Élections en Afrique du Sud : l’ANC seul contre tous ?

À l’approche des scrutins d’avril 2024, six partis d’opposition promettent de se parler en vue de former une coalition pour évincer le Congrès national africain.

Des partisans de la Democratic Alliance manifestent contre l’ANC et les délestages, à Johannesburg, le 25 janvier 2023. © Ihsaan Haffejee/Anadolu Agency via AFP

Publié le 5 juillet 2023 Lecture : 5 minutes.

C’est un pronostic que beaucoup font : le Congrès national africain (ANC) serait au crépuscule de son hégémonie. Après avoir gouverné l’Afrique du Sud sans partage depuis l’élection de Nelson Mandela en 1994, l’ancien mouvement de libération risque en effet de perdre sa majorité lors des élections générales d’avril 2024. Pile pour l’anniversaire des trente ans de la démocratie. La crise de l’électricité, le chômage, la criminalité et la corruption érodent dangereusement son soutien populaire.

L’ANC avait déjà montré des signes de faiblesse en passant sous la barre des 50% lors des locales de novembre 2021, avec seulement 46% des voix. Ses opposants ont vite compris qu’un moment historique se présenterait à eux pour les élections générales à venir. Sans majorité, le parti de l’actuel président, Cyril Ramaphosa, serait contraint de former une coalition pour gouverner. Et l’Alliance démocratique (DA), son principal adversaire, anticipe déjà une alliance de l’ANC avec le parti radical des Combattants pour la liberté économique (EFF), la troisième force politique sud-africaine dirigée par le trublion Julius Malema.

la suite après cette publicité

Nous ou le chaos

La DA tente de convaincre les électeurs du péril que représenterait cette association pour le pays. Cette « coalition du désastre » serait pire que l’effondrement du Zimbabwe voisin, a averti John Steenhuisen lors de sa réélection à la tête de l’Alliance démocratique, en avril. Il était allé jusqu’à désigner Julius Malema comme l’ennemi n°1 de sa famille politique.

« La peur d’une alliance entre l’ANC et l’EFF est une invention. Ces deux partis n’ont rien annoncé de tel, ce sont leurs opposants qui en parlent. Des partis qui savent qu’ils ne pourront pas gagner sans coalition, indique le politologue Levy Ndou. L’ANC n’a pas peur. Il sait qu’il obtient de bien meilleurs résultats lors des élections générales, contrairement aux scrutins locaux dont la dynamique est différente. »

Les leçons de l’éparpillement

Après trente ans d’échecs, les partis d’opposition semblent avoir tiré les leçons de leur éparpillement. Six formations sont disposées à discuter d’une coalition. Arriveront-elles à se mettre au diapason ? En 24 heures, le National Freedom Party (deux sièges au Parlement) s’est déjà révolté contre la présence de son logo sur le communiqué de presse. Il jure ne pas vouloir s’associer à cette « idée saugrenue » défendue par l’Alliance démocratique. « S’il y a des sujets sur lesquels nous coopérerons, il faut aussi accepter d’être en désaccord sur d’autres », prévient quant à lui Michael Beaumont, cadre du parti ActionSA.

Les électeurs s’y retrouveront-ils ? Un sympathisant noir du parti zoulou de l’Inkatha Freedom Party (IFP) assumera-t-il l’association de sa famille politique avec le Freedom Front Plus, représentant de la minorité afrikaner, au pouvoir sous l’apartheid ? « Nous partageons tous l’idée que chaque parti doit garder son identité et faire campagne de son côté », tempère Velenkosini Hlabisa, président de l’IFP.

la suite après cette publicité

Il est donc encore beaucoup trop tôt pour parler de coalition. Les six partis ont convenus de se retrouver les 16 et 17 août pour établir les règles d’un éventuel pacte. Viendront ensuite les élections, puis les résultats et enfin l’obligation de former un gouvernement sous deux semaines. Grâce à leur « pacte », les partis d’opposition veulent pouvoir proposer un gouvernement de coalition dans cet intervalle afin de préserver la stabilité du pays.

Coalitions intenables

Car jusqu’à présent, le mot coalition est synonyme de chaos dans l’esprit des Sud-Africains. Les élections locales de 2021 ont vu naître dans la douleur des alliances intenables à la tête des plus grandes municipalités. Johannesburg a connu quatre maires en deux ans. Dada Morero (ANC), qui fut l’un d’eux, se présente désormais comme « maire de Johannesburg pendant 25 jours ». Ces luttes de pouvoir empêchent le maintien des administrations et affectent la bonne gestion des métropoles.

la suite après cette publicité

Après les villes, le pays tout entier ? Le risque est important, affirme Michael Beaumont d’ActionSA : « Qui prétend l’inverse est stupide. La vraie question est de savoir si on a retenu la leçon des échecs des métropoles. » Les partis se préparent et font appel à des experts indépendants. Ils cherchent la solution dans des pays étrangers, où les gouvernements de coalition sont la norme. L’ambassade du Danemark a même reçu les principaux partis pour une conférence en février. « Avec de la confiance et de la volonté politique, les gouvernements de coalition peuvent être stables, inclusifs, transparents et très efficaces », a tenu à rassurer l’ambassadeur Tobias Elling Rehfeld.

Viser la lune

« Imaginez juste un instant un gouvernement débarrassé des caïds corrompus de l’ANC qui ont mis notre pays à terre. Un nouveau cabinet composé de dirigeants compétents venus de partis politiques différents », a narré John Steenhuisen lors d’une allocution télévisée. Le chef de la DA n’est pas peu fier d’être aux commandes du petit train derrière lequel chacun raccroche les wagons. Car ce pacte « qui vise la lune » comme il dit, c’est son idée. Le résultat « d’intenses réflexions et d’une introspection », présenté après sa réélection au congrès de son parti en avril.

Sans préjuger du résultat, John Steenhuisen signe là un coup de maître. « Certains partis politiques n’ont pas trop apprécié, et c’est normal, que l’Alliance démocratique ait fait sa propre annonce et ait déjà trouvé un nom. Mais tout cela, le concept et ce qu’on est en train d’essayer, c’est pour la bonne cause », concède Michael Beaumont. « Le plan de l’Alliance démocratique se déroule sans accroc et ils ont gagné en influence sur des partis extérieurs », observe le politologue Levy Ndou.

En additionnant les six partis intéressés, ils représentaient 35 % des votes en 2021, dont 21 % rien que pour la DA. John Steenhuisen appelle à trouver les 15 % restants en partant à la conquête des déçus de l’ANC et des abstentionnistes. Ce serait la démocratie sud-africaine qui y gagnerait : 13 millions de Sud-Africains n’étaient pas enregistrés sur les listes électorales lors des dernières élections et 14 millions d’électeurs n’ont pas voté.

L’idée en gestation d’une coalition transpartisane pourrait mobiliser un vivier d’électeurs désespérés et désintéressés. Donneront-ils tort au président Cyril Ramaphosa qui tourne en dérision la question de savoir s’il sortira vainqueur du scrutin ? « C’est une question stupide, a-t-il en tout cas rétorqué. Cela ne fait aucun doute que nous allons gagner. »

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires