À Isandlhwana, quand les Zoulous humilient les Britanniques

Le 22 janvier 1879, au pied du piton rocheux d’Isandlhwana, l’armée du roi Cetshwayo kaMpande inflige aux Britanniques l’une de leurs pires défaites.

Victoire Isanhlwana, 1879 © Montage JA; DR Victoire Isanhlwana, 1879 © Montage JA – DR

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Publié le 27 juillet 2023 Lecture : 11 minutes.

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[Série] Ces batailles où l’Afrique a triomphé des colons

Face aux forces coloniales, du Maroc à l’Afrique du Sud, en passant par Haïti, l’Algérie ou le Ghana, les Africains du continent et de la diaspora ont souvent su profiter du sentiment de supériorité des Européens.

Sommaire

Les grandes victoires militaires africaines (4/8) – Impi! wo ‘nans’ impi iyeza / Obani bengathinta amabhubesi? / All along the river / Chelmsford’s army lay asleep / Come to crush the Children of Mageba. (« La guerre, oh vient la guerre / Qui ose défier les lions ? / Tout le long de la rivière l’armée de Chelmsford se repose / Venue pour détruire les enfants de Mageba ») Ainsi débute Impi, une chanson de Johnny Clegg & Juluka (sortie dans l’album African Litany).

En 1981, alors que le régime d’apartheid broyait encore l’Afrique du Sud, celui qui gagnerait bientôt le surnom de « Zoulou blanc » entonnait là un hymne à la gloire de l’armée du roi Cetshwayo KaMpande (1826-1884) qui, en 1879, écrasa sans pitié les troupes coloniales britanniques lors de la bataille d’Isandhlwana. La référence historique ne pouvait échapper au pouvoir raciste…

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Un bain de sang pour de l’or et des diamants

Isandhlwana, c’est un piton rocheux dominant une vaste plaine dans ce qui est aujourd’hui le Kwazulu-Natal. À ses pieds, des cairns de pierres blanches marquent les emplacements où furent inhumés les quelque 1 300 soldats britanniques et africains qui trouvèrent la mort en affrontant l’impi (« armée ») zouloue qu’ils avaient dangereusement sous-estimée… Un bain de sang, l’un des pires affronts subis par les soldats de sa majesté.

Comme souvent dans les guerres de conquête coloniales, tout commence avec l’appât du gain. À la fin des années 1860, la découverte de diamants et de gisements d’or en Afrique du Sud suscite un vif intérêt des Britanniques. Intérêt qui se heurte à l’existence de royaumes indépendants et solidement structurés. C’est le cas, en particulier, du royaume zoulou.

En 1877, l’ancien gouverneur de Bombay, Sir Bartle Frere, est nommé gouverneur de la colonie du Cap, avec pour objectif d’y relancer un projet de fédération semblable à celui mis en place au Canada. Face aux troubles qu’il affronte au Natal et dans les colonies du Cap, il considère que le principal responsable est le royaume zoulou. Pour lui, « il est du devoir de la Grande-Bretagne, à travers une haute mission, de propager l’influence civilisatrice du gouvernement chrétien en vue d’éradiquer les institutions barbares du royaume zoulou » (ainsi que cité par Pape Drame dans la revue Stratégique, n° 88, paru en 2007). L’homme va donc chercher le premier prétexte venu pour s’en prendre à Cetshwayo.

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Faux prétextes et ultimatum

Le 28 juillet 1878, deux femmes zouloues réfugiées dans le Natal sont enlevées par les fils du chef Sihayo et exécutées. Cetshwayo présente ses excuses et propose 50 livres de dédommagement au gouverneur du Natal. Quelques semaines plus tard, deux jeunes Blancs perdus en territoire zoulou sont pris à parti par des garde-frontières de Cetshwayo, sans être pour autant blessés.

Mais il n’en faut pas plus à Sir Bartle Frere pour envoyer, le 11 décembre 1878, un ultimatum au roi, exigeant notamment que ses hommes soient désormais libres de se marier quand ils le veulent, que le Zululand s’ouvre aux missionnaires et reçoive un résident anglais.

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Autant de conditions inacceptables pour le roi : l’installation d’un résident anglais remettrait en question son pouvoir et, pis encore, autoriser les hommes à se marier avant d’avoir combattu et prouvé leur valeur reviendrait à détruire toute la structure sociale zouloue.

Le 3 janvier 1879, l’ultimatum expire sans que les Zoulous aient accepté d’y souscrire. Même s’il n’a pas l’aval de Londres, Sir Bartle Frere se sent libre d’attaquer. Quand il ordonne l’invasion, l’homme a sans doute en tête la victoire de la rivière Ncome – que l’on peut aussi nommer « le massacre de Bloodriver ». Le 16 décembre 1838, une armée de 840 Boers s’est attaquée à une force de 15 000 Zoulous. Grâce à la supériorité de leur armement, les Boers ont abattu 3 000 guerriers sans souffrir la moindre perte. Et la rivière Ncome s’est teintée de sang.

