Mehdi Qotbi : « Mohammed VI est à l’origine de la révolution muséale au Maroc »
Pour le président de la Fédération nationale des musées du Maroc, l’évolution du secteur artistique s’explique par une volonté du roi, qui voit dans la culture un élément central de développement.
Peintre de profession et lobbyiste dans l’âme, il a consacré une grande partie de sa vie à promouvoir l’art des deux côtés de la Méditerranée, au Maroc comme en France. Le président de la Fondation nationale des musées vient d’être élevé à la dignité de grand-officier du mérite national par Emmanuel Macron, une distinction qui « honore (sa) carrière et (son) engagement au service de la culture », mais aussi son rôle de « fervent ambassadeur des cultures françaises et marocaines, ayant à cœur depuis cinquante ans de tisser des liens entre ces deux pays », comme le souligne la lettre de la ministre française de la Culture Rima Abdul Malak que JA a pu lire.
Ce geste du chef de l’État qui survient dans une période de tensions accrues entre le royaume et l’Hexagone, peut-il être interprété comme un signal positif de Paris en direction de Rabat ? Rien n’est moins sûr… D’ailleurs, Mehdi Qotbi, natif de Rabat et qui a vécu une quarantaine d’années en France, se refuse à interpréter quoi que ce soit, arguant prudemment que les questions politiques ne sont pas de son ressort. En revanche, il ne se prive pas d’exposer en long et en large, avec beaucoup d’enthousiasme, la stratégie du royaume en matière de musées.
Jeune Afrique : Peut-on faire un point sur la révolution muséale que vous chapeautez au Maroc ?
Mehdi Qotbi : Sa Majesté le roi Mohammed VI, dès le début du règne, a doté le pays d’une dynamique culturelle forte, qui se caractérise par un développement important des musées, dans un esprit de démocratisation. La culture est un élément clef du développement. L’objectif est de rendre les musées accessibles aux Marocains pour leur permettre de connaître leur patrimoine, la richesse et la diversité de leur histoire, nourrie de plusieurs confluents comme le souligne le préambule de la Constitution.
Mais aussi aux visiteurs qui viennent au royaume, car notre travail ne se limite pas à ouvrir des musées mais aussi à créer des ponts et des passerelles entre les pays, les cultures et les civilisations. Il n’y a qu’au Maroc que l’on donne en même temps le coup d’envoi des travaux du musée des Arts de l’Islam, et la construction du musée de la Mémoire du Judaïsme, tous deux à Fès. Ces espaces seront ouverts au public en décembre 2023.
Comment se traduit concrètement cette politique muséale ?
Depuis la création en 2011 de la Fondation nationale des Musées, nous avons procédé à l’ouverture de nombreux nouveaux espaces muséaux, dont le très emblématique Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI) et le Musée National de la Photographie, à Rabat, ou la Villa Harris, à Tanger. Mais nous œuvrons aussi à la restauration d’institutions existantes, telles que le Musée des confluences-Dar El Bacha à Marrakech, ou le Musée National de la Céramique à Safi.
Cette démarche ne se limite pas aux grandes villes. À Agadir par exemple, qui était avant tout connue comme un lieu de villégiature, le musée municipal a été récemment transformé en musée d’art, qui accueille peintures, bijoux et tapis, essentiellement amazighs, et une collection d’œuvres exceptionnelles issues d’une donation d’El Khalil Belguench. À Azilal, un musée archéologique a été inauguré le 20 juin au géoparc du M’Goun, invitant les visiteurs à un voyage à travers le temps, la géographie et l’histoire ainsi qu’une immersion dans l’univers de la flore et de la faune.
