Amapiano… fortissismo ! Des ghettos aux dancefloors internationaux
Ce genre musical tout droit venu d’Afrique du Sud fait bouger la jeunesse du monde entier. Un phénomène qui décloisonne les styles et les frontières dans un élan panafricain.
« Pi-a-no, pi-a-no »… Ces trois syllabes résonnent tel un slogan au Point Fort d’Aubervilliers. C’est dans cette commune de Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, que se tient la deuxième édition du Pépélé Festival, premier événement consacré à l’amapiano dans la capitale.
Mais l’heure n’est pas vraiment à la fête. La ville est en surchauffe depuis quelques jours, des tirs de mortiers retentissent sur l’avenue de la Division-Leclerc et la colère des habitants se fait entendre à la suite de la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué trois jours plus tôt par un tir policier, lors d’un contrôle. Sur ordre de la préfecture de police, le premier jour de l’événement a dû être annulé. Pas de quoi décourager les organisateurs, qui ont lancé les festivités vingt-quatre heures plus tard, le 1er juillet.
Une fois à l’intérieur du site de 36 hectares, changement d’ambiance et de décor. Les quelque 4 000 festivaliers, sourire aux lèvres, se sont donné rendez-vous dans la joie et la bonne humeur, laissant derrière eux l’agitation extérieure, guidés par un maître-mot : amapiano. Terme signifiant « plein de pianos » en langue zouloue, en référence à la présence de synthés jazzy qui caractérisent cette house music tout droit venue d’Afrique du Sud.
Un mouvement qui rassemble
Dans la friche industrielle entourée de barres d’immeubles, des panneaux argentés accueillent un défilé de looks colorés et parfaitement étudiés. Le crop top est de rigueur, le baggy fait son grand retour, la chemise à fleurs habille un marcel blanc déjà décoré de chaînes clinquantes, des baskets XXL et des sandales à plateforme finissent de parfaire les silhouettes dignes de l’Afro Nation et du carnaval de Notting Hill. Des guirlandes lumineuses égaient le préau où s’élèvent déjà, au beau milieu de cet après-midi d’été ensoleillé, les lignes de basses percussives. « Inclusif et bienveillant » : deux termes devenus l’apanage des organisateurs de festivals pour assurer la sécurité des visiteurs. Et qui semblent avoir contaminé naturellement le site de Pépélé, le métamorphosant en safe space, le temps d’un week-end.
« L’amapiano, c’est le vivre-ensemble, un moment collectif, de communion », assure Nadim Makhlouf, 38 ans, à l’initiative de l’événement. Une scène dépolitisée mais qui rassemble, où les femmes ont toute leur place. Sur la scène extérieure, des danseuses en micro-shorts ambiancent déjà la foule. Les danses afro-urbaines, faisant la part belle aux jeux de jambes, aux mouvements frénétiques et syncopés, fusionnent avec des pas de hip-hop et de booty shake. Sur la grande scène, Kamo Mphela, 23 ans, une Sud-Africaine originaire de Soweto qui s’est fait connaître grâce à ses vidéos de danse virales publiées sur TikTok, chante et danse énergiquement au rythme des boucles hypnotiques.
En crescendo sur les réseaux sociaux
Pretoria, Alexandrie, Soweto… Difficile de déterminer à quelle région revient la paternité du mouvement. « Une chose est sûre, il vient des communautés marginalisées. Ça s’entend dans les thématiques des morceaux, où s’expriment les déboires et les difficultés de la vie, remarque Diyou, DJ parisien et tête pensante du collectif Dawa. Mais l’idée, c’est de ne pas insister dessus, ce qui rend la musique ludique. » Il est tout aussi impossible de dater la naissance du genre, même si certains la fixent à 2012. Mais l’on peut plus facilement estimer son ascension. Le phénomène amapiano est allé crescendo, jusqu’à exploser en 2020 grâce aux réseaux sociaux.
« Les producteurs ont commencé à créer et publier des sons sur internet pendant le confinement, puis, quand on a commencé à sortir de la pandémie de Covid-19, de nouveaux dance floors consacrés à ce genre sont nés et ont vraiment conquis le public, qui avait envie de danser après cette période difficile », se souvient Nadim. Même constat pour Diyou. « En Afrique du Sud, la durée de vie moyenne des genres musicaux est de huit ans. L’amapiano aurait dû vivre le même destin, sauf que la pandémie a transféré le genre sur internet, ce qui a permis aux gens d’avoir le temps de l’explorer, et aux majors de voir le phénomène grandir et de faire signer les artistes. »
C’est le premier genre, après l’afrobeats, qui a réussi sa percée en Afrique
Mélange de kwaito, de deep house et de jazz, l’amapiano repose sur des rythmes répétitifs, doux et lents (de 110 à 120 BPM maximum), accompagnés de kicks et d’une version synthétisée des tambours traditionnels. Un brassage qui a su séduire une audience métissée, fédérant autant la communauté afro, fan d’afrobeats, que les aficionados d’électro. « Dans les fêtes amapiano, le public se tourne vers le DJ, comme dans les soirées techno. La scène d’Ibiza n’a plus le monopole. L’amapiano s’inscrit clairement dans le son électro, mais on l’associe à la musique urbaine, décortique Nadim, également fondateur du studio d’événements Casabey.
