L’accord de pêche avec l’UE réjouit les Mauritaniens
Le nouveau partenariat entre la Mauritanie et l’Union européenne protège les intérêts des pêcheurs locaux tout en préservant les ressources halieutiques nationales.
« Historique ! » Le mot est sur toutes les lèvres à Nouakchott pour qualifier l’adoption du protocole d’accord de partenariat de pêche (APP) 2012-2014 entre la Mauritanie et l’Union européenne. Signé après des mois d’âpres négociations en juillet 2012 et appliqué depuis de manière provisoire, cet accord aura attendu plus d’un an pour être validé par le Parlement européen, le 8 octobre dernier.
Avantageux pour la Mauritanie, il respecte le double objectif de préservation des intérêts des pêcheurs locaux et de protection des ressources halieutiques nationales, en particulier des poulpes – à forte valeur commerciale -, dont la moitié des prises mondiales s’effectue au large des côtes sénégalo-mauritaniennes.
Désormais, le céphalopode devient la chasse gardée des pêcheurs locaux. Il était temps, car les scientifiques de l’Institut mauritanien des recherches océanographiques et des pêches (Imrop) sont formels : la surpêche observée depuis le début des années 2000 a eu des conséquences dramatiques sur l’état des stocks toutes espèces confondues et en particulier sur celui des poulpes, dont les deux tiers auraient disparu en dix ans.
Une manne en mer
Les eaux mauritaniennes restent cependant parmi les plus poissonneuses au monde. Une manne qui a fait de la pêche un secteur hautement stratégique pour le pays. Ses ressources halieutiques attirent des chalutiers, des palangriers et des thoniers de plus en plus énormes, armés par des industriels du monde entier, en particulier européens (principalement espagnols, lituaniens, lettons, polonais et néerlandais) et asiatiques (japonais et chinois), mais aussi algériens ou russes.
À tel point que près de 80 % des petites espèces pélagiques (poissons de surface) capturées dans les eaux mauritaniennes en 2012 ont été pris dans les filets de navires industriels battant pavillon étranger.
Le pays a exporté plus de 1 milliard de tonnes de poissons et crustacés en 2010 et 800 000 t en 2012, soit deux fois plus que dans les années 1980. Et, malgré le peu de valeur ajoutée de ces produits, exportés bruts en quasi-totalité, la pêche est le deuxième pourvoyeur de devises du pays (pour plus de 40 %) et contribue pour 25 % aux recettes budgétaires de l’État.
Salutaire
Le protocole adopté par le Parlement européen le mois dernier marque un radical changement de cap pour la pêche mauritanienne : les différentes parties le trouvent enfin équitable et il devrait servir de référence dans les renégociations des contrats de pêche que mène le gouvernement mauritanien avec ses autres partenaires.
En contrepartie d’une centaine de licences de pêche, la Commission européenne s’est engagée à verser 70 millions d’euros (dont 3 millions pour soutenir le secteur local) et les armateurs européens 40 millions, soit un total de 110 millions d’euros, contre 90 dans l’accord précédent.
En plus de cette contrepartie financière, le nouvel accord impose notamment que le nombre de Mauritaniens embarqués à bord des navires européens licenciés représente au moins 60 % de l’équipage, au lieu de 37 % auparavant.
Mais le protocole s’avère vraiment salutaire, car il est le premier à garantir l’exclusivité de la pêche au poulpe à la pêche artisanale et côtière mauritanienne (PAC), point qui avait provoqué le blocage au Parlement européen. Les Espagnols y sont farouchement opposés, arguant que cette mesure entraînera d’importantes pertes d’emplois dans leur pays.
Accès limité
Plus généralement, le nouveau contrat limite l’accès des navires européens au surplus existant et aux espèces inaccessibles aux Mauritaniens. Conséquence : les captures de petits pélagiques par les flottilles européennes, qui étaient passées de 100 000 t en 1996 à 380 000 t en 2011, sont déjà retombées à moins de 130 000 t en 2012 sur un total de 800 000 t (dont 200 000 t capturées par la PAC locale).
Si ces avancées doivent renforcer le poids du secteur dans l’économie du pays, quelques inquiétudes persistent concernant la traçabilité de la contrepartie financière versée par l’UE, ainsi que la transparence des conditions d’attribution des licences de pêche aux flottes étrangères. « La convention appliquée aux Européens doit désormais l’être à tous les autres partenaires », estime Béatrice Gorez, coordinatrice de la Coalition pour des accords de pêche équitables (Cape), qui s’est battue pour la révision de l’APP avec l’UE.
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Eaux troubles
C’est dans cet esprit que le gouvernement mauritanien poursuit les négociations pour la révision de ses accords avec l’Algérie, la Russie et le Japon, arrivées à un stade avancé.
Elles restent en revanche confuses avec la Chine et achoppent sur la renégociation de la convention passée en 2010 avec la société chinoise Poly Hondone Pelagic Fishery – et révoquée depuis -, selon laquelle cette dernière devait bénéficier d’un droit de pêche durant vingt-cinq ans en échange d’un investissement de plus de 83 millions d’euros pour la construction et l’exploitation d’une usine de transformation à Nouadhibou. Le genre d’accord léonin et nébuleux que ne laisseront passer ni les pêcheurs locaux, ni les ONG, ni les autres partenaires étrangers.
Resquilleurs saint-louisiens
Les tensions restent récurrentes entre les gardes-côtes mauritaniens et les pêcheurs de Guet Ndar, le port de Saint-Louis du Sénégal.
Ces derniers s’obstinent à franchir allègrement les frontières maritimes pour aller traquer illégalement le petit pélagique dans les eaux poissonneuses de Mauritanie. Nouakchott leur alloue pourtant quelque 300 licences de pêche par an, pour un volume de capture de 30 000 tonnes débarquées au pays de la Teranga, selon la Direction des pêches maritimes sénégalaise (DPM).
S’il est difficile d’en évaluer le volume exact, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) aurait un impact important sur la réduction des stocks. Les gouvernements et fédérations professionnelles des deux pays jouent l’apaisement, de même que la Confédération africaine des organisations de la pêche artisanale (Caopa), dont le président, Sid’Ahmed Ould Abeid, est mauritanien et le secrétaire général, Gaoussou Guèye, sénégalais.
Tous deux soulignent la solidarité entre pêcheurs, mais appellent au respect des frontières et à la mise en oeuvre d’un plan concerté. Certains professionnels souhaitent même qu’une gestion par quotas soit instituée dans le cadre des États de la Commission sous-régionale des pêches (CSRP), à l’image de celle organisée à l’échelle mondiale pour la pêche au thon rouge. J.D.
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