Mary Teuw Niane : « Macky Sall doit organiser des élections transparentes et inclusives »
Candidat à l’élection présidentielle de 2024, à laquelle le chef de l’État ne se présentera finalement pas, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur souhaite que tous, y compris Ousmane Sonko, puissent concourir.
Au Sénégal, Mary Teuw Niane n’est pas seulement un mathématicien réputé. Natif de Saint-Louis, l’ancien recteur de l’Université Gaston-Berger (UGB), 68 ans, a fait ses armes au Parti démocratique sénégalais (PDS), avant de rejoindre l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall, dont il a été l’un des soutiens. Ministre de l’Enseignement supérieur sans discontinuer de 2012 à 2019, puis président du conseil d’administration de Petrosen, la société nationale d’hydrocarbures, Mary Teuw Niane a pourtant fini par tourner le dos au chef de l’État. Dénonçant « des dérives dans la gouvernance de Macky Sall », il rompt avec la majorité présidentielle, à la veille des législatives de juillet 2022.
Convaincu que le chef de l’État a l’intention de briguer un troisième mandat, il a refusé de participer au dialogue politique national organisé en juin, préférant maintenir la pression au sein de la plateforme F24, qui regroupe plusieurs dizaines d’organisations de la société civile et de formations d’opposition. Avec son parti, lancé en mars dernier, baptisé Mouvement pour la transformation nationale (MTN-MoTNa), Mary Teuw Niane compte briguer la magistrature suprême le 25 février 2024. Une élection qui s’annonce très ouverte puisque le chef de l’État sénégalais a renoncé, le 3 juillet, à une nouvelle candidature.
Jeune Afrique : La décision de Macky Sall de ne pas se porter candidat à un troisième mandat vous a-t-elle surpris ?
Mary Teuw Niane : Honnêtement, non. Jusqu’à il y a six mois, j’étais convaincu qu’il allait se représenter pour un troisième mandat. Mais, depuis, et plus encore ces dernières semaines, il avait envoyé des signaux qui laissaient penser qu’il n’allait pas le faire.
Quels étaient ces signaux ?
Regardez bien les conclusions du dialogue qu’il a organisé : un consensus a été trouvé pour qu’un candidat puisse n’être désormais parrainé que par 13 députés ou par 120 maires et présidents de conseil départemental. Le pourcentage du parrainage citoyen a été ramené de 0,8 à 0,6 % du corps électoral minimum. Et la caution pour être candidat ne devrait plus excéder 30 millions de francs CFA (plus de 45 700 euros). Ces choix induisent une multiplicité de candidatures. Cela aurait pu le contraindre à un second tour et jamais, au Sénégal, un candidat sortant n’a réussi à l’emporter au second tour.
Je suis heureux que Macky Sall ait fondé sa décision sur l’éthique de la parole donnée.
Cette décision vous réjouit-elle ?
Oui, et je félicite le président Macky Sall parce que, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, un président de la République va organiser une élection à laquelle il ne participera pas. C’est un saut qualitatif pour notre démocratie. Je suis heureux que Macky Sall ait fondé sa décision sur l’éthique de la parole donnée, et surtout qu’il ait compris que le Sénégal est au-dessus du président de la République et, a fortiori, au-dessus de tout leader politique. Il faut maintenant que le président puisse organiser ces élections, comme il l’a dit, dans la transparence, l’équité et de manière inclusive.
Diriez-vous, comme certains, que cette décision est le fruit d’une pression populaire ?
C’est effectivement la conséquence d’une forte pression nationale, qui s’est exercée jusqu’au sein de BBY [Benno Bokk Yakaar, la coalition au pouvoir]. Il y a eu également des pressions à l’international, et puis ces événements de début juin, lors desquels des gens sont morts. Cela a terni l’image du Sénégal à l’extérieur.
Le dialogue auquel vous avez refusé de participer a également avalisé la possibilité pour les opposants Khalifa Sall et Karim Wade, jusqu’ici inéligibles, de pouvoir se présenter à la présidentielle. C’est une bonne chose ?
Ce dialogue politique aura permis de régler les problèmes de quelques éclopés de la politique sénégalaise sous la présidence de Macky Sall. Je suis heureux qu’ils puissent participer à la présidentielle, parce que ce sont les électeurs qui doivent choisir le président de la République. Nous souhaitons également qu’Ousmane Sonko [condamné à deux ans de prison pour corruption de la jeunesse] puisse participer pour que les Sénégalais aient le choix et que la légitimité du président qui sera élu ne puisse pas être contestée.
