À Abidjan, la Pyramide brutaliste d’Olivieri jette un pont entre passé et présent

Ce bâtiment emblématique du quartier ivoirien du Plateau fête ses 50 ans en 2023. Le début d’une nouvelle vie, après des années d’abandon ?

La Pyramide, dans le quartier du Plateau, à Abidjan © Issam Zejly pour JA

Aïssatou Diallo.

Publié le 24 août 2023 Lecture : 8 minutes.

En accédant à la commune du Plateau par l’avenue Chardy, les bâtiments blancs, vestiges du passé colonial, sont éclipsés par des immeubles ultramodernes. L’immeuble de la Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles (Caistab) abrite le ministère de l’Agriculture et le Conseil café-cacao. C’est l’une des premières tours du paysage abidjanais construites après l’indépendance. Tout un symbole, voulu par le président Félix Houphouët-Boigny, pour souligner l’importance de l’agriculture dans l’économie ivoirienne. À quelques mètres de la Caistab se trouve le Postel 2001, au vitrage de mur-rideau rosé, construit au début des années 1980. Moderne et scintillant.

Paysage architectural sur cartes postales

Dans ce contexte post-indépendance où le pays bénéficie d’une conjoncture économique favorable, Houphouët veut faire d’Abidjan la vitrine d’une Afrique prospère. Plusieurs projets publics et privés naissent au Plateau, le quartier des affaires. C’est le cas de la Pyramide, située à quelques mètres également des deux premiers édifices. Ces constructions, qui ont longtemps marqué le paysage architectural abidjanais, figuraient alors sur les cartes postales.

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De par sa forme et son architecture brutaliste, la Pyramide tranche aujourd’hui encore avec son environnement. Et pourtant, elle s’y intègre parfaitement. Imaginé par l’architecte italien Rinaldo Olivieri, et construit entre 1968 et 1973, le bâtiment fait aujourd’hui partie du patrimoine ivoirien. Si Olivieri a travaillé pendant une dizaine d’années à Abidjan et y a construit d’autres bâtiments, la Pyramide reste son œuvre la plus connue. Aujourd’hui encore, elle fait l’objet de thèses dans les écoles d’architecture et elle est répertoriée dans les livres spécialisés comme un exemple du style brutaliste, populaire des années 1950 aux années 1970. Elle affiche son béton brut, sans revêtement, et des lamelles en aluminium sur sa partie extérieure.

Figure iconique du Plateau

« Aujourd’hui encore, l’immeuble La Pyramide, qui a marqué plusieurs générations, est l’une des figures iconiques les plus importantes de la commune. Il est un pont entre le présent et le passé et il est resté, malgré les affres du temps, un bâtiment futuriste emblématique », confie Jacques Ehouo, député-maire du Plateau. Malgré la couche de pollution qui, au fil des ans, a terni l’éclat des lamelles et des plantes qui poussent à certains étages, la structure même du bâtiment a plutôt bien résisté au temps, s’accordent à dire les spécialistes. Cinquante ans après la construction de l’édifice, l’architecte Issa Diabaté observe qu’il a « bien vieilli ». « Lorsqu’on est à l’extérieur, on ne voit aucune vitre. Celles-ci sont protégées par des lames en aluminium qui brisent le soleil et empêchent un rayonnement direct sur le vitrage. C’est un bâtiment qui fonctionne assez bien d’un point de vue bioclimatique », analyse-t-il. Plusieurs autres réalisations de cette période à Abidjan ont en commun cette vision qui consiste à utiliser des matériaux locaux et à agencer les pièces de manière à optimiser l’aération et la luminosité.

Lorsqu’on franchit l’entrée, deux escaliers en aluminium s’imposent, qui relient le hall aux étages supérieurs. Ils sont surplombés par des lustres, eux aussi métalliques. De forme triangulaire, les luminaires sont fixés à la jonction de plusieurs colonnes qui se resserrent vers le sommet, dessinant la pyramide. Après plusieurs années sans exploitation, des signes d’usure commencent à apparaître. L’eau de pluie s’infiltre et stagne à l’intérieur du bâtiment, fermé au public. Les traces de ses derniers occupants sont encore visibles. « Flash service », peut-on lire sur ce qui était l’un des commerces de la galerie. Il proposait, entre autres, les services d’un cordonnier. Un peu plus loin se trouvait un « club d’investissement », où l’on pouvait recevoir des « conseils en entrepreneuriat ». Dans l’un des bureaux de l’étage, visible depuis l’extérieur, des piles de documents s’entassent. Des archives d’un passé qui pourrait disparaître, faute de conservation.

Une petite plaque discrète rappelle le nom de l’immeuble, son architecte et son promoteur. La Société ivoirienne des participations économiques (Socipec SA) en a été à l’initiative et l’État a assuré la maîtrise d’ouvrage. Ce dernier était en effet actionnaire de la Socipec. Une donnée qui aura son importance par la suite, dans la longue bataille qui opposera le gouvernement à des promoteurs privés pour la paternité du bâtiment, expliquant qu’il ait été abandonné pendant des années.

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Bâtiment commercial et vue panoramique

Pour les initiateurs du projet, dans les années 1970, l’idée était de construire un bâtiment commercial en plein centre du Plateau, et ce, bien avant la multiplication de ces temples de la consommation à Abidjan. Dans une brochure publicitaire de l’époque, adressée aux futurs occupants, la Socipec présentait le « centre commercial La Pyramide » comme « une réalisation originale louée à des prix défiant toute concurrence ».

