Justice internationale, il y a vingt-cinq ans naissait la CPI
En juillet 1998, la Cour pénale internationale n’était qu’une idée encore à concrétiser. Vingt‑cinq ans après, l’espoir que davantage d’États rejoignent cet effort historique demeure. Objectif : maximiser le potentiel qu’a l’institution de rendre la justice dans un monde particulièrement tumultueux.
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Silvia Fernandez de Gurmendi
Présidente de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome – anciennement juge et présidente de la Cour pénale internationale (CPI).
Publié le 14 juillet 2023 Lecture : 5 minutes.
Dans la nuit du 17 juillet 1998, l’issue de la conférence diplomatique convoquée pour la création de la Cour pénale internationale était encore incertaine. Les centaines de représentants d’États et d’organisations de la société civile réunis pour l’occasion à Rome, au siège de l’organisation onusienne pour l’alimentation et l’agriculture, retenaient leur souffle.
Ce n’est qu’après minuit que les délégations, euphoriques, purent enfin applaudir le résultat du vote : cent vingt États pour, sept contre et vingt abstentions. Un rêve de longue date devenait enfin réalité : la création d’une cour pénale permanente destinée à enquêter sur le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, et à en poursuivre les auteurs.
Si le crime d’agression était également inclus, c’était seulement de manière programmatique, dans l’attente d’un accord quant à sa définition et aux conditions dans lesquelles la Cour pourrait exercer sa compétence à son égard. Ces questions ne furent réglées que douze années plus tard, à l’occasion de la première conférence de révision du statut, qui s’est tenue à Kampala en 2010.
Désirée et crainte
Au cours des vingt-cinq années écoulées depuis l’adoption du statut, les juges et les procureurs successifs ont rendu opérationnelle cette Cour, tout autant désirée que crainte par divers acteurs de la communauté internationale. Tous attendaient beaucoup de cette institution sans pareille, avec un potentiel d’influer favorablement sur la résolution des conflits.
La création d’une juridiction internationale chargée de crimes internationaux ne constituait pas en soi une nouveauté. La CPI s’inscrit dans le droit-fil des tribunaux d’après‑guerre de Nuremberg et de Tokyo, ainsi que de ceux créés cinquante ans plus tard par le Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies (ONU) pour l’ex‑Yougoslavie et le Rwanda.
Cela étant, la création de la première Cour pénale internationale permanente a marqué un véritable changement de paradigme. Contrairement aux tribunaux spéciaux, la CPI n’a pas été créée pour exercer sa compétence uniquement dans des cas bien définis mais pour décider elle‑même, en toute indépendance, où enquêter et qui poursuivre. La capacité de décider dans quelles situations intervenir lui donnait ainsi des pouvoirs qui, jusqu’ici, n’avaient jamais été accordés à une cour.
Absence de compétence universelle
Pour tempérer ce mandat ambitieux, la Cour a été conçue comme une institution complémentaire et de dernier ressort, n’ayant le pouvoir d’agir qu’en cas d’inaction ou d’absence de véritable volonté d’agir de la part des autorités nationales concernées. Parallèlement, malgré sa vocation mondiale, la Cour pénale internationale n’a pas été dotée d’une compétence universelle. À moins que le Conseil de sécurité de l’ONU lui demande d’intervenir, la Cour ne peut engager des enquêtes et des poursuites que dans les cas où les crimes ont été commis dans les État parties au Statut de Rome, ou ceux dont les auteurs présumés sont ressortissants.
Tout en restant dans les limites des paramètres énoncés dans son traité constitutif, la Cour a fait la preuve, au cours de ses vingt-cinq années d’existence, de sa capacité d’enquêter et de poursuivre dans de multiples situations où des crimes très graves avaient été commis en Afrique, en Asie, en Amérique et en Europe. La Cour a aussi montré qu’il était possible de faire participer les victimes à ses procédures, et de réparer les préjudices directement ou indirectement subis par des centaines de milliers d’entre elles.
La création de la Cour a contribué à cimenter l’idée que la justice est une composante essentielle d’une paix durable
Le Statut de Rome constitue le premier effort d’intégration des éléments de la justice réparatrice. Par la suite, ces éléments ont été incorporés au cadre juridique d’autres juridictions internationales et font aujourd’hui partie intégrante de la justice pénale internationale.
La Cour a accompli beaucoup de choses importantes mais elle a également dû faire face à des difficultés de fonctionnement. L’Assemblée des États parties, en collaboration avec la Cour et des organisations de la société civile, mène à l’heure actuelle un examen intégral pour renforcer le système du Statut de Rome par l’accélération des procédures et l’amélioration de la performance, la gouvernance et la culture du travail de la Cour. Cet examen vise également à renforcer la coopération des États et à concevoir des stratégies adaptées pour accroître le soutien politique envers l’institution et la protéger, elle et ses collaborateurs, des menaces et des attaques.
Époque porteuse d’espoir
La Cour compte actuellement 123 États parties. Ce nombre est loin d’être négligeable puisqu’il s’agit des deux‑tiers des États constituant la communauté internationale, mais il est encore insuffisant au regard des aspirations mondiales de la Cour. Il est essentiel d’élargir son universalité. Aujourd’hui plus que jamais, le monde a besoin de justice. Les atrocités commises au cours du XXe siècle, qui ont abouti à la création de la Cour, n’ont pas tari depuis, et nous assistons désormais à une érosion croissante du multilatéralisme et de la primauté du droit.
Notre époque est toutefois porteuse d’espoir. La communauté internationale a redoublé d’efforts dans ses appels à la justice, et a multiplié les initiatives destinées à faire de la justice une réalité. La création de la Cour a réaffirmé l’obligation d’enquêter sur les crimes internationaux et d’en poursuivre les auteurs, et a contribué à cimenter l’idée que la justice est une composante essentielle d’une paix durable.
Aux procès de la CPI et des autres juridictions internationales viennent désormais s’ajouter les efforts d’États de plus en plus nombreux à vouloir exercer la compétence universelle sur de tels crimes. De nouveaux mécanismes voient le jour pour assurer le recueil et la préservation d’éléments de preuve pouvant contribuer à ces efforts nationaux ou internationaux. Nous assistons à l’émergence d’un système de justice mondial, ou d’une sorte d’« écosystème » judiciaire, au sein duquel les tribunaux, tant nationaux qu’internationaux, ont un rôle à jouer, parfois central, parfois complémentaire ou d’appui.
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