« Ils vont nous exterminer »
Cécile Moutouba a manifesté un couteau dans une main, un bâton dans l’autre. Son mari s’est servi des deux pour la corriger, a-t-elle expliqué.
Comme une centaine d’autres femmes, Mme Moutouba a parcouru plus de deux kilomètres les mains sur la tête (un signe de deuil), au cours d’une manifestation organisée dernièrement dans la ville tchadienne de Guelendeng, à 153 kilomètres de N’Djamena, la capitale.
Une manifestation publique rare, selon certains Tchadiens, dans le cadre de laquelle les femmes se sont élevées contre les actes de violence commis par les hommes contre leurs épouses. « Ils vont nous exterminer », a déclaré Habiba Abanga, expliquant qu’elle avait été poignardée, il y a peu, par son mari.
Au cours des huit derniers mois, au moins deux femmes ont été tuées par leurs époux à Guelendeng, selon les manifestantes. A la même période, ont-elles indiqué, de nombreuses femmes ont été gravement blessées par leurs maris dans la région. A N’Djamena, en novembre, un homme a tué son épouse et sa belle-mère.
« Il y a une psychose qui s’installe », a indiqué Larnem Marie, coordinatrice de l’Association tchadienne des libertés fondamentales, qui a participé à la manifestation, à Guelendeng. « Les femmes de Guelendeng ont dit “trop c’est trop” ».
Le gouvernement avait dernièrement refusé aux associations de femmes de N’Djamena l’autorisation d’organiser une manifestation dans la capitale, ont indiqué à IRIN des membres de ces organismes.
Lutter contre l’impunité
Pour Larnem comme pour plusieurs autres femmes, la société tchadienne doit s’atteler à la question de l’impunité. Des lois ont été adoptées qui interdisent la violence domestique au Tchad, « mais malheureusement, elles ne sont pas appliquées », a déploré Larnem.
Les femmes doivent continuer à s’efforcer de porter le problème au premier plan, a-t-elle estimé. « On aurait pu mobiliser plus [de personnes] que ça pour la manifestation de Guelendeng, mais c’est la peur. Mais nous pensons que c’est un bon début et la prochaine fois, il sera plus facile de mobiliser les gens ».
« Les femmes doivent se mobiliser pour défendre leurs droits. Personne ne le fera à leur place », a-t-elle ajouté.
Mariages forcés
D’après les femmes qui manifestaient à Guelendeng, les mariages forcés et précoces sont un moteur important de la violence domestique. Les manifestantes ont notamment rapporté l’histoire d’une fillette de 12 ans, qui avait tenté de se suicider, dernièrement, à Guelendeng, ayant supplié en vain sa famille de ne pas la marier de force à un homme de 60 ans.
La lutte contre la violence domestique au Tchad se heurte à des conventions sociales vieilles de plusieurs siècles selon lesquelles la violence envers les femmes, les mariages forcés et les mutilations génitales/féminines sont acceptables, d’après les représentants de certains organismes de défense des droits humains et du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), qui participe à des campagnes de sensibilisation menées dans le pays en vue d’éliminer les coutumes préjudiciables.
Selon le dernier rapport sur l’Etat de la population mondiale, publié par l’UNFPA, la culture doit être intégrée aux politiques de développement, mais accorder une place à la culture ne signifie pas qu’il faille tolérer des pratiques nuisibles.
« Aucune valeur culturelle ne supporte l’oppression », a déclaré Suzanne Maïga Konaté, représentante de l’UNFPA au Sénégal, à l’occasion du lancement du rapport, le 19 décembre, à Dakar, la capitale sénégalaise.
Geneviève Nakiri, directrice de la Cellule de liaison des associations féminines du Tchad (CELIAF), a pour sa part déclaré à IRIN que la violence envers les femmes était en grande partie due au « poids des normes socioculturelles au Tchad ».
Mais selon une manifestante de Guelendeng, qui a souhaité garder l’anonymat, la violence n’est pas exclusivement le fait de la culture. « Nous savons tous que toutes les cultures ont des bons et des mauvais côtés. Mais au Tchad, plusieurs autres facteurs alimentent cette violence, dont les déplacements de population et la pauvreté extrême ».
Pour Solkem Alhascari, qui travaille dans une organisation non-gouvernementale au Tchad, l’autre cause majeure est le nombre croissant de femmes qui travaillent comme commerçantes pour gagner de l’argent et nourrir leur famille. Cela devient une cause de jalousie et de frustration pour les hommes, ont indiqué à IRIN les femmes de N’Djamena. Mme Alhascari a également évoqué une consommation d’alcool plus importante.
Quoi qu’il en soit, pour Mme Nakiri comme pour d’autres femmes, si la violence envers les femmes existe depuis longtemps, elle est de toute évidence en recrudescence. Et si les bâtons et les fouets étaient auparavant les principales armes utilisées, les coups de couteau sont aujourd’hui plus fréquents.
Il n’existe pas de statistiques officielles, a indiqué Mme Nakiri, mais la recrudescence de ce phénomène est bien visible, et coïncide avec une insécurité générale à N’Djamena et aux alentours.
« Il est très difficile de trouver des statistiques », a-t-elle déclaré. « Mais nous les femmes, nous vivons ca. C’est très visible partout et tous les jours ».
Mme Alhascari a rapporté à IRIN que deux jours après la manifestation de Guelendeng, un homme dont la femme avait manifesté l’avait fait arrêter par un chef traditionnel.
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