Pauvre planteur vous évoquez les conditions de travail, le niveau de rémunération des agriculteurs. Vous parlez de transformation locale, d’industrialisation. Trouvez-vous que ces dossiers avancent ?

Les conditions de vie des planteurs n’ont pas changé. En 1980, on nous disait que le succès de la Côte d’Ivoire reposait sur l’agriculture, donc ce n’est pas normal que l’agriculteur soit le plus pauvre. Il y a un problème. Nous, on fait le cacao, on a le café, mais il est plus facile pour le petit Suisse ou le petit Belge de manger du chocolat au petit-déjeuner que pour le petit Ivoirien.

Vous avez suivi le bras de fer entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, premier et deuxième producteurs mondiaux, pour voir les cacaoculteurs mieux rémunérés. D’ailleurs, vous avez dernièrement été reçu au Conseil café-cacao . Comment les aider ?

Déjà, il faut que nos pays puissent s’associer. Parler de la même voix. Je crois que ce problème sera résolu si l’industrialisation est vraiment en marche dans nos différents pays. Pourquoi la transformation de nos matières premières doit forcément passer par Bruxelles ou Genève quand on peut les transformer chez nous ?

*Retrouvez cette interview à écouter en intégralité sur Radio France Internationale – RFI le 1er juillet à 10h 10 TU et et 17h 10. Et à visionner sur la chaîne YouTube de Jeune Afrique

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