Recrudescence prévue des viols dans le chaos du conflit aux Kivu

L’insécurité croissante qui règne dans l’est de la République démocratique du Congo fait craindre une nouvelle vague de violences sexuelles dans une région désignée par les travailleurs humanitaires comme l’endroit « du monde où il est le plus dangereux d’être une femme ».

Publié le 21 novembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Au cours des six premiers mois de l’année 2008, plus de 5 000 cas de viol ont été signalés dans la province explosive du Nord-Kivu, selon les informations recueillies par les médecins des centres de santé. Le bilan réel est probablement bien plus lourd : certaines femmes sont en effet trop traumatisées pour demander de l’aide, ou craignent d’être stigmatisées.

À Goma, capitale du Nord-Kivu, un hôpital, spécialisé dans les violences sexuelles, admet en moyenne quatre femmes par jour, soit plus de 18 000 depuis qu’il a ouvert ses portes, en 2003. Au Sud-Kivu voisin, les Nations Unies ont fait état de 27 000 agressions sexuelles en 2006. Bien qu’il soit impossible de déterminer le nombre de cas survenus dans le pays, selon les témoignages qu’ils ont recueillis, les médecins font état d’une recrudescence de ces violences.

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Face à l’intensification récente des affrontements entre l’armée du gouvernement et les rebelles sous les ordres du général Laurent Nkunda, un nombre bien plus élevé de femmes (et quelques hommes) ont sans doute fait les frais de la réputation notoire du Congo, dont les combattants sont tristement célèbres pour leur utilisation du viol comme arme de guerre. 

« Un schéma courant »

« Ils sont venus après la tombée de la nuit, quand nous étions cachés dans la maison ; ils ont forcé les fenêtres et ont braqué leurs torches à l’intérieur », a raconté à IRIN une femme de 45 ans, à Rutshuru, à 90 kilomètres au nord de Goma. Alitée, celle-ci était en convalescence après avoir été violée par un soldat rebelle, a-t-elle indiqué.

« Ils nous ont dit d’ouvrir la porte, sinon ils allaient la défoncer et tuer tout le monde dans la maison. Qu’est-ce que je pouvais faire ? ». Deux soldats l’ont plaquée au sol. Son mari, âgé de 52 ans, a été forcé de se coucher à terre, le canon d’un fusil braqué contre sa tempe. « Ils ont dit qu’ils voulaient de l’argent. J’ai conduit l’un des deux dans la chambre à coucher et je leur ai donné 50 dollars, que nous avions empruntés à un ami pour pouvoir fuir les affrontements ».

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« Il a pris l’argent et puis il m’a violée. Il s’est arrêté en plein milieu pour aller dehors dire à mon mari que s’il bougeait, il serait abattu ». La victime, qui a refusé d’être nommée de crainte des représailles, a expliqué que les médecins lui avaient assuré qu’elle se rétablirait. Lorsqu’elle s’est confiée à IRIN, deux jours après son agression, le 30 octobre, elle pouvait à peine bouger.

« Ce ne sera pas un cas isolé », a prévenu Joseph Ciza, qui aide à gérer l’hôpital de HEAL Africa pour les victimes de violences sexuelles, à Goma. « Chaque fois qu’un affrontement éclate, les femmes se font agresser. Ces agressions diminuent lorsque les armées sont véritablement en combat, mais dès que cela s’arrête et qu’elles s’installent dans leurs nouvelles positions, les viols reprennent. C’est un schéma courant ».

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Les femmes ont signalé une recrudescence des violences sexuelles au cours des deux dernières semaines à Kibati, un village situé à 12 kilomètres au nord de Goma, et juste au sud de la ligne de front, où les personnes déplacées ont pourtant afflué pour échapper aux affrontements.

« Deux femmes, qui vivent dans le refuge à côté de chez moi, ont été capturées pendant qu’elles cherchaient des bananes dans les champs », a indiqué Angélique Bendanduka, 32 ans, depuis Kibati. « Elles ne sont pas les seules. Beaucoup de femmes d’ici se font agresser par des soldats du gouvernement. Les soldats volent aussi la nourriture que nous donnent les travailleurs humanitaires ».

La sensibilisation, au cœur de la solution

Ces femmes n’ont presque aucun moyen d’être en sécurité au beau milieu du conflit. Même en temps de paix, les systèmes de justice du pays sont insuffisants. Les représentants des forces de police peuvent être soudoyés par les individus accusés de viols, et les femmes ont peur d’être stigmatisées.

« C’est sans doute l’un des endroits du monde où il est le plus dangereux d’être une femme », a estimé Martin Hartberg, conseiller d’Oxfam dans le domaine de la protection à Goma. « Nous avons recueilli des témoignages auprès de toutes les femmes de certains villages, qui ont toutes déclaré avoir subi des sévices sexuels, sous une forme ou une autre, au cours des cinq dernières années. C’est comme si le viol était devenu ancré dans la culture de ces groupes armés ; il est très difficile d’inverser cette tendance sans une réforme globale de la sécurité dans ce pays ».

Dans la nouvelle constitution, adoptée en 2006, les définitions du viol et des agressions sexuelles ont été clarifiées, et une peine minimale de 20 ans de réclusion criminelle a été instaurée pour les individus reconnus coupables. Peu de femmes ont néanmoins les moyens financiers d’engager des poursuites, et le système judiciaire est trop entaché par la corruption pour pouvoir éradiquer cette culture de l’impunité. « Il faut se débarrasser de ces hommes qui rôdent à travers les régions rurales, l’arme à la main ; c’est la seule façon de mettre fin à ce phénomène », a estimé M. Hartberg.

M. Ciza, pour sa part, s’est montré plus optimiste. « Ce qui doit être fait est simple : tout le monde doit comprendre que les femmes ont une valeur et des droits humains », a-t-il déclaré. « Si cela arrive, les commandants des milices transmettront ces connaissances à leurs recrues, les enfants grandiront en sachant que le viol est un acte condamnable, les choses pourront changer ».

« Mais cela prendra beaucoup de temps. Nous sommes déjà arrivés si loin dans la mauvaise direction ».

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