Trois colonnes britanniques

C’est donc en confiance que le haut-commissaire lance ses hommes en direction du Kraal royal d’Ulundi, où demeure Cetshwayo. Il escompte une campagne militaire courte. Le 11 janvier 1879, emmenées par Sir Frederic Augustus Thesiger, deuxième baron Chelmsford, les troupes britanniques franchissent la Buffalo River et pénètrent dans le Zululand en direction du piton d’Isandhlwana, dont la silhouette de lion couché se distingue à quelque 10 miles à la ronde.

Les forces sont divisées en trois colonnes et comptent environ 13 000 hommes (5 000 réguliers, 2 000 volontaires à cheval, 6 000 auxiliaires africains). Au nord du Zululand, une colonne commandée par le colonel Evelyn Wood, qui doit franchir la Tulega et lancer des missions de reconnaissance. Au sud, une colonne commandée par le colonel Pearson, qui doit traverser la rivière Ncome. Enfin, parti de Rorke’s Drift, Lord Chelmsford en personne accompagne la colonne centrale, composée de quelque 8 000 hommes et dirigée par les colonels Thomas Glyn et Anthony Durnford. Ce dernier a reçu pour mission de rester en position défensive à l’arrière.

Confiance et sentiment de supériorité

Le premier affrontement a lieu dès le 12 janvier, dans la vallée de la Batshe, fief de Sihayo kaXongo, un fidèle de Cetshwayo. Sihayo étant absent du village ce jour-là, c’est son fils Mkhumbikazulu qui prend la tête d’une force d’environ 300 guerriers pour défendre son territoire. S’ils parviennent à repousser un premier assaut, ces derniers ne peuvent résister à la charge de l’infanterie. Une centaine de soldats tombent, dont Mkhumbikazulu, tandis que les Britanniques ne comptent que deux morts. Lord Chelmsford remporte là une victoire rapide qui accroit sa confiance et renforce son sentiment de supériorité.

Son avance est néanmoins ralentie par des difficultés logistiques – pluies, terrain difficile – et par la lourdeur des équipements à transporter. La troupe se déplace en effet avec le nécessaire pour la ravitailler, mobilisant « 30 000 bêtes de somme », « 977 chariots », « 56 charrettes » (toujours selon Pape Drame).

C’est finalement le 20 janvier que la colonne centrale atteint Isandhlwana, où elle établit son camp sur une pente douce, orientée vers Ulundi. À découvert, le site offre dans l’ensemble une excellente visibilité, sauf sur sa droite, où les monts Hlazakazi et Malakata bouchent la vue. Les canons RML 7 Pounder Mountain Gun et les fusils Martini-Henry à un coup se chargeant par la culasse sont prêts à cracher la mort.

23 000 guerriers zoulous

Modernisée par le roi Chaka kaSenzangakhona (1787-1828), l’armée zouloue (« Impi ») totalise alors environ 40 000 hommes. © DR

Modernisée par le roi Chaka kaSenzangakhona (1787-1828), l’armée zouloue (« Impi ») totalise alors environ 40 000 hommes. © DR

De son côté, le roi Cetshwayo kaMpande se prépare. Cette guerre, il n’en veut pas et, jusqu’au bout, il aurait préféré négocier. Mais, face à l’évidence, la stratégie défensive qu’il entendait adopter doit être abandonnée. Dès le 17 janvier 1879, ce sont quelque 23 000 guerriers zoulous qui se regroupent près d’Ulundi, avec un objectif clair : attaquer la colonne centrale britannique, considérée comme la plus puissante.

Appelée « Impi », l’armée zouloue totalise alors environ 40 000 hommes. Elle a été considérablement modernisée par le roi Chaka kaSenzangakhona (1787-1828) : les longs javelots ont été remplacés par de courtes sagaies à larges lames – les iklwas – beaucoup plus efficaces lors de ces corps-à-corps que recherchent les Zoulous, pour lesquels tuer à distance est un acte lâche. Les boucliers en peau de vache ont été agrandis pour améliorer la protection des guerriers. Les sandales ont été abandonnées au profit des pieds nus, qui permettent d’avancer beaucoup plus vite. Quelques mousquets et fusils de piètre qualité ont aussi été acquis au cours des dernières années.

