Peut-on vraiment parler de trafic ?

Depuis des années, des groupes de défense des droits de l’enfant se battent contre le trafic des enfants en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, à l’heure du lancement d’un projet visant à mieux comprendre les migrations périlleuses des enfants à travers l’Afrique de l’Ouest, certains de ces groupes se demandent dans quelle mesure les enfants ont bénéficié des interventions de lutte contre le trafic.

Publié le 7 janvier 2009 Lecture : 5 minutes.

L’initiative menée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et les ONG Plan International, Save the Children Sweden et Terre des Hommes, chiffrée à près d’un million de dollars, vise à organiser des ateliers nationaux et régionaux et des groupes de discussion en vue de rédiger en 2010 un rapport portant sur les raisons expliquant les migrations régionales des enfants.

Olivier Feneyrol, qui travaille pour Terre des Hommes, a expliqué à IRIN que blâmer les trafiquants véreux pour l’exploitation des enfants n’était pas la bonne solution.

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Au terme « trafic », absent des documents de planification du projet intitulé « Mobilité des enfants et des jeunes en Afrique de l’Ouest », les partenaires à l’origine de l’étude menée au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Togo préfèrent celui de « mobilité régionale ».

« Les enfants migrent dans la région depuis des siècles, et travaillent depuis tout aussi longtemps. C’est la réalité culturelle ici », a affirmé M. Feneyrol, conseiller régional du bureau d’Afrique de l’Ouest de l’organisation à but non lucratif Terre des Hommes.

« Certains aspects de ce mouvement et ce travail sont dangereux. Depuis des années, nous abordons ce problème sous la forme d’une lutte contre le trafic, mais cette lutte n’a pas réellement bénéficié aux enfants. Nous avons décidé de ne plus nous concentrer exclusivement sur le trafic, pour adopter une stratégie plus globale dans laquelle la réalité que vivent les enfants est prise en considération. »

Des groupes de défense des droits de l’enfant et des organismes chargés de la mise en application de la loi luttent contre une situation qu’ils n’ont pas véritablement comprise, a estimé M. Feneyrol.

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« Connaissons-nous réellement les différentes formes de migration ? Qui sont les intermédiaires ? De quelle façon ces voyages sont-ils financés ? Quelles conditions les enfants laissent-ils derrière eux ? », a-t-il demandé. « Pourquoi prennent-ils ces risques et que recherchent-ils ? Comment pouvons-nous lutter contre un phénomène que nous ne comprenons pas véritablement ? »

Victimes, mais de quoi ?

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D’après la Convention des Nations Unies sur la criminalité transnationale organisée, datée de 2000, le trafic est défini comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes par la menace de recours ou le recours la force ou à d’autres formes de contrainte (…) aux fins d’exploitation ».

Bien que la plupart des gouvernements d’Afrique de l’Ouest aient ratifié la convention de 2000 ainsi que quelques lois réprimant le trafic, les organisations de défense des droits estiment que des centaines de milliers d’enfants continuent de voyager dans des conditions précaires pour occuper des emplois risqués à travers l’Afrique de l’Ouest.

Tous les enfants ne sont pas victimes de la traite des personnes, a affirmé le directeur de l’OIM, l’ambassadeur William Lacy Swing, lors de la conférence sur les migrations qui s’est tenue à Dakar au mois de novembre. Au lieu de cela, certains peuvent être des migrants économiques ou environnementaux, des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ou des réfugiés.

Selon M. Feneyrol, de Terre des Hommes, lorsque la définition du trafic s’applique à la situation d’un enfant, les trafiquants ne constituent pas la racine du problème : « brandir de façon quasi systématique la notion de trafic pour expliquer la misère des enfants…ne nous a pas permis de mieux protéger la majorité de ces enfants ».

Récidive

Des milliers d’enfants migrants ne sont pas dénombrés, tandis que les enfants rapatriés ne sont pas nécessairement victimes de la traite des personnes, d’après lui. « Le simple fait qu’ils travaillent dans une carrière de pierre au Nigeria ne signifie pas nécessairement qu’ils sont victimes de trafic. Casser des pierres peut s’avérer moins épuisant et moins propice aux maltraitances que les travaux agricoles qu’ils effectuaient dans leurs fermes, au village ».

Il n’est pas toujours dans l’intérêt des enfants de regagner leur domicile, a-t-il affirmé. « Ils sont trop âgés pour aller à l’école. Ils sont issus de familles nombreuses qui n’ont pas les moyens de les élever et il n’y a aucun moyen de gagner sa vie là d’où ils viennent ; autant de raisons justifiant leur départ ».

M. Feneyrol a ajouté que tant que les familles rurales vivraient dans des conditions terribles, les enfants et leurs parents rechercheraient une situation meilleure là où ils le pourraient. « Arrêter quelqu’un accusé de trafic ne change rien. Cela ne permet pas traiter la cause fondamentale de la misère économique qui a propulsé les enfants sur un parcours jalonné de dangers. Les conventions internationales sont très peu utiles pour appréhender la réalité sociologique et économique de l’Afrique de l’Ouest ».

Plus de 92 pour cent de la population vivant dans le nord du Togo, par exemple, a gagné moins de 511 dollars en 2006, le montant nécessaire pour couvrir les besoins fondamentaux, d’après le gouvernement.

Ami ou ennemi ?

Pour M. Feneyrol, les personnes diabolisées en tant que trafiquants pourraient être formées à la protection des enfants au cours de leurs migrations parfois périlleuses. « Ils sont les oncles, les voisins, les cousins de ces enfants. Ils sont rarement, s’ils le sont jamais, les acteurs internationaux des réseaux de criminalité organisée. Nous devons nous pencher plus sérieusement sur le rôle que ces derniers peuvent jouer dans la protection des enfants migrants ».

Cependant, pour le directeur de CARE International, Phillipe Kodko Yodo, cela équivaudrait à collaborer avec des criminels : « Ces personnes sont responsables de la misère d’un nombre considérable d’enfants. Nous ne pouvons pas faire la morale à de tels criminels, nous devons simplement les punir ».

Antonio Mazzitelli, directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) pour l’Afrique de l’Ouest, – organisme faisant partie d’un groupe de travail régional sur la lutte contre le trafic, au même titre que les cinq collaborateurs du projet sur la mobilité – a affirmé que son bureau était en faveur de l’étude de mobilité proposée, mais mettait en garde les chercheurs contre un assouplissement de la position actuelle contre le trafic ou le travail des enfants.

« Le droit de migrer en toute liberté ou le droit qu’a une famille de gagner sa vie ne doivent pas venir couvrir le trafic ou justifier le travail des enfants », a précisé M. Mazzitelli. « Nous ne pouvons pas garder les bras croisés et tolérer une situation simplement parce qu’elle relève de la norme sociale. L’esclavage, l’excision féminine et le mariage des enfants, bien qu’illégaux, ont été communément acceptés comme des "réalités culturelles et sociologiques". Et le combat n’est pas terminé sur ces différents fronts. »

Les Nations Unies ont adopté en 2003 un protocole visant à simplifier la poursuite judiciaire des trafiquants d’être humains.

« Ce protocole ne met pas un terme à la pauvreté rurale, un composant essentiel de la lutte contre l’exploitation économique », a dit M. Mazzitelli, « pas plus qu’il ne permettra d’enrayer la traite des personnes au cours des 10, voire même des 20 prochaines années. Toutefois, nous ne pouvons pas relâcher notre vigilance au bout de cinq ans. Si nous parvenons à sauver ne serait-ce qu’un enfant du trafic, alors nos conventions, nos lois et nos efforts pour les appliquer valent largement la peine ».

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