Les vaccinations forcées sont-elles toujours justifiées?
Au Burkina Faso, des fonctionnaires de santé publique locaux ont récemment menacé de faire usage de la force contre les foyers refusant de recevoir le vaccin contre la fièvre jaune, d’après un directeur médical de district.
Selon le gouvernement, plus de sept millions de personnes ont été immunisées au cours d’une campagne de vaccination contre la fièvre jaune menée au mois de décembre dans les zones à haut risque du pays. Cependant, quelque 30 musulmans d’une région reculée située non loin de la frontière malienne ont expliqué aux fonctionnaires de santé publique qu’ils craignaient que le vaccin entraîne la stérilité, a expliqué le directeur médical du district d’Orodara.
Clément Meda, directeur, a affirmé à IRIN que ses efforts pour convaincre la communauté s’étaient soldés par un échec. « Lorsque nous avons pris conscience de leur réticence et de leur refus [de recevoir le vaccin], nous avons dépêché des fonctionnaires administratifs et des fonctionnaires de santé publique pour engager une discussion avec eux, mais sans succès ».
Le 31 décembre à quatre heures du matin, des membres de la police militaire ont accompagné les médecins locaux dans les foyers des villages de Sokouraba et Samogohiri, où les enfants n’avaient pas été immunisés, a indiqué M. Meda. « Nous savions qu’à cette heure-là, ils ne pourraient pas dire à leurs enfants de s’enfuir et que les familles seraient à leur domicile », a expliqué à IRIN M. Meda. « Ce sont les hommes qui nous avaient catégoriquement interdit de voir leurs enfants. [En fin de compte], nous sommes parvenus à vacciner les 30 [personnes non immunisées] ».
Selon M. Meda, en présence de la police, les hommes ont cessé de protester.
Le directeur médical du district a affirmé que les médecins étaient également parvenus à immuniser les enfants contre la poliomyélite et avaient donné de la vitamine A aux femmes et aux enfants qu’ils avaient jugés « très faibles ».
M. Meda a déclaré qu’un autre groupe de musulmans vivant dans le même district avaient refusé d’immuniser leurs enfants contre la poliomyélite au cours d’une campagne menée en 2005, de crainte que le vaccin rende les jeunes filles stériles. Les fonctionnaires de santé avaient également employé la force en à cette occasion, a-t-il dit à IRIN.
Droits privés ou bien public ?
Dan Wikler, professeur d’éthique au sein du département de santé mondiale de l’Université de Harvard, et ancien spécialiste de l’éthique au sein de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a noté que les vaccinations effectuées avec l’aide de la police pouvaient s’avérer néfastes à long terme. « Les conséquences peuvent ne pas être ressenties localement, mais le recours à la force pourrait miner les efforts de vaccination déployés dans d’autres régions du monde si les populations en viennent à associer santé publique et violence ».
M. Meda ne partage pas les inquiétudes selon lesquelles l’emploi de la force pourrait susciter la crainte de la population lors de futures campagnes de santé publique. « Les refus sont rares au cours de ces campagnes. En principe, il n’y a pas de risque de répercussions négatives d’après notre expérience avec [les personnes qui s’y sont opposées]. Depuis, celles-ci ont adhéré à d’autres initiatives sanitaires que nous avons menées ».
M. Wikler a évoqué le cas du boycott des vaccinations contre la poliomyélite en 2003 par des responsables religieux musulmans, dans le nord du Nigeria, qui affirmaient que le vaccin était un stratagème occidental pour disséminer le VIH et stériliser les jeunes filles musulmanes. Selon l’OMS, ce boycott a entraîné une propagation de la poliomyélite dans une douzaine de pays.
M. Wikler a dit à IRIN que cette campagne de vaccination contre la poliomyélite au Nigeria était un cas isolé qui aurait justifié le recours à la force pour garantir l’observance. Cependant, exception faite des situations inhabituelles telles que la bataille du Nigeria contre la poliomyélite, celui-ci estime que les fonctionnaires de santé doivent envisager d’autres options pour garantir l’observance de la population.
Une force positive
M. Wikler a préconisé d’instaurer une « force positive », en associant les immunisations à des mesures incitatives, afin de surmonter la résistance. « Les réfractaires doivent dépendre des autorités pour bénéficier de services, par exemple la scolarisation. Rendez les immunisations obligatoires pour les étudiants, ou associez-les à d’autres bénéfices proposés à la population par le gouvernement ».
M. Meda, le directeur médical, a cependant déclaré que les familles ayant initialement refusé le vaccin contre la fièvre jaune ne déclaraient pas les naissances de leurs enfants et ne permettaient pas non plus à ces derniers d’aller à l’école. « Ces familles sont totalement coupées de la société et du gouvernement », a-t-il confié à IRIN.
Selon M. Meda, la communauté est recluse et échappe au recensement du gouvernement. IRIN n’est pas parvenu à rencontrer les membres opposés aux vaccinations contre la fièvre jaune.
M. Wikler, spécialiste de l’éthique, a affirmé à IRIN qu’impliquer les leaders religieux opposés aux campagnes sanitaires salvatrices était une politique plus judicieuse que le recours à la force. « Cela prend du temps. Ce n’est pas un objectif que les autorités peuvent atteindre en un week-end au cours des campagnes d’immunisation. Plusieurs années seront nécessaires. Le gouvernement est seul responsable de l’aggravation des dissensions ».
D’après un chercheur, le manque de formation religieuse sur les questions sociales et sanitaires a semé la confusion chez certains leaders religieux en matière de vaccinations. « Pour les musulmans, [d’après le Coran], la maladie est une mise à l’essai », a affirmé Ismaël Tiendrébéogo, membre du Cercle d’études, de recherche et de formation islamique à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. « Mais Dieu n’a jamais dit qu’il ne fallait pas chercher de remède à cette maladie ».
Selon l’OMS, bien qu’un vaccin contre la fièvre jaune soit disponible depuis 60 ans, le nombre de personnes infectées et succombant à la maladie virale a augmenté au cours des deux dernières décennies.
Une épidémie de fièvre jaune a frappé le Burkina Faso en 1983, et entraîné dans son sillage plus de 70 pour cent des 380 personnes infectées, d’après le gouvernement.
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