Macky Sall est un bâtisseur, qui a beaucoup construit et misé sur les infrastructures.
Pensez-vous, comme Ousmane Sonko, que la justice est instrumentalisée ou manque d’indépendance ?
Je n’utiliserais pas ses mots mais, ce que je peux dire, c’est qu’il existe au Sénégal certaines anomalies. Le fait, par exemple, que le chef de l’État préside le Haut Conseil de la magistrature en est une, et elle est grave. C’est la raison pour laquelle, si je suis élu, je prendrai le magistrat le plus ancien dans le grade le plus élevé pour présider le Haut Conseil de la magistrature.
Macky Sall aura passé douze ans au pouvoir. Quel bilan dressez-vous de sa présidence ?
Si je dois caractériser les différents présidents qui se sont succédé au Sénégal, je dirais que Léopold Sédar Senghor a bâti l’administration sénégalaise. Abdou Diouf a été le stabilisateur du pays au moment des plans d’ajustement structurel. Abdoulaye Wade a été le libérateur de l’esprit entrepreneurial. Et Macky Sall est un bâtisseur. Il a beaucoup construit et misé sur les infrastructures. Il a donné dans un premier temps la priorité à l’éducation et à la formation. Il a construit beaucoup de routes, de ponts, il a investi dans l’agriculture. C’est en matière de gouvernance et de promotion des compétences et des connaissances que son bilan est négatif.
Quand on voit la corruption dans notre pays, on se dit que quelque chose ne va pas.
Vous avez pourtant travaillé à ses côtés pendant plus de dix ans. N’êtes-vous pas aussi comptable de ce bilan ?
J’assume ce qui a trait à l’Enseignement supérieur, le département ministériel qui m’a été confié, et mon bilan personnel est positif. Sous mon magistère, des réformes importantes ont été faites, telles que la transparence dans la politique d’octroi des bourses. J’ai renforcé les infrastructures des universités de Dakar, Thiès, Bambey, Ziguinchor et Saint-Louis. J’ai également lancé la création de trois nouveaux établissements à Dakar, Kaolack et Fatick. Il y a eu aussi la mise en place de l’université virtuelle du Sénégal, devenue l’université numérique Cheikh Hamidou Kane – la deuxième université au du pays par le nombre d’étudiants. Les conditions de travail des enseignants du supérieur ont également été améliorées. Nous pouvons être fiers de ce que nous avons fait.
Auriez-vous quitté l’APR et BBY comme vous l’avez fait en juillet 2022 si Macky Sall s’était exprimé plus tôt ?
Je serais quand même parti à cause des questions de gouvernance que j’ai évoquées, mais aussi à cause du manque de transparence dans la gestion du pouvoir ou dans les nominations. Avant cela, d’ailleurs, j’avais remarqué que la détermination que le président avait en 2012 pour réformer l’éducation nationale, la formation et l’enseignement supérieur n’était plus la même.
Pourquoi avoir décidé de vous présenter à la présidentielle ?
Parce que je veux me battre pour des valeurs. Quand on observe le niveau de corruption de notre pays, l’iniquité au sommet de l’État, on se dit que quelque chose ne va pas.
Nous sommes dans le monde de la connaissance avec, aujourd’hui, les avancées extraordinaires que permet par exemple l’intelligence artificielle. Mais alors que l’Afrique est riche de sa jeunesse, cette dernière pourrait constituer pour le continent une véritable bombe, parce qu’elle n’est pas formée aux sciences les plus avancées. Développer les connaissances et les compétences est un axe important de mon programme, dont le pilier demeure toutefois l’accès universel à l’éducation et à la formation pour tous les enfants du pays.
Et comment comptez-vous fédérer autour de vous ?
J’ai annoncé ma candidature le 20 mars. Ce même jour, j’officialisais la création du Mouvement pour la transformation nationale. Près de quatre mois plus tard, nous sommes présents sur l’ensemble du territoire, dans tous les 46 départements du Sénégal et au sein de la diaspora. Si ce rythme se poursuit, nous pouvons être optimistes pour février 2024.
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