Même son de cloche du côté de Bbrave, DJ français installé depuis douze ans au Ghana. « C’est un son qu’on peut facilement retrouver à Berlin. Mais c’est aussi le premier genre, après l’afrobeats, qui a réussi à percer en Afrique, sur tout le continent. Par exemple, les musiques étrangères ont beaucoup de peine à pénétrer au Ghana. Je pensais que l’afro house allait trouver son public, mais il a fallu attendre l’amapiano pour que ça prenne », observe le créateur du label Akwaaba, venu mixer à la Cité fertile, à Pantin, pour l’Amapiano Sunset Festival, organisé par le collectif Dawa. Une réussite qui s’explique, selon Benjamin Le Brave (de son vrai nom), par la qualité des productions. On se souvient de l’engouement qu’il y avait eu autour de la gqom, genre également affilié à la house sud-africaine. Et pourtant, le succès n’a été que furtif et relatif.
« Les sons ont été trop bricolés, en réaction à la culture mainstream, sans vocaux, et échangés via des fichiers WhatsApp par des gamins. C’est pour cette raison que ça n’a pas duré. Le succès international de l’amapiano s’explique par une production hyper pointue. Derrière les sons se cachent de vrais beatmakers, comme Kabza De Small ou DJ Maphorisa, sortes de DJ Khaled sud-af’ capables d’identifier les stars de demain », reconnaît le DJ, même s’il se dit déjà lassé par une scène qu’il trouve surcotée, sans doute parce qu’elle a su trouver sa recette pour devenir une musique strictement festive et commerciale.
Un mouvement panafricain
« Foca, we want to party » (« Foca, on veut faire la fête »), hurle le public de Pépélé devant Focalistic, 27 ans, l’un des nouveaux chefs de file de l’amapiano, qui pousse volontiers la chansonnette. Sur la scène, le chanteur originaire de Pretoria déclame ses textes en spitori, slang de sa province. « Ce n’est pas une langue officielle en Afrique du Sud, et pourtant mes morceaux touchent toutes les communautés du pays. C’est un son qui unifie la nation et au-delà », assure celui qui a effectué une tournée mondiale l’année dernière, de l’Europe aux États-Unis, en passant par l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest.
« J’ai joué en RDC, un pays ultra-militarisé, et pourtant, grâce à l’amapiano, on a réussi à faire la fête, se réjouit-il. On vient de la même famille, et ce, à travers le monde. Même Beyoncé a sorti un morceau amapiano ! » relève l’auteur du tube K-star, qui, depuis sa sortie en 2021, a cumulé quelque 10 millions de vues sur YouTube. Car bien qu’apolitique, la scène distille un message panafricain. Les Africains-Américains mâtinent leur R’n’B de boucles amapiano ; les Ghanéens teintent l’azonto des mêmes nappes électro sud-africaines ; idem pour les Nigérians, qui osent le mélange d’afrobeats et de house des ghettos. Et le phénomène ne touche pas seulement les anglophones.
À Pépélé, alors que Focalistic enflamme le public, une silhouette gracile, crâne rasé peroxydé, déboule sur la scène. Une tête bien connue du public français. MHD, le petit prince de l’afro trap, a lui aussi mesuré l’ampleur du phénomène et a signé un titre en featuring avec celui que l’on nomme le président ya straata (« du ghetto »). Le duo est prêt à mettre le feu avec Fire : près de 230 000 vues en seulement neuf jours. Également contaminé par la tendance, le rappeur franco-congolais Youssoupha. Il sortait lui aussi un titre en hommage au genre sud-africain en 2021, tout simplement intitulé Amapiano. « Je perçois l’amapiano comme un mode de vie, une musique qui ne force pas, qui coule d’elle-même », a-t-il analysé dans le documentaire Music that Moves: Amapiano, produit par Spotify.
« Lorsque vous mélangez l’amapiano avec de la musique marocaine traditionnelle comme le gnawa, cela relie les gens. Et lorsque vous introduisez des instruments en direct, ils adorent, car cela change la culture », a de son côté observé Flomine, un DJ marocain. Même en dehors du continent et de la diaspora, l’amapiano fait des émules. Pour preuve, les Japonais de Tyo Gqom se sont eux aussi frottés à l’exercice. Devenu l’une des exportations les plus fortes d’Afrique au niveau commercial, le mouvement sud-africain voit ses artistes sur la scène mondiale. Les écoutes sur spotify ont crû de plus de 563 % au cours des deux dernières années. Avec plus de 920 millions de streams en mai 2022, les titres d’amapiano répertoriés sur la plateforme suédoise ont, depuis, largement dépassé le milliard.
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