Anticiper l’avenir dans un climat imprévisible

Autrefois, dans l’obscurité, après les prières de l’aube, un ancien du village aurait regardé vers le ciel en plissant les yeux, incliné la tête en arrière jusqu’à en perdre son bonnet, et recherché un amas d’étoiles brillantes indiquant le milieu de la saison des pluies.

Publié le 7 janvier 2009 Lecture : 4 minutes.

Aujourd’hui, conséquence de la variabilité climatique, un grand nombre de méthodes traditionnelles deviennent de moins en moins fiables pour prévoir les conditions météorologiques, et les agriculteurs africains, d’ores et déjà confrontés à des fluctuations, ont besoin de données scientifiques pour les aider à s’adapter, affirment des agriculteurs et des experts du climat.

« Vous plantez vos semences, mais la pluie ne tombe pas. Par conséquent, l’année suivante, vous changez d’approche et ensemencez plus tard, mais cette fois les précipitations sont trop précoces », a expliqué Paul Thiao, agriculteur et coordinateur régional de la Fédération des ONG du Sénégal (FONG).

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« Les agriculteurs sont devenus des parieurs », a-t-il ajouté. « Du fait des perturbations du système, ils doivent désormais prendre des paris sur la tombée des précipitations. Mais ce sont leurs vies qu’ils mettent en jeu ».

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), une organisation canadienne qui finance la recherche scientifique dans les pays en voie de développement, travaille avec la FONG ainsi que d’autres organisations pour diffuser des connaissances scientifiques et locales afin d’aider les agriculteurs sénégalais à s’adapter.

Des connaissances traditionnelles essentielles

Pour s’assurer une bonne récolte, les agriculteurs ont besoin de données scientifiques sur les niveaux de fertilité des sols et les variétés de semences adaptives. Toutefois, les méthodes de culture traditionnelles et les perspectives locales sur le changement climatique sont également essentielles pour maintenir le rendement des récoltes, a expliqué à IRIN Ndiankou Seye, directeur de la planification et la recherche au sein du conseil régional gouvernemental de Thiès, une ville située à 70 kilomètres de Dakar, la capitale.

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« Il y a certaines choses que les climatologues ne sont pas en mesure de vous dire, au même titre que certains faits scientifiques sont incompréhensibles pour les agriculteurs », a dit M. Seye.

Madeleine Diouf Sarr, qui dirige le comité sénégalais sur le changement climatique au sein du ministère de l’Environnement, a reconnu que les efforts d’adaptation à l’évolution des schémas climatiques devaient conjuguer connaissances traditionnelles et connaissances scientifiques.

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« Même si le [climat] évolue, les plantes ne mentent pas. Lorsqu’elles détectent un certain degré d’humidité, elles s’épanouissent. Aussi, l’approche locale est tout aussi précieuse que les sciences concernées », a-t-elle expliqué à IRIN.

Sous pression

Au Sénégal, où plus de trois quarts des populations vivent de la terre, et notamment, pour un grand nombre d’habitants, des cultures pluviales, les agriculteurs subissent d’ores et déjà un climat imprévisible.

Selon les habitants du village de Fandène, situé non loin de Thiès, les changements se traduisent notamment par des hivers plus doux, des vents plus violents, des pluies imprévisibles et des récoltes moins abondantes.

Les niveaux de production sont inférieurs à ceux d’il y a 20 ans, a dit à IRIN Thérèse Mbaye, membre du conseil local. « Il n’y a pas suffisamment d’eau pour les récoltes, et les marécages se sont asséchés. Les habitants ont quitté Fandène pour Dakar ».

Le Groupe d’experts intergouvernemental des Nations Unies sur l’évolution du climat (GIEC) anticipe une réduction de moitié des cultures pluviales dans certains pays d’Afrique en pas plus d’une décennie, et annonce que le changement climatique entraînera une réduction des surfaces arables, des saisons plus courtes et des rendements plus faibles.

D’après le groupe d’experts, les conséquences possibles incluent une raréfaction accrue des denrées alimentaires, la malnutrition, les maladies et l’instabilité.

Pour Assize Touré, directeur technique du Centre de suivi écologique à Dakar, les évolutions actuelles sont suffisamment inquiétantes. « On ne met pas suffisamment l’accent sur la nécessité d’apporter une aide aux communautés afin de les aider à s’adapter aux changements qu’ils subissent déjà. Il est temps de mettre des stratégies au point ».

Manque de données météorologiques

Pour réussir leur adaptation, les populations vulnérables ont besoin de données précises sur les schémas météorologiques, les prévisions climatiques et l’évaluation des risques, est-il stipulé dans le Rapport sur le développement humain 2008 publié par les Nations Unies. Cependant, en dépit de leur situation précaire, les agriculteurs sénégalais ont un accès limité à de telles informations, a précisé M. Touré.

L’Afrique présente la plus faible densité au monde de stations météorologiques ; celle-ci atteint seulement un huitième du niveau recommandé par l’Organisation météorologique mondiale.

M. Sarr, ministre de l’Environnement, a déclaré qu’il était extrêmement difficile de prévoir les précipitations. « Il est nécessaire de disposer d’un réseau important d’observatoires météorologiques pour prévoir de façon précise les conditions météorologiques dans des régions données. C’est là toute la difficulté en Afrique de l’Ouest ».

Si des informations météorologiques plus détaillées peuvent permettre d’accroître la production en procédant à des plantations stratégiques, M. Sarr a toutefois mis en garde contre le « tout scientifique ». « Les prévisions scientifiques sont limitées car elles ne permettent pas d’anticiper les conditions météorologiques à long terme. Par conséquent, cela maintient un certain degré d’incertitude jusqu’au début de la saison [d’ensemencement] ».

Adapatation régionale

Fatima Denton, qui dirige le projet Adaptation aux changements climatiques en Afrique mené par le CRDI, a appelé à une action des décideurs. « Une adaptation est opérée à l’échelle locale, mais les résultats des actions locales doivent, d’une façon ou d’une autre, parvenir aux décideurs afin que ces derniers adoptent des mesures relatives au changement climatique ».

Mme Denton souhaite que la coopération instaurée à l’échelle régionale ne soit pas exclusivement axée sur les impacts mais également sur l’anticipation des problèmes potentiels.

« Tout est une question d’anticipation. La variabilité du climat n’est autre que la partie émergée de l’iceberg. Nous devons anticiper », a-t-elle ajouté.

Selon Mme Denton, alors que la prise de conscience se renforce, les décideurs africains ne saisissent pas l’urgence de la situation. « Il nous reste beaucoup de chemin à parcourir pour internaliser les défis considérables que l’évolution du climat pose à l’Afrique ».

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