Ousmane Sow, Ndary Lo, Soly Cissé, Freddy Tsimba… La Fondation Blachère fête ses vingt ans
Désormais installée dans le sud de la France au cœur du Luberon glamour, dans l’ancienne gare de Bonnieux, la fondation créée par Jean-Paul Blachère propose avec « Chimères » une exposition bilan, fidèle à une démarche entamée en 2003.
Les immortels sont toujours là, fiers, défiant le temps et le soleil. Le Guerrier debout du sculpteur Sénégalais Ousmane Sow. Les Égyptiennes et La Muraille verte de son compatriote Ndary Lo. La Mère abandonnée du Congolais Freddy Tsimba. Il y a aussi, dans le poudroiement de lumière du Luberon, des morceaux d’Afrique disséminés ça et là : une pirogue sénégalaise aux couleurs caractéristiques, un minibus bariolé, revu et corrigé par l’artiste béninois Dominique Zinkpé (Le Bus). Autant de preuves que nous nous trouvons bien à l’entrée de la Fondation Blachère, qui se consacre à l’art contemporain africain depuis 2003.
Exposition inaugurale
Et si nous ne reconnaissons pas tout à fait les lieux, c’est parce que la fondation a quitté – à l’heure de fêter ses vingt ans d’existence – la zone industrielle des Bourguignons, à Apt (sud de la France) où, accolée aux locaux de l’entreprise Blachère illuminations (50 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021) dont elle est issue, elle a accueilli une cinquantaine d’expositions en 20 ans.
Désormais, celles-ci seront présentées dans l’ancienne gare de Bonnieux qui abrite désormais ses nouveaux locaux, conçus par l’architecte Zette Cazalas, au cœur du Luberon. Chimères, qui rassemble les œuvres d’une vingtaine d’artistes africains jusqu’au 18 novembre, est en quelque sorte une exposition inaugurale… dans la continuité d’une démarche qui a, jusque-là, permis à plus de 400 créateurs de bénéficier de résidences d’artistes.
Pour Christine Allain-Launay Blachère, qui a pris les rênes de la fondation créée par son père, « il s’agit de la replacer un peu plus au cœur des voies de circulation, et de viser un public plus large ». Même si Apt n’est qu’à quelques kilomètres, Bonnieux bénéficie d’une manne touristique plus importante et d’une réputation internationale.
Nouveau départ
L’ancienne gare a été rachetée à la famille de Pierre Cardin : le couturier français, décédé en 2020, était propriétaire de nombreux terrains et bâtisses dans la région, notamment du château de Lacoste (dit château du marquis de Sade) qui accueille en été un festival consacré à la musique et au théâtre.
La fille de Jean-Paul Blachère, qui assure aussi le commissariat de l’exposition Chimères, a présidé au déménagement : neuf mois de travaux, trois millions d’euros d’investissement. En ce début de mois de juillet 2023, la fondation est de nouveau prête à accueillir les visiteurs. Et ce, sous le regard bienveillant de son père, le patron fondateur d’une entreprise qui lança ses actions de mécénat en 2003 – trois ans après la découverte d’une rétrospective sur l’art contemporain africain à Lille.
Chimères résulte de l’exploration des limites entre réel et imaginaire, et plonge le visiteur dans un monde peuplé de créatures hybrides aux accents métaphoriques
Dans les jardins de l’ancienne gare, quelques unes des 2 000 œuvres de la collection saluent le visiteur. Les habitués reconnaissent la plupart d’entre elles, mais remarquent aussi un tout nouveau visiteur : un criquet métallique géant, à la fois sympathique et effrayant.
Celui-ci est l’œuvre du Mauritanien Oumar Ball, 38 ans, originaire de Bababé et actuellement en résidence à la fondation. C’est de lui que vient le titre de l’exposition, qui est aussi celui d’une de ses œuvres créée en 2021. « La thématique de l’exposition a germé à Ouagadougou, lorsqu’Oumar Ball a remporté le premier prix du jury à la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (Biso), pour sa sculpture Chimère », précise la communiqué de presse de la fondation.
Approche « novatrice et inclusive »
Cette œuvre de métal rouillé représente un vautour hyène, ou une hyène en train de dévorer un vautour en plein vol, selon les interprétations… « Ce sont deux de mes animaux préférés, précise Oumar Ball. Ils étaient très présents dans les contes de mon enfance. Ce sont des créatures qui vivent ensemble et ne sont pas amies. »
Plasticien habile, Ball parvient à créer des plumes d’une grande légèreté à partir de vieilles tôles rongées par le temps. « Je viens d’un village pastoral sur la rive du fleuve Sénégal, raconte-t-il. Il y avait beaucoup d’animaux, comme il y en avait beaucoup aussi dans les contes que me racontait ma grand-mère. Mon univers est bercé par cette atmosphère. Quand j’étais petit, je fabriquais mes jouets avec des morceaux de métal. Avec le temps, c’est devenu autre chose. Mais quand je crée, c’est cet enfant qui me dicte ce que je fais, et je ne veux pas sortir de cette enfance. »
Au-delà, le choix de la thématique d’exposition est à l’image des orientations de la fondation, qui entend proposer une approche « novatrice et inclusive », et se méfie des choix trop élitistes. Pour la commissaire, « Chimères résulte de l’exploration des limites entre réel et imaginaire ; elle plonge le visiteur dans un monde peuplé de créatures hybrides aux accents métaphoriques. »
Quand les œuvres se rencontrent
Certaines associations d’œuvres fonctionnent particulièrement bien. Ainsi, les peintures du Sénégalais Aliou Diack (Le Rampant, 2016) s’accordent aux teintes de rouilles des sculptures d’Oumar Ball et font entendre, pour qui sait écouter, les grognements des animaux nocturnes dans la forêt. De l’obscurité et de la matière noire, les Sénégalais Soly Cissé (Sans titre) et Omar Ba (La Boîte de Pandore, 2013) font jaillir des créatures hybrides, mi-humaines, mi-animales. Une thématique qu’explore aussi le Togolais Sadikou Oukpedjo (L’Homme animal, 2017) avec ses êtres étranges et massifs.
Certaines confrontations révèlent même des surprises, comme celle entre Seyni Awa Camara, « la potière de Casamance », et ses terres cuites à la féminité exacerbée (Fécondité, 2017) et les créations très sexuées et très masculines du Congolais Gastineau Massamba (Gargouille).
Ceux qui préfèreraient des travaux plus abstraits trouveront sans doute à leur goût les découpages des Sud-Africaines Lyndi Sales (Chimera, 2023) et Barbara Wildenboer. Cette dernière propose ainsi un tableau coloré et exubérant intitulé Du sommeil de la raison naissent les monstres, composé en référence à une œuvre de Francisco de Goya (Le Sommeil de la raison engendre des monstres ), et à une œuvre d’Alexandre Cabanel (La Naissance de Vénus). L’histoire de l’art, au fond, ne serait-elle que chimères ?
Chimères, centre d’art de la Fondation Blachère, gare de Bonnieux, jusqu’au 18 novembre 2023.
5 € l’entrée, gratuit pour les moins de 12 ans.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines