Afrique du Sud : à bout de souffle

Chômage de masse, manque d’infrastructures, quasi-monopoles… Depuis la crise de 2009, l’Afrique du Sud fait du surplace. Même le secteur des mines est en perte de vitesse. Pour redresser la barre, le gouvernement va devoir réaliser un véritable tour de force.

Manifestation contre les problèmes de logement au Cap, le 30 octobre. © Mike Hutchings/Reuters

Manifestation contre les problèmes de logement au Cap, le 30 octobre. © Mike Hutchings/Reuters

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Publié le 25 novembre 2013 Lecture : 7 minutes.

Après les passions, l’âge de raison. À bientôt 20 ans, la jeune nation Arc-en-Ciel fait sa crise de croissance. L’économie tourne au ralenti depuis 2009, et les inégalités se creusent, comme le montre le coefficient de Gini, pire aujourd’hui qu’à l’époque de l’apartheid, sur fond de corruption et de chômage endémique. « Le modèle socio-économique sud-africain a atteint ses limites », estime David Kaplan, professeur d’économie à l’université du Cap.

Les Blancs – 8 % de la population – détiennent 95 % de l’économie.
Ellis Mnyandu, rédacteur en chef du Business Report

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La première puissance économique du continent pèse toujours un bon quart du PIB africain, et depuis les premières élections démocratiques de 1994, des progrès notables ont été réalisés en termes d’accès à l’eau et à l’électricité, d’éducation et de santé, ou de lutte contre la très grande pauvreté – diminuée de moitié pour être ramenée à 5 % aujourd’hui. « Mais le pays n’a toujours pas lancé la révolution structurelle dont il a besoin pour repartir », regrette l’universitaire, qui cite en vrac le poids démesuré du secteur public, une trop grande dépendance à la rente minière, l’obsolescence des infrastructures dans l’énergie et les transports et la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée.

Résultat : le pays fait du surplace. Avec un taux de croissance de 2,1 % en 2013, et de 2,9 % prévu l’année prochaine, l’Afrique du Sud est bien loin des 4,2 % enregistrés chaque année en moyenne entre 1994 et 2008. Le « S » des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et South Africa) affiche des résultats bien inférieurs à ceux des autres pays émergents, ainsi qu’à ceux du reste de l’Afrique subsaharienne (respectivement 5,5 % et 4,8 % sur la même période).

« Nous gérons toujours l’héritage de l’apartheid », observe Ellis Mnyandu, rédacteur en chef du Business Report. « Les grandes orientations, comme la prépondérance des mines et la structure quasi monopolistique de certains secteurs autour de conglomérats publics ou privés, ont été initiées sous l’ancien régime, qui n’avait pas non plus vocation à favoriser la constitution d’une classe noire éduquée susceptible de jouer un rôle économiquement important », pondère le responsable du principal Johannesburg-centre-commercial Siphiwe-Sibeko-Reutersquotidien économique sud-africain. Autant de blocages qui pénalisent lourdement la compétitivité du pays, ainsi que sa productivité. Car si l’Afrique du Sud a connu de profondes transformations politiques ces deux dernières décennies, ce n’est pas le cas de son économie. Le Black Economic Empowerment (BEE), qui vise depuis son adoption en 2004 à inclure les populations historiquement désavantagées dans le développement du pays, a permis l’émergence de cadres et dirigeants noirs. Mais « les Blancs, qui représentent 8 % de la population, détiennent toujours 95 % de l’économie », résume Ellis Mnyandu. Et les grandes entreprises qui se partageaient le gâteau vingt ans plus tôt n’ont pas vraiment desserré leur étreinte. La forte concentration des secteurs bancaire et minier, de l’industrie manufacturière ou de la grande distribution constitue toujours un barrage à la constitution d’un tissu dense de PME-PMI, qui « reste parmi les plus faibles au monde », rappelle le Fonds monétaire international.

« C’est pourtant l’une des sources d’emplois les plus efficaces qui soit », assure Ebrima Faal, le directeur régional de la Banque africaine de développement (BAD). Plombée par un taux de chômage de 26 % officiellement, mais que beaucoup d’observateurs jugent plus près de 34 %, l’Afrique du Sud ne semble pas se donner les moyens de lutter contre ce fléau. « Le pays crée peu d’emplois en période de croissance, et il en détruit énormément à chaque ralentissement », constate Gilles Bordes, conseiller au service économique de l’ambassade de France à Pretoria. En 2009, au lendemain de la crise financière internationale, le pays a perdu en quelques mois le million d’emplois qu’il avait péniblement réussi à créer entre 2000 et 2007. « Le nombre d’actifs dans le secteur formel est aujourd’hui moins important qu’avant la crise. Et au rythme actuel, avec les pesanteurs et la rigidité du marché du travail, il faudra des décennies pour retrouver tous ces emplois », s’agace Ellis Mnyandu.

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Malentendu

Entre une réforme agraire tentée plusieurs fois mais toujours avortée, une industrialisation quasiment stoppée depuis la fin de l’apartheid et des filières textile ou automobile en difficulté sur les marchés domestique et régional en raison du coût de la main-d’oeuvre locale, le pays ne semble pouvoir s’appuyer, une fois encore, que sur ses mines. Le secteur contribue chaque année à hauteur de 10 % au PIB et à 60 % des recettes d’exportations. Il fournit un travail à 8 % de la population active, « sans compter la dizaine de personnes que chaque mineur fait vivre avec son salaire », précise Gilles Bordes. Les gisements de charbon découverts dans le nord-ouest du pays devraient permettre des embauches à moyen terme, mais « le secteur est en perte de vitesse, comme en atteste le nombre record de grèves ces dernières années », insiste David Kaplan.

Comment calmer les tensions sociales ? À coups de subventions !

Le gouvernement ne peut même pas compter sur ses champions nationaux, « qui ne font pas preuve d’un grand patriotisme économique », ironise Ellis Mnyandu. Le géant AngloAmerican a déménagé son siège à Londres dès la fin des années 1990, tout comme SABMiller dernièrement, alors que des entreprises comme Tiger Brands ou la banque Absa, désormais dans le giron de Barclays, multiplient les investissements à l’étranger, essentiellement en Afrique. « Le malentendu entre pouvoirs publics et secteur privé n’a fait que s’accentuer depuis 1994 », confirme Nomaxabiso Majokiweni, directrice générale du Business Unity South Africa (Busa), la très conservatrice organisation patronale. En brandissant dès son arrivée au pouvoir la menace d’une nationalisation de l’économie, le Congrès national africain (ANC) et ses alliés de la Cosatu, la principale confédération syndicale du pays, n’ont pas rassuré les investisseurs locaux et étrangers, qui reprochent au gouvernement ses éternelles hésitations. Dopé par l’organisation de la Coupe du monde, le stock d’investissements directs étrangers (IDE) a augmenté jusqu’en 2010, avant de marquer le pas.

Pendant ce temps, la population noire se serre toujours la ceinture. De plus en plus endettée, elle compte sur les largesses du gouvernement, qui apaise toute tension sociale à coup de subventions, creusant dangereusement les déficits. « Alors que moins de 5 millions de personnes sont imposées, 17 millions bénéficient de prestations », calcule Ellis Mnyandu. Dans ces conditions, il est difficile à l’État de soutenir l’investissement public, pourtant essentiel pour se doter des infrastructures indispensables à la relance.

Avec son National Development Plan (NDP), feuille de route adoptée en 2013, le gouvernement espère bien décalaminer la machine et surtout réduire le chômage. La création de 11 millions d’emplois est prévue d’ici à 2030. « Sauf que les secteurs porteurs ne sont pas clairement identifiés et que le pays a besoin d’une croissance annuelle minimale de 6 % pour obtenir de tels résultats », précise Ellis Mnyandu. « Beaucoup reste à faire. Il y a urgence », s’emporte David Kaplan. Faute de retrouver son dynamisme, le champion continental prend le risque de perdre sa couronne africaine dès 2025. Il sera alors détrôné, comme plusieurs études le pronostiquent déjà, par le Nigeria.

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Les « Black Diamonds » sont toujours aussi rares
Afrique-du-Sud-population-aisee-noire Antony-Kaminju-Reuters
La discrimination positive a surtout favorisé l’émergence d’une élite noire fortunée, capitaliste et appartenant au monde de la finance. Mais la classe moyenne tarde à se
généraliser.

Dix ans après la mise en place définitive du Black Economic Empowerment (BEE), ses effets bénéfiques se font toujours attendre dans les townships. Jusqu’à présent, la
politique de discrimination positive n’a concerné que quelques personnes qui ne s’en cachent pas et s’affichent au volant de leur berline, forcément allemande.

Les Black Diamonds du Cap et de Jo’burg font toujours rêver, mais ils commencent aussi à irriter. « Le BEE était nécessaire, mais il n’a pas répondu aux attentes en matière de redistribution », estime Gilles Bordes, conseiller au service économique de l’ambassade de France à Pretoria. Purement capitalistique et financier dans un premier temps, il a consisté essentiellement à transférer des actifs, mines et médias en particulier, de la minorité blanche à la majorité noire. Plus de 600 milliards de rands (43,14 milliards d’euros), financés sur prêts bancaires, auraient ainsi changé de mains – alimentant au passage les rumeurs de corruption au sein d’une élite au luxe insolant et, le plus souvent, proche de l’ANC. Sakumzi « Saki » Macozoma, ancien prisonnier à Robben Island aujourd’hui vice-président de Standard Bank, première banque du pays et multi-investisseur via Safika Holdings ; Cyril Ramaphosa, ex-patron du syndicat des mines et vice-président de l’ANC, dont la fortune est estimée à 700 millions de dollars (520,9 millions d’euros) par Forbes ; Tokyo Sexwale qui, avec son holding Mvelaphanda, fut un temps le plus riche de ces nouveaux investisseurs noirs, figurent dans cette caste.

Bison

Pour faire taire ceux qui protestent contre l’enrichissement de quelques-uns, les autorités ont par la suite complété le texte pour durcir les impératifs de local content (emploi et achats), de transfert de technologies et, surtout, de formation, dans un pays qui ne compte que 10 000 ingénieurs noirs.

Le BEE a aussi favorisé l’émergence d’une classe moyenne noire dans les grandes villes : 4,2 millions d’individus, qui dépensent jusqu’à 20 dollars par jour. En hausse de 250 % entre 2004 et 2012, elle représente les deux tiers de la classe moyenne sud-africaine, contre moins de 11 % dix ans plus tôt. Une classe supérieure noire, dont la consommation dépasse 20 dollars par jour, s’est également étoffée, à 250 000 personnes.

Dans la foulée, la consommation de biens et services progresse, ainsi que les dépenses de santé et d’éducation, même si les montants restent modestes. Bien loin en tout cas des 1,2 million de livres (1,4 million d’euros) dépensés par Cyril Ramaphosa pour se faire livrer un bison d’Amérique. Ou du train de vie de Patrice Motsepe, qui a lui aussi profité du BEE pour se bâtir un empire minier avec African Rainbow Minerals : sa fortune est estimée à 2,7 milliards de dollars. O.C.

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