Vous ne comptez pas vous arrêter là, puisque vous préparez l’ouverture d’un Musée national du football…
Effectivement, nous travaillons à l’inauguration fin juillet, à Rabat, en partenariat avec la Fédération royale marocaine de football (FRMF) présidée par Fouzi Lekjaâ, d’un musée du ballon rond. Dans l’enceinte de l’Académie Mohammed VI de football, ce musée permettra de rendre hommage aux anciens, aux pionniers de ce jeu au royaume, mais aussi à ceux qui font le foot aujourd’hui puisque lors du dernier Mondial au Qatar, les lions de l’Atlas nous ont tous fait rêver, pas simplement les Marocains, mais les spectateurs du monde entier. Le football a montré à quel point il peut être une locomotive fabuleuse.
Lisbonne, Amsterdam, Madrid, Cotonou… Vous semblez décliner également votre démarche à l’international, en multipliant les manifestations et évènements à l’étranger.
C’est vrai, nous sommes sur beaucoup de fronts, à l’intérieur comme à l’extérieur, afin de participer à ce soft power essentiel qu’est la diplomatie culturelle. Notre démarche vise à promouvoir et faire connaître l’art et la culture marocaine à l’étranger en organisant des évènements en partenariat avec des fondations et grands musées situés dans différentes parties du monde. C’est ainsi qu’on a présenté, il y a quelques jours, une exposition sur l’histoire de la peinture marocaine au musée d’art contemporain de Lisbonne. Elle vient compléter ce qu’on a fait il y a quelques mois à Amsterdam, au musée Cobra, ou celle sur l’art contemporain marocain à la Reina Sofia de Madrid.
Sur un tout autre sujet, la FNM et le Musée national archéologique de Madrid, ont organisé un évènement intitulé « Autour des colonnes d’Hercule », qui célèbre les relations millénaires existant entre l’Espagne et le Maroc. Auparavant, nous avons présenté une grande exposition, à Paris, au Louvre, sur le Maroc médiéval et à l’Institut du monde arabe sur le Maroc contemporain.
Comment est décidée cette politique ? Comment travaillez-vous pour établir votre stratégie en tant que président de la Fondation nationale des musées ?
Cette politique est avant tout issue d’une vision de Sa Majesté, qui a pris la décision de créer la fondation nationale des musées en 2011. Je ne suis personnellement qu’un exécutant, un chef de chantier ou un ouvrier parmi d’autres ouvriers qui œuvrent à la réalisation de ce grand projet, qui fait qu’aujourd’hui le Maroc, à travers notamment sa politique de développement de ses musées, est un véritable exemple pour toute l’Afrique, comme ont pu me le confier le président du Bénin Patrice Talon ou la première dame ivoirienne Madame Dominique Ouattara. Et cette expertise, le Maroc est déterminé à la partager avec les autres pays du continent en créant à Rabat un grand centre de formation pour les métiers du musée dans l’enceinte du futur musée du Continent.
Concrètement, comment procédez-vous ? Vous reportez directement au roi ?
Je fonctionne d’abord en préparant et en rédigeant des notes que je transmets à Sa Majesté, et Sa Majesté m’oriente sur le travail que je dois exécuter. On connaît sa passion pour l’art et la culture, qui sont des éléments essentiels du développement et de la modernisation d’un pays.
Vous venez d’être élevé à la dignité de grand-officier du mérite national par le président français Emmanuel Macron pour votre « engagement au service de la culture, ayant à cœur de tisser des liens solides entre ces deux pays », alors même que les relations entre Paris et Rabat sont loin d’être au beau fixe… Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je suis très honoré par cette distinction. Ma motivation a toujours été de tisser et de renforcer des liens entre les cultures et les peuples, et chercher ce qui peut sceller, ce qui peut renforcer pour une meilleure compréhension plutôt que ce qui peut éloigner… Je suis très touché que cela soit reconnu.
Est-ce qu’on pourrait considérer que c’est un signal positif que Paris envoie à Rabat ?
Très sincèrement, je ne suis pas dans la politique, mais dans l’art et la culture. Ce n’est pas mon rôle d’interpréter quoi que ce soit à ce propos.
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