AFGHANISTAN: Culture de pavots – le dilemme des fermiers afghans
Les insurgés talibans ont donné l’ordre aux agriculteurs de la province de Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan, de cultiver le pavot, alors même que le gouvernement le leur interdit.
« Ils [les insurgés] m’ont menacé de me punir si je ne cultivais pas de pavot à opium », a raconté à IRIN Mohammad, fermier dans la région de Khogyani, à Nangarhar.
« On nous dit de mener une jihad contre les Américains en nous servant de l’opium … Les Talibans nous ont même assuré qu’ils protègeraient nos champs de pavot », a indiqué Golam Hussain, un autre fermier.
La culture de pavot est illégale dans le pays et le gouvernement, qui détruit d’office les champs de pavot, peut incarcérer les fermiers qui les cultivent.
Les insurgés ont donné des ordres semblables aux fermiers d’autres régions de la province, qui a une longue frontière commune avec le Pakistan, selon les autorités de la lutte contre les stupéfiants.
« Avec la culture de pavot, les Talibans cherchent à promouvoir les actes illégaux, à provoquer des frictions entre le gouvernement et les fermiers, et à déstabiliser le pays », a expliqué à IRIN Golam Faroq Hemat, administrateur de la région de Khogyani, le 24 décembre.
D’après les autorités provinciales de lutte contre les stupéfiants, plusieurs dizaines d’agriculteurs qui cultivaient le pavot en novembre ont été arrêtés et leurs champs seront détruits.
A Helmand (sud), première province afghane productrice d’opium, les fermiers ont admis qu’ils étaient encouragés « mais pas forcés » par les Talibans à cultiver le pavot à la place du blé ou d’autres cultures.
« Les Talibans nous disent que si c’est profitable pour nous et si ça contribue à soutenir notre économie, nous devrions cultiver le pavot. Ils ne nous disent jamais que c’est illégal ou que ce n’est pas bien de produire de l’opium », a indiqué Hamidullah, fermier à Helmand.
Passivité?
D’après l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Afghanistan est le premier importateur d’opium et d’héroïne du monde depuis plusieurs années consécutives.
En 2008, le pays a produit 7 700 tonnes d’opium, dont la valeur à la production était estimée à 70 millions de dollars et la valeur potentielle à l’exportation, à 3,4 milliards de dollars.
Au cours de l’année 2008, selon les estimations de l’ONUDC, les insurgés et autres groupes criminels ont empoché environ 500 millions de dollars, issus des revenus de l’opium afghan.
Dès lors, « la machine de guerre des insurgés s’est avérée extrêmement résistante, en dépit de la lutte acharnée, menée par les forces afghanes et alliées », selon l’Afghanistan Opium Survey 2008 Enquête 2008 sur l’opium en Afghanistan, un rapport publié par l’agence onusienne, sise à Vienne.
D’après le rapport de l’ONUDC, les insurgés adopteront une position « passive » à l’égard de la production d’opium et pourront même soutenir une réduction des cultures.
« Les Talibans disposent d’importantes réserves de drogue », a commenté Antonio Maria Costa, directeur exécutif de l’ONUDC, dans le rapport, ajoutant qu’une réduction des cultures pourrait faire augmenter les prix, dans l’intérêt des propriétaires de ces réserves.
Zabihullah Mujahid, porte-parole prétendu des Talibans dans l’est, a néanmoins affirmé que son mouvement n’était pas impliqué dans le trafic d’opium.
« La culture de pavot est haram [contraire à la religion] et nous n’avons jamais forcé quiconque à en cultiver », a-t-il déclaré à IRIN, au cours d’un entretien téléphonique, depuis un lieu non-identifié.
En 2000, les Talibans avaient strictement interdit la culture du pavot dans les régions sous leur autorité, provoquant ainsi une baisse significative de la production d’opium.
A en croire certains experts, cette interdiction imposée par les Talibans en 2000 était destinée à faire gonfler les prix pour leur permettre de vendre l’opium qu’ils avaient stocké à meilleur prix.
Fausses promesses
La culture de pavot a diminué de 19 pour cent en 2008 et cette tendance pourrait se maintenir en 2009, selon les estimations de l’ONUDC.
Cette réduction est le résultat des « efforts fructueux déployés par le gouvernement dans la lutte contre les stupéfiants » et du « climat peu clément » de certaines régions, d’après l’ONUDC.
Selon les experts de l’Afghanistan Research and Evaluation Unit (AREU), toutefois, la réduction des cultures de pavot est en grande partie imputable à des facteurs économiques (prix élevé du blé) et environnementaux (sécheresse), plutôt qu’à la lutte contre les stupéfiants.
L’AREU a également remis en question les dires du gouvernement, qui avait déclaré récompenser les provinces sans pavot dans le cadre de « l’Initiative de bonne performance », un programme de développement soutenu par les bailleurs.
« Cette diminution marquée des cultures a été accomplie par la contrainte et par le biais de fausses promesses de développement », peut-on lire dans l’étude de l’AREU, publiée en décembre.
A en croire David Mansfield et Adam Pain, les auteurs de l’étude de l’AREU, la diminution soudaine des cultures de pavot observée en 2008 n’est pas durable et ne saurait être considérée comme un succès viable.
« La lutte contre les stupéfiants doit être intégrée au processus plus global de construction de l’Etat et de développement économique, et ne saurait être traitée comme une politique ou un axe d’activités parallèle », peut-on lire dans l’étude intitulée Counter-Narcotics in Afghanistan: The Failure of Success? [La lutte contre les stupéfiants en Afghanistan: l’échec du succès?].
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