Les orphelins de guerre toujours hantés par les violences du passé
Theresa, une adolescente de 16 ans pleine d’entrain, a vu ses parents pour la dernière fois le jour où ils ont été emportés loin d’elle, dans la cohue, alors qu’ils fuyaient pour se réfugier en Guinée voisine à la suite d’une attaque menée par les rebelles dans leur ville, pendant la guerre civile (1991-2000).
La jeune fille, qui n’a jamais retrouvé ses parents, a vécu la guerre et ses conséquences dans des camps de réfugiés, mendiant et vendant son corps à des soldats et à d’autres contre un peu de nourriture ou un peu d’argent.
Aujourd’hui, la paix est revenue en Sierra Leone et Theresa vit avec sa tante à Koindu, une ville du sud-est de la Sierra Leone, ancien bastion principal des rebelles, pendant la guerre civile.
La jeune fille est mère d’un enfant de deux ans, dont elle ne connaît pas le père, car elle a eu de nombreux partenaires sexuels depuis qu’elle est rentrée chez elle. Il lui a rarement semblé, dit-elle, que sa vie valait la peine d’être vécue.
« J’ai l’impression de ne servir à rien, que [ma vie] n’a pas de sens », a-t-elle expliqué. « Je n’ai aucune idée de l’identité du père de l’enfant. Je dois lutter rien que pour nous trouver des vêtements. Je mendie pour avoir de quoi manger ».
Selon Alice Behrendt, qui a étudié les risques de suicide des enfants du Togo, du Burkina Faso, du Liberia et de la Sierra Leone pour le compte de l’organisation non-gouvernementale (ONG) Plan international, le sentiment de désespoir de Theresa est fréquent chez les orphelins de la guerre, et même chez les enfants qui n’ont pas perdu leurs parents pendant la guerre.
Risque de suicide élevé
« De tous les pays que j’ai étudiés, la Sierra Leone affiche de loin le taux de suicide le plus dramatique », a-t-elle expliqué.
À Koindu, sur les 180 enfants interrogés par Mme Behrendt (90 orphelins et 90 autres enfants), 59 pour cent avaient assisté à un suicide et 70 pour cent avaient envisagé d’attenter à leurs jours ou avaient déjà essayé de le faire.
Sur les 90 orphelins, huit étaient considérés comme ne représentant pas un risque de suicide.
« Les orphelins ne sont pas les seuls à courir ce risque, car beaucoup d’enfants qui n’ont pas perdu leurs parents vivent dans des environnements où ils sont victimes de maltraitances ou qui sont violents, d’une manière ou d’une autre », a expliqué Mme Behrendt.
« La principale différence, pour les orphelins, c’est qu’ils ont généralement une moins bonne estime d’eux-mêmes et des compétences sociales moindres, et qu’ils souffrent davantage de dépression. Ils présentent davantage de signes de trouble du stress post-traumatique, souffrent davantage d’incontinence nocturne et de problèmes de conduite », a-t-elle noté.
Les orphelines sont aussi susceptibles de se livrer à des transactions sexuelles, a-t-elle expliqué.
Cinquante pour cent des adolescentes interrogées par Plan international étaient en effet déjà tombées enceintes et bon nombre d’entre elles étaient atteintes d’infections sexuellement transmissibles. « Les filles se prostituent pour survivre. Certaines le font pour payer leurs frais de scolarité », a dit Mme Behrendt.
Les communautés sont bien conscientes du problème, selon elle. Toutefois, les solutions locales n’ont pas vraiment à voir avec les mécanismes occidentaux de conseil et de soutien. Tout individu surpris en train de tenter de mettre fin à ses jours est en effet châtié : il est battu ou même livré à la police.
Lawrence James a été formé au métier de conseiller par une autre ONG, qui opérait auparavant à Koindu ; aujourd’hui, il reçoit des fonds de Plan international pour rendre visite aux orphelins suicidaires.
Effondrement des relations sociales
Pour M. James, le manque total de soutien aux orphelins découle d’un effondrement des relations sociales, observé pendant la guerre. « Les gens ont perdu leurs valeurs culturelles et leur sens de la communauté », a-t-il indiqué.
Dans une ville où la plupart des habitants vivent encore dans les carcasses brûlées de bâtiments en ruine surmontés de toits en lambeaux de plastique et en feuilles séchées, les familles n’ont pas assez pour survivre, encore moins pour partager leurs ressources avec des orphelins.
« La pauvreté est le lot quotidien, ici », a-t-il noté. « Les familles ne peuvent tout simplement pas s’en sortir avec un enfant de plus : elles veulent se concentrer sur les leurs et sur elles-mêmes ».
M. James et deux de ses collègues, Fatmata Bah et Mustapha Abdulai, travaillent à améliorer les relations entre les orphelins et les personnes qui s’occupent d’eux, lorsqu’il y en a, et Plan international couvre parfois les frais de scolarité des enfants, afin qu’ils puissent aller à l’école.
En savoir plus sur ce que ressentent les enfants
Les trois conseillers s’efforcent également d’aider les enfants à acquérir la force mentale qui leur permettra de mettre leur passé violent derrière eux. Certains enfants ont non seulement perdu leurs parents pendant la guerre, mais ils ont également assisté à leur massacre, ou ont été eux-mêmes forcés de les tuer.
Les conseillers sont souvent les premiers à chercher à savoir ce que les enfants ressentent depuis ce qui leur est arrivé, à eux et aux personnes de leur entourage, pendant la guerre. Pendant la première semaine de traitement, les enfants se contentent généralement de pleurer, sans pouvoir parler.
Réussir à les faire parler de ce qu’ils ont vécu est donc perçu comme une victoire. Mais si les médiations familiales et le soutien peuvent être utiles, selon M. James, l’aide que peuvent apporter les conseillers est limitée par un manque de possibilités économiques et par le peu d’espoir de pouvoir offrir à ces enfants une vie meilleure.
Koindu n’est qu’un début pour Plan international, a expliqué Mme Behrendt, qui gère le projet. La prochaine étape consistera à élargir la zone d’aide pour y inclure les enfants d’autres régions de la Sierra Leone, du Liberia et de la Guinée.
« Il y a vraiment une histoire dans tous les coins, ici », a-t-elle déclaré. « Parfois, on a l’impression que les villes regorgent d’enfants à aider ».
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