Présidentielle malgache : Andry Rajoelina hors course pour crime de double nationalité ?

La polémique ne faiblit pas. Mais selon Joël Andriantsimbazovina, agrégé de droit, le chef de l’État n’a pas perdu sa nationalité malgache en devenant français, rien ne lui interdit donc de briguer la magistrature suprême.

Andry Rajoelina lors de la cérémonie d’investiture lui donnant officiellement le titre de président de la République de Madagascar, à Antananarivo, le 19 janvier 2019. © Photo by RIJASOLO / AFP

 © DR
  • Joël Andriantsimbazovina 

    Agrégé des facultés de droit – Directeur de l’École doctorale Droit et Science politique de l’Université de Toulouse I-Capitole – Ex-membre du Comité consultatif constitutionnel de la République de Madagascar

Publié le 7 juillet 2023 Lecture : 4 minutes.

À l’ère de la mondialisation, de la libre-circulation des personnes et du multiculturalisme, au siècle du métissage, les polémiques sur la double nationalité, fusse-t-elle celle des dirigeants politiques, paraissent surannées. L’exemple de Mme Salomé Zourabichvili, fille d’émigrés géorgiens, diplomate française devenue présidente de la République de Géorgie après avoir obtenu la nationalité du pays, devrait être médité. La double nationalité est une situation très courante et très largement acceptée dans la majorité des États, a fortiori concernant les ressortissants des pays qui entretiennent des liens historiques très forts, comme les pays membres de l’Union européenne, les États anciennement colonisateurs ou les États anciennement colonisés.

Législations ambiguës

Cette réalité sociologique peut parfois être contrariée par des législations dépassées ou ambiguës comme au Cameroun ou à Madagascar. Dans la Grande Île, en dépit de l’article 42 du code de la nationalité selon lequel « perd la nationalité malgache, le Malgache majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère », des dizaines de milliers d’habitants en possèdent deux en pratique, surtout au sein des classes aisées – artistes, entrepreneurs, intellectuels, professions libérales, sportifs notamment – et parmi les politiques.

la suite après cette publicité

Preuve que l’automaticité et l’effectivité de cette perte de nationalité sont très aléatoires et affectées d’une tolérance. Cela d’autant que les articles 43 et 45 du code de la nationalité soumettent la perte de nationalité à l’autorisation du gouvernement. De même, la perte de la nationalité en raison d’un comportement rappelant celui d’un membre d’un pays étranger et pour emploi dans un service public étranger ou dans une armée étrangère prévue aux articles 48 et 49 du code de la nationalité est également soumise à l’adoption d’un décret par le Tananarive. A contrario, en l’absence d’un tel décret, le ressortissant concerné conserve sa nationalité malgache.

Les citoyens malgaches qui briguent la magistrature suprême sont-ils soumis à une règle stricte qui interdirait aux binationaux de déposer leur candidature à la présidentielle ? Force est de constater qu’une telle interdiction ne figure ni dans l’article 46 de la Constitution du 11 décembre 2010 ni dans la loi organique du 11 mai 2018 relative à l’élection du président de la République.

L’attachement au pays

Tout simplement parce que le constituant et le législateur organique ont intégré implicitement dans la Constitution et dans la loi organique la doctrine de la nationalité effective consacrée par la Cour internationale de justice dans son arrêt Nottebohm du 11 avril 1955. En cas de binationalité et de risque de litige sur l’effet de la nationalité, il faut faire « prévaloir la nationalité effective : celle qui concorde avec la situation de fait, qui repose sur un lien de fait supérieur entre l’intéressé et l’un des États dont la nationalité est en cause » ; les éléments pris en considération sont divers et variables : y figurent particulièrement « le domicile de l’intéressé, ses liens de famille, sa participation à la vie publique, l’attachement manifesté à un pays, etc. ».

C’est dans cet esprit et afin de prévenir tout conflit sur la binationalité que le constituant impose à tout candidat l’obligation « de résider sur le territoire de la République de Madagascar depuis au moins six mois avant le jour de la date limite fixée pour le dépôt de candidature » dans l’article 46 de la Constitution. C’est également dans cet esprit de prévention de conflit sur la binationalité que le législateur organique exige de tout candidat toutes les preuves de l’effectivité de la nationalité malgache dans le chapitre III relatif aux conditions d’éligibilité et dans la section 1 consacrée au dossier de candidature  du chapitre IV. Notamment l’inscription sur la liste électorale, la régularité de la situation fiscale et de la déclaration de patrimoine, les documents relatifs à l’identité ainsi qu’un certificat de nationalité malagasy daté de moins de six mois.

la suite après cette publicité

Conformément à l’article 15 de la loi organique du 11 mai 2018 précitée, la régularité de la candidature est vérifiée et validée par la Haute Cour constitutionnelle. On peut présumer au-delà de tout doute raisonnable que la Haute Cour constitutionnelle a exercé avec rigueur sa fonction.

Patriotisme contre nationalisme

En tout état de cause, en vertu de l’article 120 de la Constitution, les arrêts et décisions de la Haute Cour constitutionnelle « […] ne sont susceptibles d’aucun recours. Ils s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités administratives et juridictionnelles ». Si, pour des considérations politiciennes, certaines personnalités et certains groupes politiques portent le débat pré-électoral sur le terrain de la nationalité du président de la République en exercice, ils devraient noter que parmi les critères de la doctrine de la nationalité effective figurent la participation à la vie publique et l’attachement à un pays. À cet égard, tout observateur objectif et de bonne foi notera que l’engagement politique du président Andry Rajoelina depuis son entrée dans la vie publique est entièrement tourné vers le développement et le redressement de Madagascar. Quelle plus haute preuve de patriotisme que l’exercice de la présidence de la République d’un État indépendant peut-on donner ?

la suite après cette publicité

Le patriotisme est à distinguer ici du nationalisme. Le premier est ouvert et progressiste, le second est fermé et conservateur. Une conception nationaliste et excluante de la nationalité priverait Madagascar de l’amour, des compétences, de l’expérience, des talents des ressortissants binationaux, nombreux sur la planète. Une conception patriotique et ouverte de la nationalité leur permettrait de se mettre sans crainte d’exclusion au service du peuple malgache et de Madagascar. Pour sortir de l’ambiguïté actuelle du code de la nationalité, une révision de celui-ci dans le sens d’une certaine ouverture pourrait être opportune.

En attendant, et en l’état du droit, rien n’empêche tout candidat binational qui remplit les critères de l’effectivité de la nationalité malgache de présenter sa candidature à l’élection présidentielle.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires