Saint-Louis du Sénégal à la recherche de la déesse du fleuve, Mame Coumba Bang
À l’occasion de sa nouvelle exposition, le photographe burkinabè Nyaba Léon Ouédraogo explore les marges du monde visible et part à la rencontre de la divinité que tous les Saint-Louisiens portent en eux.
« On dit que l’Égypte est le don du Nil, et Saint-Louis le don du fleuve, écrit Nyaba Léon Ouédraogo. Qui dit fleuve dit imaginaire, et qui dit imaginaire dit mythe. À tout visiteur de Saint-Louis, il faut une calebasse avec du lait caillé pour Mame Coumba Bang, la déesse du fleuve. »
Quand il est arrivé à Saint-Louis pour séjourner dans une résidence d’artistes, à l’invitation du collectionneur Philippe Malfait, le photographe burkinabé connu pour ses séries sur le cuivre (L’Enfer du cuivre) et sur le fleuve Congo (The Phantoms of Congo River) n’avait pas de projet particulier. Toutefois, ses derniers travaux, à l’instar de ses recherches autour du masque traditionnel (Visible de l’invisible) l’ont poussé vers un questionnement difficile pour un photographe : comment figurer l’immatériel ?
Invisible mais partout
Un questionnement qui sous-tend l’exposition-vente « Mame Coumba Bang » organisée par la galerie Christophe Person, à Paris, sous le commissariat de l’historienne de l’art Marie Moignard, jusqu’au 29 juillet. « En arrivant à Saint-Louis, j’avais lu des écrits sur Mame Coumba Bang, et j’ai dit : “Je veux savoir qui est Mame Coumba Bang, raconte Nyaba Léon Ouédraogo. Je voulais comprendre par moi-même la force de l’imaginaire, la puissance de Mame Coumba Bang. Mais quand je disais aux gens que j’étais venu la chercher, ils rigolaient. »
Mame Coumba Bang est un esprit incarné par tous les Saint-Louisiens
Pourtant, que ce soit dans le quartier de Guet Ndar ou à l’embouchure du fleuve, avec les pêcheurs ou avec leurs femmes et leurs enfants, la divinité est très présente. On lui fait des offrandes : poulets, morceaux de viande, riz, lait caillé. Invisible, elle est partout.
Aidé par Samba, pêcheur et fils de pêcheur ayant tenté plusieurs fois de rejoindre l’Espagne, Ouédraogo a parcouru la ville et ses abords avec une besace de questions, et sans appareil photo. « J’ai commencé à photographier à partir du moment où j’ai rencontré un théologien musulman qui a ri et qui m’a dit : “Mame Coumba Bang est dans chacun de nous, Saint-Louisiens. C’est un esprit incarné par tous les habitants.” »
Abstraction mystique
À distance du documentaire, le photographe s’est aventuré dans une approche sensible où, selon Marie Moignard, « le réel tend à se diluer dans une vision onirique ». Hasard ou réminiscence, le photographe fait du bleu la couleur de ses rêves alors même que le peintre espagnol Joan Miró réalisait, en 1925, une peinture-poème sur laquelle on pouvait lire ces mots « Photo. Ceci est la couleur de mes rêves », agrémentés d’une tâche de peinture bleue.
Je suis à la recherche de ce bleu depuis 2011, entre le rêve, la peur, l’angoisse, la beauté et la poésie
En nous entraînant à la recherche de Mame Coumba Bang, l’artiste nous plonge dans un bleu dense obtenu par la magie du numérique, grâce à un travail alchimique de postproduction. « Je suis à la recherche de ce bleu depuis 2011, entre le rêve, la peur, l’angoisse, la beauté, la poésie, dit-il. Entre la froideur et le rêve. » Très travaillées, les images de la série basculent progressivement vers l’abstraction et rapprochent peu à peu le spectateur de cette divinité, de ce qu’elle est ou de ce qu’elle pourrait être.
« La variation sur le bleu va se transformer au fur et à mesure et s’agrémenter d’autres couleurs », souligne Marie Moignard. Notamment d’un rouge orangé, couleur complémentaire du bleu, qui peut représenter le monde des vivants. On peut penser aux artistes occidentaux Joan Miró et Yves Klein – même si Nyaba Ouédraogo cite plus volontiers la période bleue de Picasso.
Le pouvoir de l’imaginaire
Mais là n’est pas l’essentiel : ce que le photographe propose, c’est une rupture. Si ses séries sur le cuivre et les casseurs de granit confrontaient l’artiste à des matières dures, terre à terre, son évolution récente l’oriente vers l’eau – ce fluide de vie qui est partout même quand on ne le voit pas. « Je me rends compte que la plupart de mes sujets tournent autour de l’eau, avec laquelle j’entretiens un rapport mystique. Les hommes s’en sont toujours rapprochés car ils sont convaincus que les esprits viennent de l’eau. C’est un élément qui m’intrigue. »
Comment faire, dès lors, de la photographie une surface qui, comme l’eau, laisse deviner ses profondeurs ? « J’ai déjà entamé cette approche de l’invisible avec The Phantoms of Congo River. La photographie ayant évolué, je cherche la limite entre cette pratique et la peinture. Ce qui m’intéresse, c’est ce que je vais chercher dans mon imaginaire. »
Effets de flou, dilutions, reflets, superpositions. Son galeriste Christophe Person, qui est aussi son complice dans l’organisation de la Biennale internationale de scultpure de Ouagadougou (Biso), n’hésite pas à parler d’abstraction : « Je veux faire une programmation qui permette aux artistes de s’exprimer avec leurs tripes. Je suis très sensible à ce qui est abstrait et permet de stimuler l’imagination. » Léon Nyaba Ouédraogo précise : « C’est un abstrait poétique basé sur l’imaginaire. Si la photo n’était qu’aplats de formes et de lumières, cela me m’intéresserait pas. »
Son prochain projet pourrait l’entraîner chez lui, au Burkina Faso, pour un travail sur les crocodiles sacrés de Bazoulé. « Croire ou ne pas croire, il faut perpétuer la tradition », écrit-il. D’ailleurs, l’esprit de Mame Coumba Bang n’erre-t-il pas ces derniers jours en bord de Seine ?
Mame Coumba Bang, de Nyaba Léon Ouédraogo, galerie Christophe Person, 39 rue des Blancs Manteaux, Paris. Œuvres en 70×100 (2 tirages) et 70×50 (4 tirages) entre 5 000 et 8 000 euros.
À voir bientôt au Musée de la photographie (Mupho) de Saint-Louis.
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