Tactique des cornes de buffle

Mais, surtout, l’impi dispose d’une stratégie guerrière bien rodée, que l’on doit aussi à Chaka Zulu : la tactique des cornes de buffle. Il s’agit d’une formation d’attaque en arc-de-cercle. Au centre (la poitrine) s’avancent les hommes les plus aguerris. Sur les côtés (les cornes) se tiennent les jeunes guerriers les plus agiles et les plus rapides, avec pour but de prendre l’adversaire en tenailles. À l’arrière (les reins) demeurent les vétérans, prêts à intervenir.

C’est une manœuvre offensive qui n’a rien d’une position de défense ou d’une quelconque tactique de guérilla. Les chefs de cette armée sont les izinDunas Ntshingwayo kaMahole Khoza et Mavumengwana kaNdlela Ntuli. « Avancez doucement, attaquez à l’aube et dévorez les soldats rouges » sont les conseils donnés par Cetshwayo à ses soldats, qui doivent fondre en masse sur l’ennemi le 23 janvier.

Camp non fortifié

Le 22 janvier à l’aube, les Britanniques qui ont installé leur camp à Isandhlwana repèrent des Zoulous dans les collines, à l’est du camp. Lord Chelmsford décide de partir à leur contact avec 3 000 hommes. Il envoie un message à Durnford pour lui demander de rejoindre le camp, où il a laissé le commandement au lieutenant-colonel Henry Pulleine, un homme peu expérimenté en matière de combat. Avant de partir, Chelmsford n’a pas pris la peine de fortifier sa position selon la technique des « wagons laager » qui permet d’utiliser les chariots pour se protéger, mais qui aurait pris beaucoup de temps.

Peu après le départ de Chelmsford, des guerriers zoulous apparaissent non loin de la position britannique. Pulleine, rejoint par Durnford vers 10 heures, met ses hommes en alerte. Les soldats aperçus peuvent menacer le camp ainsi que les arrières de Chelmsford. Les lieutenants Raw et Roberts sont envoyés, avec deux escadrons du Natal Native Horse suivis par une compagnie du 24e régiment d’infanterie, vers une crête située à proximité du camp qui pourrait servir de cache aux Zoulous.

Les Britanniques atteignent le sommet et débouchent sur un plateau herbeux ou de jeunes adolescents zoulous font paître leurs vaches. L’arrivée des Britanniques provoque leur fuite vers la lisière du plateau. C’est là que leurs poursuivants s’arrêtent net : dans la plaine, au pied du plateau, silencieuse, une armée de plus de 20 000 guerriers attend, immobile.

80 kilomètres en quatre jours

« L’adversaire zoulou que Chelmsford est allé rechercher sur son front droit, à environ 13 km à l’est du camp, s’est en fait positionné sur son front gauche, à seulement 5 km d’Isandhlwana, abrité dans les hauteurs des monts Nqutu », écrit Pape Drame. Pour prendre leur position, les soldats zoulous ont parcouru 80 km en quatre jours en dissimulant soigneusement leur approche. Quand Raw et Roberts les découvrent, les Zoulous se mettent aussitôt en position selon la tactique des cornes de buffle et attaquent. Depuis le camp, Pulleine ne peut voir que la corne droite et le centre de la charge – la poitrine du buffle. Il envoie un messager pour prévenir Chelmsford et forme une ligne de tir pour parer de front l’assaut zoulou.

Un plan de la bataille d'Isandhlwana, le 22 janvier 1879. © DR

Un plan de la bataille d'Isandhlwana, le 22 janvier 1879. © DR

Vers 11h30, Durnford se positionne sur le flanc droit du camp et tente de bloquer la déferlante des hommes de Cetshwayo. Jusqu’à midi, le dispositif de défense des Britanniques inflige de lourdes pertes aux guerriers africains. Les fusils Martini-Henry, maniés par des professionnels, sont d’une redoutable efficacité. Mais tout le monde n’en a pas : dans les bataillons de troupes indigènes commandés par Durnford, les officiers et les sous-officiers en possèdent, mais seul un Africain sur dix dispose d’un mousquet… Face aux iklwas maniées avec une dextérité mortelle, nombreux sont ceux qui préfèrent la fuite.

Manque de munitions

Bientôt, Durnford est contraint de reculer vers le camp, exposant le flanc droit de la position britannique alors même que la seconde corne du buffle s’enfonçait peu à peu dans son flanc gauche et que l’approvisionnement en munitions commençait à donner des signes de faiblesse. Le feu ayant tendance à faiblir, les Zoulous plaqués au sol bondissent en poussant leurs cris de guerre. Terrifiée, une compagnie d’infanterie entière prend la fuite, ouvrant une brèche dans les lignes britanniques. Les Zoulous prennent alors à revers les tireurs qui, pour certains, n’ont même pas le temps de fixer la baïonnette au fusil.