L’immeuble comprend dix-huit niveaux, répartis comme suit : trois, au sous-sol, sont organisés en garage et supermarché ; deux sont consacrés aux boutiques et aux espaces de bureaux. Le bâtiment abritait également un restaurant, un night-club et des studios, selon ses plans d’origine. « Quelques studios prévus aux niveaux supérieurs sont conçus et traités avec le raffinement du goût italien. Ils jouissent tous d’une vue panoramique, bénéficient de grands balcons protégés et de tout le confort moderne », peut-on également lire.

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Jusqu’au bout des années 1990, la Pyramide a fonctionné comme une ville dans la ville. Il faut donc l’imaginer grouillante de monde et animée, pleinement intégrée à la vie du Plateau. Elle a par la suite abrité quelques services publics, avant d’être définitivement abandonnée. Outre son état dégradé, elle ne répond plus aux normes de sécurité. Mais tant que la question de sa propriété légale n’était pas réglée, toute tentative de rénovation était vouée à l’échec.

Peintures et graffitis

En novembre 2016, les autorités ivoiriennes ont passé un décret déclarant l’immeuble d’utilité publique afin de le faire revenir dans son patrimoine. Ainsi, après avoir annoncé qu’un accord avait été trouvé, sans en préciser les contours, et déclaré que La Pyramide était « à nouveau propriété de l’État de Côte d’Ivoire », le ministre de la Construction, Bruno Koné, a visité le bâtiment en août 2021.

Cette visite avait suscité de nombreux espoirs de voir revivre la Pyramide. Mais, près de deux ans plus tard, rien n’a changé. Alors, des artistes ont décidé d’attirer l’attention sur l’édifice par le biais de l’initiative « Pyramide 2023 : demain est déjà né ». Plusieurs peintures ont été réalisées sur les murs extérieurs. Certaines adressent un clin d’oeil au bâtiment en représentant quelques-unes de ses caractéristiques. D’autres, très colorées, tranchent avec l’apparence plutôt austère de la construction. Pascal Konan, Aboudia, l’Espagnol Dourone, ou encore Amah Cynthia Dongo, ainsi que des étudiants de l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac) ont réalisé des performances à l’occasion du cinquantenaire de la Pyramide, en avril dernier. Une cérémonie a eu lieu en présence de Bruno Koné, de la ministre de la Culture, Françoise Remarck, et du maire du Plateau, Jacques Ehouo.

Litige de propriété

Cela aura-t-il été suffisant ? Si, pour l’heure, aucune annonce officielle n’a été faite sur l’avenir de la Pyramide, une chose est sûre, sa destruction n’est pas à l’ordre du jour. Le ministre de la Construction a d’ailleurs tenu à rassurer à ce sujet. S’il est indéniablement un joyau architectural, le bâtiment en lui-même serait moins rentable aujourd’hui, en raison du terrain où il se situe. S’il abritait, par exemple, un hôtel. Plusieurs possibilités s’offrent au gouvernement pour sa rénovation et son exploitation. En 2015, les autorités avaient trouvé un accord avec l’entreprise espagnole Barranco Del Rey dans le cadre d’un partenariat public-privé. Mais face au litige portant sur la propriété du bâtiment, cet accord en était resté au stade de projet.

Parmi les projets de rénovation, il y a la proposition de Francis Sossah, architecte du Palais de la culture. Celui qui a conseillé plusieurs ministres voudrait en faire un lieu… de culture. Il est porteur d’un projet intitulé la Pyramide des arts modernes et de l’histoire d’Abidjan (PAMH’A). Lequel permettrait, selon lui, d’obtenir un espace plus vaste pour l’actuel musée, d’abriter les œuvres rapatriées, de stocker et de conserver les pièces. Les hébergements pourraient également recevoir des artistes en résidence. Le projet présente une salle de conférence, un restaurant panoramique, des bureaux et une bibliothèque. Selon l’architecte, la rénovation sans équipements pourrait s’élever à au moins 25 milliards de francs CFA, pour les 25 000 m2 que compte l’édifice.

Propulser des artistes locaux

« Nous nous inscrivons dans le cadre d’une vision patrimoniale », explique l’architecte, qui ajoute : « Outre la restauration en bonne et due forme de la Pyramide, qui est déjà un acte patrimonial, cette démarche devrait se poursuivre avec les objets culturels. La récente activité des artistes sur le bâtiment nous donne raison sur le fait que son destin final ne peut être que celui d’un lieu de culture et d’échange. »

Une vision partagée par de nombreux acteurs, dont le maire de la commune : « Au milieu de tous ces gratte-ciel de béton et de verre, un espace dévolu à l’art apportera de la couleur à la cité des affaires. Il permettra notamment de propulser des artistes locaux en leur offrant un espace où mettre en valeur leur travail, qu’ils soient émergents ou établis. La Pyramide dans sa nouvelle vie contribuera également à faire du Plateau une oasis de culture dans le grand Abidjan, en offrant un espace de rencontre et de partage avec des boutiques, des restaurants, des cafés avec terrasses, etc. Elle sera enfin une attraction touristique qui contribuera à l’essor économique de la commune tout en valorisant la culture et le patrimoine ivoiriens. »

Après plusieurs échanges avec les directions des ministères concernés, Francis Sossah continue de plaider pour son projet. Il a adressé aux autorités des courriers leur demandant de faire de la Pyramide un musée, et il mène, avec le Moma et le Musée d’Ottawa, un travail de réflexion sur la restitution des œuvres. Si son projet est retenu, il espère obtenir un accord afin de le développer d’ici la fin de l’année.

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