Le corps-à-corps s’engage, les Zoulous s’attaquant en priorité à ceux qui portent la tunique rouge, comme le leur a ordonné leur chef – ce qui permettra à quelques civils et officiers portant des uniformes sombres de s’en tirer. À 14h29, une éclipse solaire dépose sur le champ de bataille une lueur crépusculaire. Supérieurs en nombre, déchaînés, les Zoulous tuent sans pitié, achèvent les blessés qui agonisent au sol, le ventre ouvert, et poursuivent les fuyards en direction de Rorke’s Drift.

Les Britanniques, à qui le colonel Pulleine a ordonné « Fixez vos baïonnettes et mourez comme meurent les soldats anglais », forment leurs derniers carrés de défense, submergés par la puissance zouloue. Les uns après les autres, ils meurent sous la lame. Les cavaliers de Durnford renoncent à fuir sur leurs chevaux et défendent leur chef jusqu’à la mort. Emportées hors du champ de bataille par les lieutenants Melvill et Coghill, les couleurs de la reine sont perdues quand les deux hommes tombent en essayant de franchir la Buffalo River.

Les couleurs de la reine d'Angleterre sont perdues quand les lieutenants Melvill et Coghill tombent en essayant de franchir la Buffalo River, lors de la bataille d'Isandhlwana, le 22 janvier 1879. © Ann Ronan Picture Library/Photo12 via AFP

Les couleurs de la reine d'Angleterre sont perdues quand les lieutenants Melvill et Coghill tombent en essayant de franchir la Buffalo River, lors de la bataille d'Isandhlwana, le 22 janvier 1879. © Ann Ronan Picture Library/Photo12 via AFP

Poursuivis jusqu’à Rorke’s Drift

Emportés par l’euphorie de la victoire, les Zoulous poursuivent leur chasse jusqu’à Rorke’s Drift, mission fortifiée qui n’est alors défendue que par 140 soldats britanniques. Après trois assauts infructueux, les Zoulous se retirent.

Quand Lord Chelmsford arrive enfin à Isandhlwana dans la soirée, il ne peut que constater l’ampleur de la défaite. La terre a bu le sang des morts, quelle que soit leur couleur de peau. Sur les 1 800 soldats de la Couronne qu’il avait laissés au camp, 1 300 ont été tués, dont 52 officiers, 500 sous-officiers et soldats britanniques, 700 sous-officiers ou soldats des troupes indigènes. Le butin des vainqueurs est important : 1 000 fusils Martin-Henry, deux canons, 102 charriots, 250 000 cartouches, 60 000 livres de matériel. Le prix à payer reste cher : dans le camp zoulou, les pertes aussi sont massives, estimées à 2 000 morts.

Une leçon cruelle et une revanche brutale

Pour les Britanniques, la leçon est cruelle. Lord Chelmsford a totalement sous-estimé les capacités offensives et stratégiques de son ennemi. Il ne commettra pas l’erreur deux fois. Quand la défaite est connue au Royaume-Uni, une vingtaine de jours plus tard, l’opposition au gouvernement conservateur de Benjamin Disraëli exige le rappel du haut-commissaire Sir Bartle Frere, jugé responsable du désastre.

Quoique blâmé, Frere demeure en place et obtient une subvention de 5 millions de livres pour monter, avec le même Lord Chelmsford, une seconde expédition militaire, lancée en février 1879. Dans le Times de Londres, un éditorialiste écrit, le 11 février 1879 : « Je considère cette guerre comme absolument essentielle pour la sécurité en Afrique du Sud. Si le Natal veut devenir une colonie prospère, ou même exister, il est nécessaire qu’une nation aussi barbare que l’est le royaume zoulou avec un roi capricieux et sanguinaire comme Cetshwayo soit assujetti. »

Exil du roi

Appliquant systématiquement la technique de défense des wagons laager, disposant cette fois d’artillerie et d’armes à répétition, les Britanniques prennent le Kraal royal d’Ulundi le 4 juillet 1879. Le roi Cetshwayo est envoyé en exil à Londres. Le puissant royaume zoulou s’incline face à l’impérialisme.

Cent deux ans plus tard, le Zoulou blanc Johnny Clegg chantera : Mageba’s forces were at hand / And by the evening the vultures were wheeling / Above the ruins where the fallen lay / An ancient song as old as the ashes / Echoed as Mageba’s warrior marched away. (« Les forces de Mageba se tenaient prêtes / Et le soir venu les vautours tournoyaient / Au-dessus des ruines où les morts gisaient / Une chanson ancienne aussi vieille que les cendres / Retentissait tandis que s’éloignaient les guerriers de Mageba. »)

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